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évêques, on apporte leurs actes mais ces actes – là même me fournissent de nouvelles armes pour combattre le sentiment qu'on veut établir leur auto

par

rité; car rien ne doit plus décrier une cause que les faux titres qu'on produit pour la défendre. «‹ Il y a << des auteurs, dit le moine Lethalde (1), qui ne crai«gnent pas de blesser la vérité pour relever les ac«<tions des saints; comme si le mensonge pouvait « donner quelque nouvel éclat à la sainteté. » Ce reproche convient à la plupart de ceux qui ont écrit la vie des premiers apôtres de la Gaule. Les actes qu'ils nous en ont donnés sont ornés de tant de circonstances merveilleuses, qu'on n'y reconnaît pas les caractères de la vérité, toujours simple : ils paraissent même évidemment copies en plusieurs choses les uns d'après les autres. Par exemple, saint Martial ressuscite saint Austriclinien, son compagnon, avec le bâton que lui donna saint Pierre ; saint Euchaire, avec le même bâton, ressuscite aussi son compagnon saint Materne; saint Clément de Metz opère le même miracle, par la vertu du même bâton de saint Pierre, sur saint Domitien son compagnon ; et saint Front de Périgueux rend aussi la vie, avec ce même bâton, à saint Georges son compagnon. Peut-on, après cela, faire quelque fond sur de pareilles pièces?

n y en a même de fabriquées par des imposteurs. La Vie de saint Martial a été composée, sous le nom

(1) Lethald., in prologo vitæ S. Juliani.

de saint Austriclinien, par un écrivain qui a cherché à en imposer au public; un corévêque, nommé Gauzbert, composa pour de l'argent une Vie de saint Front, où il fait saint Georges, son compagnon, un des soixante-douze disciples (1); Hilduin, pour montrer que saint Denis de Paris est l'aréopagite, cite un certain Aristarque, et un nommé Visbius dont personne n'a entendu parler, et dont il dit que les écrits ont été trouvés dans la bibliothèque de l'église de Paris. La critique de ces sortes de pièces nous mènerait trop loin; il suffit de remarquer que la plupart n'ont été composées qu'après le neuvième siècle, pour appuyer l'opinion qui commençait à s'établir de l'ancienneté de plusieurs églises, ou pour faire naître cette opinion en faveur de quelques autres auxquelles on voulait faire honneur.

3o La suite des évêques, marquée dans la plupart des églises dont nous avons parlé, est une nouvelle preuve qu'elles n'ont pu avoir commencé plutôt que vers le milieu du troisième siècle; ou bien il faudrait admettre en toutes en même temps une fort longue vacance. Ce qu'on pourrait supposer de quelques églises, le peut-on avec quelque vraisemblance de toutes celles dont nous venons de parler? Il n'y a guère que les églises de Trèves, de Cologne et de Metz où l'on trouve assez d'évêques pour continuer la succession depuis le temps des apôtres; mais les catalogues des

(1) In concilio Lemovicensi.

évêques de ces églises et de quelques autres n'ont pas même toute l'autorité nécessaire pour nous rassurer.

4° Grégoire de Tours, qu'on nomme, avec raison, le père de l'histoire de France, rapporte au consulat de Dèce, c'est-à-dire à l'an 250, la mission des fondateurs des principales églises des Gaules. « Ce fut « sous Dèce, dit-il (1), que sept évêques furent or<< donnés et envoyés dans les Gaules pour y prêcher « la foi, ainsi que le marque l'Histoire du martyre « de saint Saturnin; car on y lit : « Sous le consulat « de Dèce et de Gratus, comme on le sait par une << tradition fidèle, la ville de Toulouse eut saint Sa«< turnin pour son premier évêque. » Grégoire ajoute : <«< Voici donc les évêques qui furent envoyés : Gra<«< tien à Tours, Trophime à Arles, Paul à Narbonne, <«< Saturnin à Toulouse, Denis à Paris, Austremoine << en Auvergne, et Martial à Limoges. » On ne peut guère supposer que Grégoire, qui était évêque de Tours, qui avait été élevé dans l'église d'Auvergne sa patrie, et si voisine de Limoges, qui avait fait de fréquens voyages à Paris, ait ignoré la tradition de ces quatre églises sur l'époque de leur fondation. Les actes de saint Saturnin sont garans de ce qu'il avance sur le temps de ce premier évêque de Toulouse. La Vie de saint Paul de Narbonne ne contient rien qui nous oblige de le faire plus ancien. Il n'y a donc que saint Trophime d'Arles sur lequel il nous paraît

(1) Grég. Tur., Hist., l. 1, c. 18.

que Grégoire de Tours s'est trompé pour les raisons

suivantes :

1o On croit devoir préférer à cet auteur le témoignage des évêques plus anciens, et mieux instruits des prérogatives de l'église d'Arles, leur métropole; nous avons rapporté leurs paroles.

2° Ce que saint Cyprien dit, dans une de ses lettres, de Marcien, évêque d'Arles, ne peut s'accorder avec le temps que Grégoire de Tours assigne à l'épiscopat de saint Trophime; selon lui, Trophime fut envoyé de Rome à Arles, sous Dèce, c'est-à-dire au plus tôt l'an 249. On ne peut lui donner moins que cinq ou six ans pour fonder cette église; comment donc voit-on, dès le commencement du pontificat de saint Etienne, qui fut en 252, un Marcien évêque d'Arles, et attaché au parti des Novatiens? Les évêques des Gaules en écrivirent au pape et à saint Cyprien; saint Cyprien en écrivit lui-même au pape Etienne, au plus tard l'an 253: car il fallait que ce fût avant leur différend, qui s'éleva cette même année. Or, Marcien était évêque depuis plusieurs années. « Il y a long-temps qu'il se vante, dit saint

Cyprien (1), qu'il s'est séparé de notre communion. «<< Qu'il lui suffise d'avoir laissé mourir, les ànnées précédentes, plusieurs de nos frères, sans leur don<<< ner la paix. » On voit par-là qu'il fallait que Marcien fût au moins évêque d'Arles dès l'an 250. Où

(1) Cyprian., ad Steph. ep. 68.

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placer donc saint Trophime? Aussi des critiques, qui s'en tiennent à l'époque de Grégoire de Tours, rejettent la lettre de saint Cyprien comme une pièce supposée, sans autre raison, sinon qu'elle les incommode. Que si on place saint Trophime après Marcien, on sera obligé de convenir que le siége d'Arles était déjà établi avant le milieu du troisième siècle; et l'on n'aura rien pour prouver qu'il ne le fut pas dès le premier, puisqu'en prenant ce parti, l'époque de Grégoire de Tours pour la mission de saint Trophime d'Arles, ne sera plus celle de la fondation de cette église.

Mais, me dira-t-on, si vous rejetez l'autorité de saint Grégoire de Tours touchant saint Trophime d'Arles, pourquoi admettre cette même autorité touchant les autres évêques dont il parle, particulièrement touchant saint Martial de Limoges, saint Denis de Paris, saint Paul de Narbonne ? C'est que les preuves qu'on apporte pour donner une plus grande antiquité à ces saints évêques, surtout aux deux premiers, tombent d'elles-mêmes. On veut que saint Martial ait été un des soixante-douze disciples, que saint Denis de Paris soit l'aréopagite, et que saint Paul de Narbonne soit le proconsul Sergius Paulus converti par saint Paul; examinons sur quoi sont fondées ces pré

tentions.

Pour prouver ce qu'on avance sur saint Martial, on produit deux lettres qu'on lui attribue sa Vie, qu'on suppose écrite par son disciple; l'autorité d'un pape et de deux conciles, qui le mettent au rang des

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