Page images
PDF
EPUB

Les arrêts des druides étaient reçus du peuple comme des oracles émanés de la bouche de Dieu. Si quelque Gaulois ne voulait pas déférer à leur jugement, ils lui interdisaient l'entrée de leurs mystères, il passait pour impie, il ne pouvait paraître en jugement, ni être admis aux charges et aux dignités, et il mourait diffamé (1).

Lorsque les sacrifices solennels étaient finis, et l'assemblée séparée, les druides se retiraient dans les différens cantons où ils étaient chargés du sacerdoce, et là ils se livraient, dans le plus épais des forêts, à la prière et à la contemplation : ils n'avaient point d'autres temples, et croyaient que d'en élever un ç'eût été renfermer la Divinité, qui ne peut être circonscrite.

Indépendamment des fonctions religieuses, de la législation et de l'administration de la justice, les druides exerçaient encore la médecine, où il entrait alors plus de pratiques superstitieuses que de connaissances physiques; c'est-à-dire qu'ils étaient en posses

(1) De omnibus controversiis publicis privatisque constituunt; et si quod est admissum facinus; si cædes facta; si de hereditate, de finibus controversia est, iidem decernunt; præmia pœnasque constituunt : si quis aut privatus aut publicus eorum decreto non stetit, sacrificis interdicunt. Hæc pæna apud eos eșt gravissima. Quibus ita interdictum est, ii in numero impiorum et sceleratorum habentur; iis omnes decedunt; aditum eorum sermonemque defugiunt : ne quid ex contagione incommodi accipiant; neque iis petentibus jus redditur; neque honos ullus communicatur. (Cæsar, de Bell. gall., 1. 6. )

sion de tout ce qui affermit l'autorité, l'espérance et la crainte. La police et la subordination qui régnaient permi eux, contribuaient beaucoup à la maintenir.

Les Gaulois tenaient à déshonneur de savoir lire et écrire : c'est ce qui donna cet énorme crédit aux druides; ceux-ci, au lieu de combattre l'étrange préjugé des laïques, l'appuyaient de tout leur pouvoir. Ils ne voulaient pas que les sciences, dont ils étaient dépositaires, devinssent communes pour cela, ils prêchaient sans cesse que la conscience et la religion ne permettaient pas à un laïque d'apprendre à lire et à écrire; moyen simple et efficace pour entretenir les peuples dans l'ignorance et dans la pratique des superstitions les plus ridicules. Les Gaulois, de leur côté, accoutumés à ne faire d'autre profession que celle des armes, tenaient à déshonneur de savoir lire ou écrire. Le commerce des Grecs et des Romains. eut peine à guérir nos ancêtres de ce préjugé.

La puissance des druides a constamment subsisté jusqu'à la conquête des Gaules par les Romains, et ils continuèrent encore l'exercice de leur religion pendant près de soixante ans, jusqu'au temps où Tibère craignant qu'elle ne fût une occasion de révolte, abolit les sacrifices humains, et ne permit plus que la jeunesse s'initiât dans la doctrine des druides.

Quelques auteurs prétendent que Tibère fit massacrer les prêtres druides, et raser les bois dans lesquels ils rendaient leur culte; mais ce sentiment ne me paraît pas fondé. Voici les textes des historiens qui paraissent autoriser cette opinion. Suétone parlant de

4

Claude, dit: DRUIDARUM RELIGIONEM, apud Gallos diræ immanitatis, et tantùm civibus sub Augusto interdictam, PENITÙS ABOLEVIT. Pline (1), après avoir traité de toutes les espèces de magies, s'exprime ainsi : Gallias utique possedit (magica disciplina) et quidem ad nostram memoriam; namque Tiberii Cæsaris principatus sUSTULIT DRUIDAS EORUM et hoc genus vatum medicorumque...... Non satis estimari potest quantùm Romanis debeatur qui SUSTUI.ERË MONSTRA in quibus hominem occidere religiosissimum erat, mandi verò etiam saluberrimum. Aurelius-Victor et Sénèque semblent aussi nous témoigner que l'empereur Claude abolit entièrement la secte et la superstition des druides.

Pline paraît attribuer à Tibère le rescrit pour abolir les druides; Suétone et Aurelius-Victor prétendent, au contraire, que ce fut l'empereur Claude qui ruina entièrement la superstition de ces prêtres gaulois. Une pareille révolution, si elle est véritable, put ne pas être l'ouvrage d'un moment; il fallut y revenir à plusieurs reprises, et Claude acheva ce que Tibère avait commencé : telle est du moins la conséquence qu'on peut fonder sur ce passage du chapitre 2, livre de l'Histoire naturelle de Pline: NUPERRIMÈ 7 trans Alpes hominem immolari gentium earum more solitum, quod paulùm à mandendo abest. D'ailleurs, comme Tibère et Claude ont porté les mêmes

(1) Chapitre du trentième livre de son Histoire naturelle.

noms et surnoms, il ne serait pas étonnant qu'on les eût confondus. Ainsi, la difficulté tombe uniquement sur les mots de Pline, sustulit druidas eorum, et sur les expressions de Suétone, religionem druidarum penitùs abolevit.

On ne peut les entendre de l'abolition totale de l'ordre des druides, qui a toujours subsisté, même depuis Claude. On les voit, en effet, fort autorisés sous l'empire d'Alexandre Sévère, d'Aurélien et de Dioclétien. On a vu que ce dernier, étant encore simple officier, conçut les premières espérances de parvenir à l'empire, sur les discours d'une femme druide

du

pays de Tongres (1). Aurélien consulta les prêtresses gauloises, pour savoir si l'empire demeurerait long-temps dans sa famille. Celles-ci, sans lui faire leur cour aux dépens de leurs prétendues lumières, répondirent avec liberté, que de toutes les familles de la république, celle de Claude serait un jour la plus illustre (2). Alexandre Sevère étant en chemin pour une expédition qui fut la dernière de sa vie, une femme druide vint à sa rencontre, et lui dit : « Vous

(1) Voy, note (1), p. 8 ci-dessus.

(2) Mirabilis fortè videtur quod compertum Diocletiani Asclepiodotas Celsino consiliario suo dixisse perhibet, sed de hac posteri judicabunt. Dicebat enim quodam tempore Aurelianum gallicanas consuluisse druidas, sciscitantem utrùm apud ejus posteros imperium permaneret: tùm illas respondisse dixit, nullius alterius in republicâ nomen quàm Claudii posterorum futurum. (Vopisc., in Aurel., p. 224.)

« pouvez, seigneur, continuer votre voyage, mais « n'espérez pas la victoire, et soyez surtout en garde «< contre vos propres soldats (1). » C'est des historiens Vopisque et Lampride que nous apprenons ces faits. Solin et Eusèbe de Césarée attestent que les druides existaient de leur temps (2). Les familles des druides jouissaient encore d'une sorte de considération sous les empereurs chrétiens du quatrième siècle. Nous le voyons dans Ausone, consul en l'an 379, et qui écrivait sous les fils de Théodose. Ce célèbre poëte gaulois, dans l'éloge d'un professeur de Bordeaux, a soin d'observer qu'il descendait d'un druide du canton de Bayeux. Saint Jérôme lui-même, dans une lettre, vante la noblesse d'une dame gauloise nommée Halgasia, qui était de cette même famille. Il paraît que les druides et leurs superstitions n'étaient pas encore entièrement abolis au milieu du sixième siècle. Théodebert Ier, roi de Metz, entra en Italie à la tête d'une grande armée, et se rendit maître du pont de Pavie: ses gens offrirent en sacrifice les femmes des Goths qu'ils surprirent. L'historien Procope rapporte ce fait, et ajoute: « Les Français, devenus chrétiens, obser<< vent encore une grande partie de leurs anciennes << superstitions; ils offrent des victimes humaines, et

(1) Mulier druias exeunti exclamavit gallico sermone : « Va« das, nec victoriam speres nec militi tuo credus.» (Lamprid., in Alex. Sever., p. 135.) ·

(2) Solin., Polyb. hist., c. 12; Euseb., Præpar. Evang, lib. 4, cap. 17.

« PreviousContinue »