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où ce tribunal subsistait : elle contenait trente et un articles; le pontife y ajouta ensuite les deux suivans : le premier, que, sans aucun délai, les réglemens seraient enregistrés dans tous les greffes publics, pour être inviolablement observés, nonobstant oppositions quelconques, se réservant à lui seul de ju ger de la validité de ces oppositions. Le second donnait pouvoir aux inquisiteurs d'interdire les lieux où l'on refuserait de se conformer à ces réglemens, et d'excommunier les opposans les plus opiniâtres, c'està-dire les plus fermes.

En 1259, Alexandre IV apporta des modifications à cette bulle; mais ces adoucissemens, ni les censures qu'on permettait aux inquisiteurs de fulminer contre les opposans, ne purent la faire recevoir dans tout le royaume de France on se plaignit de la rigueur extraordinaire avec laquelle ils exigeaient des baillis les appointemens qu'on leur avait assignés; on leur reprocha l'excessive sévérité dont ils usaient envers les accusés, et même contre ceux qui étaient mort's innocens, et dont ils flétrissaient la mémoire.

Le frère Pons de Pouget, inquisiteur à Carcassonne, rendit en 1264 une sentence contre la mémoire de Pierre, vicomte de Fenouilledes. Ce seigneur néanmoins était mort depuis plus de vingt ans dans le sein de l'Eglise, il avait reçu les derniers sacremens pendant sa maladie, on l'avait inhumé dans une chapelle du Mas-Dieu, en Roussillon : mais l'inquisiteur, sous prétexte que le vicomte avait eu quelque commerce avec les hérétiques, le fit exhumer, et con

damna ses os à être brûlés; ce qui fut exécuté (i). Ces excès et d'autres semblables obligèrent la cour de France de modérer les poursuites des inquisiteurs; ils se conformèrent pendant quelque temps aux ordres ou aux avis qu'ils en reçurent : mais bientôt ils oublièrent les plaintes que l'on avait faites de leur conduite, ils ne connurent plus de tempérament dans leurs sentences, ils confondireut le véritable zèle avec le préjugé; et ce préjugé, ils le portèrent à des excès intolérables. Ils instruisirent les procès sans y appeler les évêques; ceux-ci s'en plaignirent au conseil de Vienne, qui défendit aux inquisiteurs d'agir sans le concert du prélat diocésain: l'inquisiteur faisait les informations à son ordinaire, il les communiquait à l'évêque, qui assemblait un conseil suffisant de docteurs, avec lesquels l'évêque et l'inquisiteur jugeaient les procès (2).

<< Ce qui rendait terrible, dit l'abbé Fleury, le tri«bunal de l'inquisition, était l'observance rigoureuse << des constitutions modernes rendues contre les héré<< tiques : suivant ces règles, celui qui était seulement « diffamé d'hérésie par un bruit commun, sans autre « preuve, devait se purger canoniquement, c'est-à-dire «par serment avec plusieurs témoins (3): un homme

« suspect d'hérésie devait abjurer (4). On distinguait

(1) Reg. de l'inquis. de Carcass.

(2) Clement. multorum, l. 5, tit. 3, c. 1.

(3) Direct. inquis., p. 3, c. 38.

(4) Cap. excom. 13, de hæret.

<< trois sortes de soupçons : le léger, le véhément et le << violent : le soupçon véhément formait une présomp<«<tion de droit, contre laquelle la preuve était reçue; <«< celui qui retombait dans l'hérésie, après en avoir « été convaincu, était regardé comme un relaps: le <«<soupçon violent consistait à fréquenter les héréti«ques, et à soutenir pendant plus d'un an l'excom<<<munication en matière de foi (1).

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<< Ce soupçon produisait la présomption juris de et « jure, contre laquelle la preuve n'était pas admise.... «Celui qui était convaincu d'hérésie par sa propre «`confession, s'il abjurait, était cependant condamné « à une espèce d'amende honorable, et à une prison perpétuelle, pour y faire pénitence au pain et à <«<l'eau (2): un relaps était livré au juge séculier pour «< être brûlé, même après s'être repenti; on lui accor<< dait cependant la grâce de recevoir les sacremens « de pénitence et d'eucharistie: celui qui, étant con« vaincu d'hérésie, demeurait impénitent, relaps ou « non, était livré au juge laïc, et condamné au feu; << on traitait de même celui qui était convaincu par « des preuves suffisantes, quoiqu'il niât qu'il fût hérétique, et qu'il fit profession de la foi catholi«< que (3). >>

I,

(1) Cap. accusator. 8, de hæret. in sexto.

(2) C. cum contum. 7. Ibid., junctâ glossâ. C. ad abol. 9, 5,

de hæret. C. excom. 15, eod. C. super eo 5, de hæret. in sexto. Conc. Bitur. an. 1246, c. g. excom. 13.

(3) Instit. au droit eccl., t. 2, c. 10, 1o édit.

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L'hérétique occulte, c'est-à-dire celui qui n'était public ni de fait ni de droit, encourait l'irrégularité avant la sentence qui le condamnait; il encourait aussi la confiscation de ses biens: néanmoins il en jouissait jusqu'à la sentence; et même, après le jugement prononcé, il n'était pas obligé de les déférer au fisc; il suffisait qu'il en souffrît la privation par le fisc, lorsqu'on faisait exécuter la sentence.

Philippe-le-Bel, par son ordonnance de l'an 1298, défendit d'appeler des jugemens rendus par les inquisiteurs. Tout appel, dit ce prince, est interdit aux hérétiques et à ceux qui prennent leur défense, ou qui les reçoivent dans leurs maisons (1). Philippe-le-Bel y conjure les ducs, les comtes, les barons, les baillis, les sénéchaux, etc., de prouver l'intégrité de leur foi, en faisant arrêter les hérétiques, en les livrant aux inquisiteurs, et de s'armer de zèle pour faire exécuter leurs sentences; de là ce zèle aveugle du maréchal de Mirepoix, qui réclamait comme une des plus belles prérogatives de sa baronnie, le droit de brûler tous les hérétiques du Languedoc.

Les Français ne pouvant s'accommoder au joug de l'inquisition, continuèrent de se plaindre des inqui

ces,

(1), Cette ordonnance est dans le Recueil des ordonnant. 1, p. 330, donné par de Lauriere, qui l'a tirée du registre olim, vol. 2, fol. 116. Il assure qu'elle est prise mot pour mot du chapitre ut inquisitionis 18, de hæreticis in sexto, qui est de Boniface VIII.

siteurs; ils taxèrent leur conduite de tyrannie dans les jugemens qu'ils prononçaient, et déclarèrent qu'ils ne voulaient plus contribuer aux frais de l'inquisition. Le pape, informé de cette résolution, usa de condescendance; il consentit qu'à l'avenir les provinces et les villes ne seraient plus obligées à ces sortes de frais; et que pour faire cesser les plaintes faites contre les exactions des inquisiteurs, il pourvoierait à la conservation de ce tribunal d'une manière qui ne serait plus à charge au public.

Mais la complaisance de la cour de Rome ne put tranquilliser les Français sur les rigueurs de l'inquisition; des soulèvemens populaires la chassèrent de plusieurs villes; les inquisiteurs, faute d'occupation, en abandonnèrent d'autres; enfin, devenus l'objet de la haine publique, ils réfugièrent leur tribunal à Avignon et dans le Comtat-Venaissin, qui, quoiqu'il fasse partie de la Provence, appartenait au pape.

Après la retraite des inquisiteurs, les dominicains de Carcassonne, de Toulouse et de Montpellier, qui ont toujours occupé les maisons où l'inquisition était établie, ont prétendu que si de nouveaux hérétiques paraissaient, ils seraient en droit de procéder contre eux; mais on ne voit guère sur quoi cette prétention est fondée, puisque les evêques sont dans une possession incontestable de juger les hérétiques, et les magistrats de les condamner comme perturbateurs du repos public.

De toutes ces inquisitions, il n'y eut que celle de Toulouse qui se soutint après la décadence des Albi

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