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étaient incompatibles, et qu'il n'était permis à aucun ecclésiastique d'être seigneur temporel, et que les évêques devaient imiter à la lettre la pauvreté et l'humilité des apôtres : c'est l'hérésie d'Arnauld de-Bresse renouvelée par Wiclef. Mais, dès les premiers temps, l'Eglise a possédé des immeubles et des fiefs. On ne voit pas ce qui rend les ecclésiastiques incapables de gouverner aussi des hommes libres. Un autre excès est de dire que les deux puissances sont non seulement compatibles, mais nécessairement sous-ordonnées; en quoi il y a encore deux autres excès. Les hérétiques modernes, particulièrement les Anglais, prétendent que l'Eglise est soumise à l'Etat, que c'est aux magistrats à régler souverainement les cérémonies, et même les dogmes de la religion, d'où vient qu'ils ont déclaré leur roi (1) chef de l'Eglise.

(1) Le titre de chef de l'Eglise que les anglicans ont donné à leur roi, ne doit point être pris à la rigueur. En lui donnant cette qualité, ils ne prétendent point qu'il puisse exercer les fonctions ecclésiastiques, donner la mission aux évêques et aux prêtres, administrer les sacremens, en un mot, qu'il soit le principe de la puissance spirituelle. Ils ne lui donnent point d'autre autorité dans les matières de la religion, que celle de faire des lois pour maintenir le bon ordre de l'Eglise, de soutenir et appuyer celles qui sont faites par les évêques, d'assembler des conciles, de contenir les ecclésiastiques, comme les laïcs, dans la soumission due au prince, à l'exclusion de toute puissance étrangère. C'est de cette manière que les théologiens anglais expliquent la suprématie du roi dans l'Église anglicane.

Au contraire, les ultramontains disent que, si le bon ordre veut que toute puissance se rapporte à une seule, ce doit être à la spirituelle, qui est la plus excellente; et que, pour tenir les souverains dans le devoir, il doit y avoir quelqu'un sur la terre à qui ils rendent compte de leur conduite : ce qui est en effet établir le pape seul monarque dans l'univers; car qu'importe que sa puissance sur le temporel soit directe ou indirecte, si elle s'étend enfin jusqu'à disposer des couronnes.

Entre ces divers excès, nous nous sommes tenus à l'ancienne tradition, et à l'exemple des premiers siècles. Nous croyons que la puissance des clés s'étend sur tous les fidèles, et que les souverains peuvent être excommuniés pour les mêmes crimes que les particuliers, quoique bien plus rarement, et avec bien plus de précaution (1); mais l'excommunication ne

(1)Jene sais trop si cette maxime... est conforme à l'ancienne tradition et à la pratique des premiers siècles. Il y a des auteurs qui prétendent que nos rois ne peuvent être excommuniés, même pour ce qui est purement spirituel. Quoi qu'il en soit, on ne prouvera jamais que l'Eglise ait excommunié un souverain pendant les dix premiers siècles; et cependant elle n'a point manqué d'occasions pressantes, si elle avait cru pouvoir user de ce remede : les Constance, les Valens, les Julien, et tant d'autres qui ne s'étudiaient qu'à anéantir la doctrine de JésusChrist, ne méritaient certainement pas qu'on leur fit quartier. (L'auteur se trompe. On a plus d'un exemple d'excommunication de souverain avant le onzième siècle : témoin Constantin VI, an 795.)

(Edit.)

donne aucune atteinte aux droits temporels, même des particuliers. Suivant l'Evangile, l'excommunié doit être regardé comme un païen; or, il n'y a aucun droit dont un païen ne soit capable, même de commander à des chrétiens. On doit éviter l'excommunié, mais seulement en ce qui regarde la religion ou les bonnes mœurs, c'est-à-dire que l'on ne doit point communiquer avec lui, 1o en ce qui concerne le crime pour lequel il a été excommunié, comme un rapt ou un sacrilége; 2° en aucun acte de religion, comme la prière ou les sacremens; 3° dans les devoirs d'amitié et la fréquentation volontaire; mais on peut communiquer avec lui dans ce qui est du commerce nécessaire à la vie, comme de vendre, d'acheter, de contracter, de plaider, de voyager, de faire la guerre, et par conséquent de parler, de commander et d'obéir.

La distinction des deux puissances est évidente dans ces paroles de Jésus-Christ: Mon royaume n'est pas de ce monde. Et ailleurs: Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. Et à celui qui le priait d'obliger son frère à faire partage: Homme, qui m'a établi juge et arbitre entre vous? Et saint Paul: Que toute personne vivante soit soumise aux puissances souveraines; donc les prêtres et les pasteurs. Et encore Qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu. Et saint Pierre: Soyez soumis à toute créature, soit à l'empereur, soit aux gouverneurs. Et encore: Craignez Dieu, honorez l'empereur; esclaves, soyez soumis à vos maîtres, méme fâcheux. Aussi,

voyons-nous que les chrétiens ont obéi sans résistance aux empereurs païens, même aux persécuteurs les plus cruels, excepté en ce qui était contre la loi de Dieu, quoiqu'ils fussent assez puissans pour se défendre, et qu'ils eussent de fréquentes occasions de révolte sous un empire électif. Ils ont obéi de même aux empereurs hérétiques, comme Constantius et Valens, qui persécutaient les catholiques, et enfin à Julien l'apostat, qui voulait rétablir l'idolâtrie, quoiqu'alors les chrétiens fussent déjà les plus forts, s'ils eussent cru qu'il fût permis d'user de force contre leur prince. Nous croyons que la doctrine des ultramontains tend à troubler la tranquillité publique, et met la vie des souverains en péril : les sujets mécontens accuseront le prince devant le tribunal ecclésiastique. Si étant excommunié et déposé, il continue à user de sa puissance, ce sera, selon eux, un usurpateur et un tyran, et il se trouvera des théologiens qui enseigneront qu'il est non seulement permis, mais méritoire d'en délivrer le public, et des fanatiques désespérés qui réduiront en pratiques ces maximes. Il n'y en a que trop d'exemples.

De la distinction des deux puissances suit la distinction des juridictions. L'Eglise a une juridiction. qui lui est essentielle, fondée sur ces paroles de JésusChrist: Toute puissance m'a été donnée au ciel et en la terre; allez donc instruisant toutes les nations, leur enseignant d'observer tout ce que je vous ai ordonné. Voilà le pouvoir d'enseigner la doctrine, qui comprend deux parties, le mystère et les règles

des mœurs. Voici le pouvoir de juger: Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; et ceux dont vous les retiendrez, ils leur seront retenus. Et ailleurs: Si ton frère a péché contre toi, et s'il n'écoute pas l'Eglise, qu'il te soit comme un païen et un publicain. En vérité, je vous le dis, tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel, et tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel. L'Eglise a dono essentiellement le pouvoir : 1° d'enseigner tout ce que JésusChrist a ordonné de croire ou de faire, et par conséquent d'interpréter sa doctrine, et de réprimer ceux qui la voudraient altérer; 2° d'absoudre les pécheurs, ou de leur refuser l'absolution, et enfin de retrancher de son corps les pécheurs impénitens et incorrigibles; 3° d'établir des ministres pour les fonctions publiques de la religion, de les juger et de les déposer, s'il est nécessaire. Cette juridiction a été exercée dans toute son étendue sous les persécutions les plus cruelles: elles n'ont jamais empêché les fidèles de s'assembler pour prier, lire les saintes Ecritures, recevoir les instructions de leurs pasteurs et les sacremens; ni les pasteurs de communiquer entre eux, du moins par lettres, pour tous les besoins de l'Eglise; d'ordonner des évêques, des prêtres, des diacres, de les juger, et même de les déposer.

Tout le reste de ce qui s'est joint dans la suite des siècles à cette juridiction ecclésiastique, soit en France, soit ailleurs, n'est fondé que sur la condition tacite ou expresse des souverains; comme le droit qu'ont les

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