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apôtres comme ayant été disciple du Seigneur. Rien de plus spécieux que ces preuves; mais elles disparaissent, dès qu'on en approche le flambeau de la critique. 1o Les lettres attribuées à saint Martial sont des pièces inconnues à toute l'antiquité; elles n'ont paru que sous le règne de Philippe I, roi de France.

Voici ce qu'on trouve, touchant ces lettres, dans un manuscrit de l'église de saint Martial (1): «< Pen« dant la persécution de Domitien, ces deux lettres « ont été mises dans un tombeau de la basilique de « Saint-Pierre, où était autrefois la sépulture des évê« ques; et elles y sont demeurées cachées jusqu'à présent, comme nous le trouvons marqué dans le << titre. Mais, par la grâce de Jésus-Christ, à qui tout <«< honneur et toute victoire sont dus, elles ont été, <<< trouvées de notre temps, c'est-à-dire sous le règne «< du roi Philippe; et comme elles étaient écrites en <«< caractères qui nous étaient presqu'inconnus, sui<«<vant la coutume des anciens, et qu'elles étaient << presque consumées par le temps, on a eu bien de «< la peine à les déchiffrer. » Si ce fait est véritable, il y a tout lieu de croire que ces lettres avaient été cachées par quelqu'un dans l'endroit où il savait qu'on devait bientôt fouiller. Mais le style seul de ces lettres en démontre la supposition; l'Ecriture sainte est citée suivant la version de saint Jérôme, et l'on y fait dire à saint Martial qu'il a baptisé dans les Gaules la

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(2) Apud Bolland., 30 junii.

fille du roi Etienne, comme si la Gaule, qui était soumise aux Romains depuis long-temps, eût encore des rois.

été gouvernée par

2o La Vie de saint Martial a encore moins d'autorité les savans éditeurs des Acta sanctorum ne l'ont pas jugée digne d'être mise dans leur ouvrage, quoiqu'ils y aient inséré bien de mauvaises pièces, comme on le voit par la critique qu'ils en font. Mais celle-ci leur a paru insoutenable en tout: on y dit, par exemple, que saint Martial sera exempt des douleurs de la mort, parce qu'il est exempt de la concupiscence; que douze anges sont députés à sa garde, pour empêcher qu'il n'ait faim ni soif: on y nomme le prince Etienne, duc des Gascons et des Goths; or, çes derniers ne sont passés en Gaule que près de quatre cents ans après, et les Gascons encore plus tard. Avec quelle pudeur peut-on supposer que cette pièce a été écrite dans le premier siècle?

3° Il est vrai que le pape Jean XIX, un concile de Bourges et un de Limoges, dans l'onzième siècle, ont déclaré que saint Martial devait être mis au rang des apôtres, comme ayant été témoin de la résurrection et de l'ascension de Jésus-Christ; mais ce pape et ces conciles ne se sont appuyés que sur la vie apocryphe de saint Martial, dont on ne s'avisait pas alors de douter dans ces temps d'ignorance: c'est un pur fait historique, sur lequel il n'est pas surprenant qu'on se soit trompé; saint Martial mérite, d'ailleurs, le nom d'apôtre par ses travaux et par son zèle. Ainsi les preuves qu'on apporte pour établir sa mission dans le premier

siècle, étant si faibles, loin de renverser l'opinion de Grégoire de Tours, elles lui donnent un nouveau poids.

4° La Vie de saint Ausone d'Angoulême, qui a souffert le martyre sous Chrocus, le fait disciple de saint Martial. Or, ceux qui placent le plus tôt l'irruption de Chrocus, ne la mettent que sous l'empire de Gallien, vers l'an 263: c'est donc une nouvelle raison de croire que saint Martial n'a pas été contemporain des apôtres.

On ne s'arrêtera pas à réfuter l'aréopagitisme de saint Denis de Paris; il suffit de remarquer que son église, qui avait le plus d'intérêt de lui conserver ce titre, après un mûr examen, l'a jugé insoutenable, et a retranché de son office tout ce qui pouvait le marquer : elle a suivi l'autorité de plusieurs anciens martyrologes, d'Usuard, de Bède et de diverses églises de France, qui distinguent saint Denis de Paris de saint Denis l'aréopagite, évêque d'Athènes : celui de Paris est honoré le 9 d'octobre, et celui d'Athènes le 3 du même mois. Le Père Sirmond se plaint que, dans le manuscrit d'Usuard de Saint-Germain-des-Prés, on avait effacé l'article de saint Denis d'Athènes.

Pour saint Paul, évêque de Narbonne, nous reconnaissons que plusieurs martyrologes le confondent avec Sergius Paulus, converti à la foi par l'apôtre; mais l'auteur de sa Vie n'en dit rien: c'est une raison de croire que le même nom n'avait pas encore fait confondre deux personnes qui paraissent différentes. D'ailleurs, d'anciens actes le font venir en

Gaule avec saint Saturnin. On peut donc encore ici s'en tenir à l'époque de Grégoire de Tours; cependant, l'autorité des anciens martyrologes nous empêche de prononcer si hardiment. Comme nous avons montré que le christianisme était établi dans les Gaules dès le premier siècle, il est assez naturel de croire qu'il l'aura été à Narbonne, qui était une ville des Gaules des plus célèbres et des plus connues des Ro

mains.

On peut présumer la même chose des villes de Provence plus voisines de l'Italie, sans être obligé d'examiner si sainte Marie-Madeleine, sainte Marthe, saint Lazare et saint Maximin y ont jeté les premières semences de la foi : c'est une tradition respectable, que je ne veux pas combattre.

Il serait inutile et ennuyeux de s'étendre sur tous les autres saints évêques, qu'on prétend avoir fondé des églises dans la Gaule dès le premier siècle. Les actes de la plupart ne font naître que des incertitudes et des contradictions qu'il coûte toujours de relever, parce qu'on craint de blesser la délicatesse de ceux qui ont plus de zèle pour la gloire des saints, qu'ils n'ont de lumières.

J'en ai dit assez sur ce point pour justifier ce que j'avais avancé; savoir qu'autant qu'il est certain en général que la religion chrétienne a été établie dans les Gaules dès le premier siècle, autant ce qu'on raconte en particulier des premiers fondateurs des églises est-il incertain; sur quoi j'espère que les personnes équitables, en me sachant bon gré d'avoir par la pre

mière proposition établi la gloire de l'Eglise gallicane, ne me sauront pas mauvais gré d'avoir par la dernière soutenu les intérêts de la vérité, en regardant comme douteuses les traditions de quelques églises sur leur antiquité : elles ne leur sont honorables, ces traditions, qu'autant qu'elles sont appuyées sur la vérité, contre laquelle, dit Tertullien (1), ni l'espace des temps, ni l'autorité des personnes, ni les priviléges des pays ne peuvent prescrire. « Il serait honteux de << faire servir le mensonge à la gloire de ceux qui ne «< seraient pas saints, dit le moine Lethalde (2), s'ils << n'avaient détesté le mensonge. »>

(1) De veland. Virg.

(2) Lethald., in prol. vitæ S. Juliani.

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