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confirma ce règlement par une ordonnance de l'an 1271, qui en étendit les dispositions. Pour rendre plus apparente encore la marque distinctive des Juifs, il leur enjoignit de porter une corne attachée sur leur bonnet. Il leur défendit d'ailleurs de se vêtir d'habits de couleur, de se baigner dans les rivières où se baignaient les chrétiens, de leur préparer des médecines, de toucher aux vivres dans les marchés, à moins de les acheter; il les obligea d'observer le carême et les autres temps d'abstinence, quant à l'usage de la viande, et voulut qu'ils n'eussent qu'une synagogue et un cimetière dans chaque diocèse.

Plusieurs Juifs d'Angleterre et de Gascogne ayant passé en France sous le règne de Philippe-le-Bel, ce prince les fit sortir du royaume. Les autres Juifs y furent encore soufferts, mais toujours sous les conditions de servitude qui leur avaient été imposées par Philippe-Auguste. Le roi et chacun des grands seigneurs avait les siens, et en disposait à sa volonté. Les anciens registres de la chambre des comptes nous apprennent que Marguerite de Provence, veuve de saint Louis, avait son douaire assigné sur les Juifs, qui lui payaient 219 liv. 7 s. 6 d. par quartier.

C'est au règne de ce prince qu'on rapporte le fameux évènement de l'histoire de l'hostie miraculeuse. Voici comment cette histoire est racontée(1):

(1) Voyez le livre intitulé le Sacrifice de la Croix représenté en l'Eucharistie, par l'hostie miraculeuse de Paris. 1634, in-8°, fig.

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L'an 1290, une femme de Paris avait engagé sa robe à un Juif. La veille de la fête de Pâques, cette femme, n'ayant point assez d'argent pour retirer son gage, alla trouver le Juif, et le pria de lui prêter sa robe, afin qu'elle pût paraître décemment le jour de la fête. Le Juif lui offrit non seulement la robe, mais encore l'argent qu'il avait prêté dessus, si cette femme promettait de lui apporter le lendemain une hostie consacrée; la malheureuse eut la faiblesse d'y consentir. En conséquence, elle se rendit le matin à l'église de Saint-Méry, et communia à la première messe; mais au lieu de consomme rle corps de Notre-Seigneur, elle le garda sur sa langue, sortit précipitamment de l'église, mit l'hostie dans un mouchoir, et la livra au Juif. Dès que celui-ci l'eut en sa possession, il se hâta de lui faire souffrir tous les supplices et toutes les ignominies que Jésus-Christ avait déjà soufferts une première fois sur la terre : il l'hostie perça d'abord avec un canif, puis avec une lance, puis il la flagella et la coupa en morceaux avec un couperet de cuisine. Le sang coulait à grands flots de l'hostie, qui restait toujours entière. Enfin, le Juif la jeta dans une chaudière d'eau bouillante; mais l'hostie surnagea, et la représentation de Jésus-Christ crucifié parut, au-dessus de la chaudière, dans la vapeur de l'eau bouillante. Effrayé à la vue de ce dernier miracle, le Juif courut se cacher dans sa cave; mais, ayant été trahi par un de ses enfans, la justice pénétra chez lui une femme remporta dévotement l'hostie, qui s'était venue poser d'elle-même dans un vase qu'elle

tenait, et la rendit au clergé de l'église. Le Juif fut brûlé vif, sa femme et ses enfans se convertirent, et de sa maison on fit une église qui fut donnée à de pauvres religieux hospitaliers de la Charité de NotreDame. Il n'y a pas long-temps qu'on y montrait encore l'hostie, les couteaux et la chaudière.

Philippe-le-Bel, en 1296, donna à Charles de France, son frère, comte de Valois, un Juif de Pontoise; il paya 300 liv. à Pierre Chambly, chevalier, pour un Juif qu'il avait acheté de lui, nommé Samuel de Guitry.

Le même prince Charles de France vendit en 1299, au roi son frère, Samuel Viol, Juif de Rouen, et tous les autres Juifs de son comté de Valois et de ses autres seigneuries.

Cette puissante protection n'empêcha pas qu'en 1306 les Juifs ne fussent encore une fois chassés du royaume, et tous leurs biens confisqués. Cependant, le registre de la chambre des comptes, qui a pour titre Judæi, porte qu'ils mirent en dépôt, chez les chrétiens de leurs amis, beaucoup d'or, d'argent, et ce qu'ils avaient de plus précieux, et qu'ainsi ils sauvèrent une partie considérable de leurs principaux effets. Quelques auteurs placent à cette époque et à cette occasion l'invention des lettres de change; d'autres la reculent jusqu'à l'an 640, l'attribuant toujours aux Juifs. De Rubys, dans son Histoire de la ville de Lyon, en fait honneur aux Florentins qui avaient été chassés de leur pays par les Gibelins, et qui s'étaient retirés en France. Cette opinion a été partagée

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par La Serre, auteur du Traité des lettres de change. On trouve cependant que Philippe-le-Bel fit, en 1 294, une convention avec le capitaine des marchands génois et florentins qui fréquentaient les foires de France, par laquelle ils devaient payer une picte d'or chaque livre tournois du montant des contrats de change qu'ils feraient dans le royaume. La plus ancienne ordonnance dans laquelle il soit clairement parlé des lettres de change tirées de place en place, est l'édit du roi Louis XI, du mois de mars 1462. Leur exil dura tout le reste du règne de Philippe-le-Bel. Ce prince résista constamment à toutes les sollicitations qui lui furent faites pour les rétablir. Il leur permit néanmoins, sur la fin, de poursuivre le recouvrement de leurs biens qui n'avaient pas été compris dans la confiscation; il leur donna même des commissaires pour en connaître. A cette occasion, sept d'entre eux, nommés Samuel le Ny, Bellevigne de l'Etoile, Abraham de Sannis, Moreau de Laon, Anguin du Boure, Raphaël Abraham et Joseph du Pont-deVaulx, se trouvaient à Paris en 1314. Ils avaient un procès contre Denis de Machault, qui avait été de leur secte, et qui s'était converti. Ils eurent plusieurs conférences avec lui sur leurs affaires, et le persuadèrent de retourner au judaïsme. Cette action fut découverte; ils furent emprisonnés; le prévôt de Paris instruisit leur procès, et les condamna à être brûlés: ils en appelèrent au Parlement, qui trouva la sentence trop rigoureuse. Le prévôt de Paris fut mandé, rendre raison de ses motifs; il en rapporta qua

pour

tre, dans lesquels on reconnaît bien les arguties des avocats de ce temps. Le premier seul pouvait, à la rigueur, s'appliquer aux accusés; aussi le Parlement, par arrêt du 6 avril 1314, infirma-t-il la sentence du prévôt : les Juifs furent condamnés à une amende, à la fustigation et au bannissement.

Louis Hutin permit aux Juifs, dès la première année de son règne, de rentrer en France; le motif qu'il en donna était pour rétablir et faire fleurir le commerce dans son royaume. Le temps qu'il leur fut permis d'y demeurer fut néanmoins limité à treize années. Ils financèrent dans les coffres du roi, pour obtenir cette permission, 122,500 liv., et lui cédèrent les deux tiers de ce qui leur était dû en France, lorsque le roi son père les avait exilés. Le traité qui fut fait avec eux portait, entre autres clauses, que tous les livres de leur loi leur seraient rendus, à l'exception du Talmud; qu'ils rentreraient dans leurs synagogues et cimetières qui seraient encore en nature; qu'ils pourraient exiger 12 deniers pour livre, par semaine, des sommes qu'ils prêteraient; qu'ils auraient la dernière année de leur séjour pour se préparer à partir en sûreté; qu'ils ne disputeraient point de la religion; qu'ils ne prêteraient point sur des ornemens d'église, ni sur des gages sanglans ou mouillés, et qu'ils porteraient sur leurs habits une marque distinctive.

Philippe-le-Long confirma aux Juifs tout ce qui leur avait été accordé par son prédécesseur. Il leur permit, l'an 1317, de voyager sans porter sur leur

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