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Il fut même permis aux plus riches de se loger où bon leur semblerait, pourvu que ce ne fût pas au centre de la ville. Les accroissemens de Paris, qui se sont fort étendus sous le règne de Philippe II, leur facilitèrent les moyens de trouver des logemens commodes. Il y en eut qui se logèrent au lieu où fut plus tard le petit Saint-Antoine, d'autres à la montagne Sainte-Geneviève, et quelques-uns dans un cul-de-sac de la rue de la Tixéranderie: de là viennent les noms de rue des Juifs et de rue Judas. Plusieurs se logèrent aussi rue des Lombards, rue Quincampoix et rue des Jardins, qui s'appelle aujourd'hui rue des Billettes. La rue de la Harpe et la rue Saint-Bon en furent tellement remplies, que dans le grand Pastoral de l'Eglise de Paris, on trouve ces deux rues sous le nom de Juiveries; aussi n'y eut-il plus que les artisans et les plus pauvres d'entre les Juifs qui logeassent dans la Juiverie de Champeaux.

Ils avaient aussi, en ce temps, deux synagogues et deux cimetières : l'une de ces synagogues était rue de la Tacherie; l'autre, dans une tour de l'ancienne enceinte de Paris, rue du Pet-au-Diable. L'un de leurs cimetières était rue Garlande ou Galande; ils en payaient quatre livres parisis de cens et rente aux seigneurs de Garlande, propriétaires du fief de ce nom, qui devint commun à la rue; l'autre cimetière était situé rue de la Harpe. Les Juifs avaient aussi, sur la rivière de Seine, un moulin qui ne servait que pour eux.

Quatorze ans après ce rétablissement des Juifs en

France, Innocent III écrivit, à leur occasion, une lettre adressée à l'archevêque de Sens et à l'évêque de Paris. Ce souverain pontife la commence par une réflexion sur l'ingratitude des Juifs, et dit ensuite qu'il est informé que l'on souffre en France que les Juifs fassent nourrir leurs enfans par des femmes chrétiennes, et que ces malheureux en prennent occasion de commettre un crime énorme contre notre sainte religion. Toutes les fois que ces femmes reçoivent le corps de Notre-Seigneur-Jésus-Christ, à Pâques, ils les obligent, durant les trois jours qui suivent la fête, de tirer leur lait dans les latrines avant de donner à téter à leurs enfans. Le pape ajoutait qu'il était instruit que les Juifs commettaient encore plusieurs autres abominations, qu'il devenait urgent de faire cesser. Il conclut enfin sa lettre par des défenses très-expresses aux femmes chrétiennes de servir les Juifs, soit comme nourrices de leurs enfans ou autrement, sous peine d'excommunication.

Si le pape Innocent III se montra si sévère contre les Juifs, plusieurs de ses successeurs en usèrent avec plus de douceur envers eux.

Dès l'an 1235, Grégoire adressa de Pérouse une lettre à tous les chrétiens, dans laquelle il prit la défense des Juifs, se fondant sur l'exemple de plusieurs de ses prédécesseurs qui avaient prononcé anathême contre ceux qui continueraient à les persécuter. L'année suivante, il en écrivit une autre de Rieti; enfin, il écrivit aussi à saint Louis une lettre sur le même

sujet.

En 1244, Innocent IV se prononça en faveur des Juifs de France et d'Allemagne, contre les faux bruits qui s'étaient semés parmi les peuples, que les Juifs aux fêtes de Pâques, immolaient un enfant chrétien pour en avoir le sang.

Clément VI publia deux décrets en leur faveur; et Sixte V fit venir à Rome un Juif français, nommé Gabriel Magin, très-habile dans l'art de multiplier les vers à soie et de fabriquer leur produit. Ce pontife lui accorda, pour lui et pour ses descendans, un privilége exclusif pour la manufacture des soies, et il cassa toutes les déclarations, toutes les bulles de ses prédécesseurs qui pouvaient y être contraires, quand même elles auraient été données avec serment et excommunication.

Cependant Innocent ayant écrit à Philippe-Auguste, afin qu'il employât son autorité royale pour faire cesser l'usure des Juifs, une ordonnance fut rendue, en 1222, par laquelle il leur fut défendu de prendre pour gages les vases sacrés ou les ornemens de l'église, non plus que les lits, charrues ou autres meubles et ustensiles des paysans, dont ils ne pouvaient se passer pour gagner leur vie, et de prêter aucune somme à des chanoines ou à des religieux, sans le consentement du chapitre ou de l'abbé.

L'ordonnance régla l'usure à deux deniers pour livre par semaine, et décida que cet intérêt ne commencerait à courir qu'un an après que la somme principale aurait été prêtée. Elle portait encore que les chrétiens ne pourraient être contraints par corps

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pour les sommes qu'ils devraient aux Juifs, et qu'aucun chrétien ne serait forcé de vendre son héritage ou ses rentes pour acquitter des sommes dues à des Juifs, mais que les deux tiers des revenus seraient assignés aux Juifs pour leur paiement, l'autre tiers demeurant libre au débiteur; cnfin, que du jour de cette assignation les usures cesseraient.

Voilà quel fut l'état des Juifs jusqu'à la fin du règne de Philippe-Auguste; et Louis VIII, son fils, n'y apporta aucun changement.

Saint Louis, parvenu à la couronne, fut vivement sollicité de chasser les Juifs; mais ce pieux monarque s'attacha beaucoup plus à les convertir qu'à les éloigner de ses Etats. Par une ordonnance de 1254, il défendit aux Juifs de prêter aucun argent à usure; il leur enjoignit de pourvoir à leur subsistance du seul travail de leurs mains ou du juste profit qu'apporte un commerce légitime; leur défendit de blasphemer et de se servir de caractères et autres sortiléges; enfin, il ordonna de brûler leur Talmud et autres mauvais livres.

Cette ordonnance fut exécutée à la rigueur. Les Juifs regrettèrent beaucoup leurs livres, et se plaignirent de n'avoir jamais souffert une telle persécution sous tous les règnes précédens; mais, d'un autre côté, le roi n'épargna rien pour leur conversion. Sa piété et ses libéralités en gagnèrent en effet plusieurs, et des familles entières se convertirent : il faisait baptiser et nourrissait tous leurs enfans qui demeuraient orphelins; il tenait lui-même sur les fonts ceux des adultes

qui demandaient le baptême; il assignait ensuite, aux uns et aux autres, des rentes sur son domaine, d'un, de deux ou de trois deniers par jour, selon l'âge, la qualité et les besoins; les pensionnaires pouvaient disposer de ces rentes ou pensions pendant leur vie, et leurs veuves, leurs enfans ou leurs héritiers en jouissaient après leur mort. Les anciens comptes du domaine font mention de cette dépense; elle y est divisée sous ces deux titres : Baptizati pour les enfans qui avaient reçu le baptême avant l'âge de raison, et Conversi pour le autres.

Les pères du concile de Latran, tenu l'an 1215, avaient ordonné que les Juifs porteraient un habit particulier qui les distinguerait des chrétiens;

cile d'Arles, de l'an 1234, ordonna qu'ils porteraient seulement une marque sur leurs habits, en lieu apparent, pour les faire connaître.

Les canons de ces conciles, à cet égard, n'avaient point encore eu d'effet en France; saint Louis en ordonna l'exécution en 1269. Le règlement de ce prince portait que les Juifs feraient coudre sur leur robe de dessus, devant et derrière, une pièce de feutre ou de drap jaune d'une palme de diamètre et de quatre palmes de circonférence. Cette marque fut nommée rouelle, et en latin rotella, par la ressemblance qu'elle avait avec une petite roue. Ceux qui étaient trouvés sans cette marque perdaient leur robe, qui était confisquée, et on les condamnait en outre en dix livres d'amende.

Philippe-le-Hardi, fils et successeur de saint Louis,

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