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qui leur en ont accordé les premiers, ont jugé qu'ils seraient utiles à l'Eglise universelle, par le service que lui rendraient les réguliers. Leurs priviléges sont de deux sortes : l'exemption de la juridiction des ordinaires, et le pouvoir d'exercer partout les fonctions ecclésiastiques. L'un et l'autre supposent la juridiction souveraine et immédiate du pape par toute l'Eglise, en sorte qu'il ait droit de se réserver une partie du troupeau pour la tirer de la conduite naturelle de l'évêque, et la gouverner par lui-même, et qu'il ait droit d'envoyer aussi par tous les diocèses tels ouvriers qu'il lui plaît, pour prêcher et administrer les sacremens.

Tels sont les religieux mendians et les clercs réguliers, qui participent à leurs priviléges. Ils ne reconnaissent pour supérieur que le pape, et prétendent tenir de lui tous leurs pouvoirs et autrefois ils prêchaient, faisaient toutes fonctions, sans permission des évêques. Le concile de Trente a réprimé ces excès; et suivant la discipline de ce concile, aucun régulier ne peut prêcher ni entendre les confessions des séculiers, sans la permission expresse de l'évêque, qui peut lui imposer silence, même dans les maisons de son ordre, quand il le juge à propos; il ne peut, dis-je, ouïr les confessions: l'évêque a droit de l'examiner auparavant, et de limiter, son approbation. Tous les réguliers ayant charge d'âmes, comme plusieurs chanoines réguliers, sont entièrement soumis à l'évêque, en tout ce qui regarde les fonctions pastorales. Tous les réguliers sont tenus de se conformer

à l'usage des diocèses où ils se trouvent, quant à l'observation des fêtes, les processions et les autres cérémonies publiques. On ne peut établir de nouveau un monastère ou une communauté, sans le consentement de l'évêque. Les restrictions que le concile de Trente a apportées aux pouvoirs des réguliers ont été autorisées en France par les ordonnances et les

arrêts.

Cependant ces grands corps de tant de différens réguliers ne laissent pas de faire dans l'Eglise comme une hiérarchie à part, distincte de l'ancienne hiérarchie des évêques et des prêtres séculiers, et d'étendre continuellement leurs priviléges. Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils aient été les plus zélés à défendre les prétentions de la cour de Rome, s'ils n'en ont été les auteurs. Car ceux qui ont poussé le plus loin les opinions modernes de la puissance directe ou indirecte sur le temporel, et du pouvoir absolu du pape sur toute l'Eglise, ont été la plupart réguliers. Saint Thomas a incliné vers ces opinions; et il est bien difficile de l'en justifier. Turrecremata, qui, du temps d'Eugène IV, soutint la supériorité du pape sur le concile, était dominicain. Cajetan l'était aussi, lui qui, sous Jules II, commença à soutenir l'infaillibilité. Le P. Lainez, deuxième général des jésuites, soutint au concile de Trente que les évêques ne tenaient leur juridiction que du pape, et que lui seul la tenait immédiatement de Dieu. Bellarmin, Suarez et une infinité d'autres de la même compagnie, ont soutenu la puissance indirecte sur le temporel, et l'infaillibi

lité, qu'ils auraient fait passer pour un article de foi, s'ils avaient osé. De là vient que ces opinions ont pris le dessus en Italie, en Espagne et en Allemagne, où les réguliers dominent. La doctrine ancienne est demeurée à des docteurs ecclésiastiques; quelquefois même ceux qui ont résisté aux nouveautés ont été des jurisconsultes séculiers ou des politiques d'une conduite peu régulière, qui ont outré les vérités qu'ils soutenaient, et les ont rendues odieuses. C'est une merveille que l'ancienne et saine doctrine se soit conservée au milieu de tant d'obstacles. La merveille est d'autant plus grande, que ce sont les docteurs des universités qui ont résisté aux entreprises de la cour de Rome, quoiqu'ils eussent, ce semble, les mêmes intérêts que les réguliers à la soutenir; car les universités ne sont fondées que sur les priviléges des papes, quant à ce qui regarde le spirituel, c'est-à-dire le droit d'enseigner en tant qu'il a rapport à la religion; elles sont fondées avec exemption de la juridiction des évêques, et elles donnent au moindre maître ès-arts le pouvoir d'enseigner par toute la terre. Cependant il semble que l'université de Paris ait oublié depuis long-temps cette relation particulière avec le saint Siége, comme la juridiction des fondateurs apostoliques, qui n'a plus aucun exercice.

Mais il faut dire la vérité; ce ne sont pas seulement les étrangers et les partisans de la cour de Rome qui ont affaibli la vigueur de l'ancienne discipline, et diminué nos libertés; ceux-là même qui ont fait sonner le plus haut ce nom de liberté, y ont quel

quefois donné atteinte, en poussant les choses jusqu'à l'excès, sous prétexte de soutenir les droits du roi (1).

J'ai déjà parlé de la provision des évêchés accordée au pape par le concordat, d'où il est aisé de juger quel est de la part du roi le droit d'y nommer, et combien il est contraire non seulement à l'ancien droit, suivant lequel l'élection se faisait par tout le clergé, du consentement du peuple, mais même au droit nouveau que la pragmatique avait voulu conserver, qui donnait l'élection aux chapitres. La nomination du roi n'a donc autre fondement légitime que la concession du pape autorisée du consentement tacite de toute l'Eglise. Encore n'y a-t-il pas soixante ans que le clergé de France a déclaré qu'il ne prétendait point approuver le concordat. Je sais bien que les rois ont toujours eu grande part à la provision des évêques, et que les élections ne se faisaient que de leur consentement, comme les premiers du peuple (2);

(1) Le concile de Trente défend les duels, excommunie les princes qui les permettent, et les déclare privés du domaine de la ville, château et autres lieux où ils l'auront permis. Il impose mulcte et amende pécuniaire. Il donne aux évêques droit de punition corporelle sur des laïques, aussi bien que sur leurs biens. Il leur attribue aussi la connaissance des causes. Il donne droit aux évêques de commuer les volontés des testateurs.

(Edit.) (2) Sur ces points importans, dit le célèbre Duguet, les évêques étaient les premiers à marquer leur zèle pour le prince; et

mais cela est bien différent de les nommer seuls et sans être astreints de prendre conseil de personne. Sous l'empire romain, les élections se faisaient ordinairement sans la participation du prince ou du magistrat.

ils avaient consenti, dès le commencement de la monarchie des Français, que le roi fút averti du décès de chaque évêque; qu'on ne pût s'assembler, pour lui donner un successeur, qu'après lui en avoir demandé la permission; et qu'on ne pût ordonner celui qui serait élu, qu'après lui avoir demandé son agrément, et l'avoir obtenu.

« Il est vrai, suivant M. Gerbier, qu'on vit dans la suite, « et même au milieu de cette possession constante des sou« verains, se former un nouvel ordre de choses. De la bien« faisance même de nos rois naquirent les élections. Ils ac« cordèrent à une foule de communautés séculières et régu« lières, des chartres par lesquelles il fut permis à chacun « de ces corps de se choisir ses prélats. Bientôt ce droit d'é«<lection s'étendit, se communiqua, et s'établit presque uni<< versellement.....

«

«

« Mais au milieu même de ces évènemens, on vit la nation, fidèle à ses souverains, soumettre les élections à l'au« torité du roi, lui demander la permission d'élire, et le << supplier d'accorder sa nomination à celui qui avait été « élu....... In locum illius suppliciter postulamus instituere digne« mini illustrem virum N..... Le roi, de son côté, en agréant <<< le prélat qui lui était présenté, conservait dans cet agré«ment toute l'indépendance et toute la souveraineté de sa «< nomination : Auctoritate regali concessimus, et omninò jube« mus ut abbas constitutus sit et dominium monasterii accipiat.» ( Réflexions dans la cause de l'abbaye de Chezal-Benoist.) (Edit.)

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