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bonnet cette marque ignominieuse d'une corne; plusieurs des plus riches furent même dispensés, par argent, de la porter en aucun lieu, ni même la rouelle sur leurs habits.

Sous le règne de ce prince, l'an 1321, les Juifs furent accusés d'avoir entrepris d'empoisonner tous les puits et toutes les citernes et fontaines du royaume. On prétendait qu'ils avaient eu pour cela des intelligences avec les autres infidèles ennemis des chrétiens, qui leur fournissaient de l'argent et des poisons, et que les lépreux de France étaient de concert avec eux. Cette conspiration fut, dit-on, découverte par deux lettres arabes que l'on intercepta, l'une du roi de Tunis, et l'autre du roi de Grenade; et un lépreux arrêté déposa, devant le seigneur de Pernay, que la recette pour empoisonner les eaux était composée de sang humain, d'urine, de trois sortes d'herbes et d'une hostie, le tout desséché et enfermé dans un sac. Sur cette accusation, plusieurs Juifs furent arrêtés; quelques-uns furent brûlés; le reste de la nation fut chassé de France, à l'exception des plus riches, qui furent seulement condamnés à une amende de 150,000 liv.

Il serait assez difficile de décider aujourd'hui s'il y avait quelque fondement à cette accusation. Elle contient à la vérité bien des absurdités, telles que la recette qu'on vient de lire et la supposition de quatre assemblées générales des lépreux de France, où se trouvèrent des députés de tous les lazarets répandus dans le monde chrétien; cependant, des auteurs es

timés en admettent l'authenticité. Le Père Daniel la regarde comme certaine; le président Hénault et les auteurs de l'Art de vérifier les dates en parlent sans l'affirmer ni la combattre; le Père Richard Simon, dans sa Bibliothèque critique, la déclare formellement calomnieuse (et c'est notre avis).

Philippe de Valois obligea les Juifs à se convertir, ou à sortir du royaume, l'an 1346. Plusieurs furent baptisés; tous les autres se retirèrent.

Le roi Jean son fils, en montant sur le trône, leur permit de revenir. Le même prince les bannit de ses Etats en 1357. Trois ans après, il leur accorda une nouvelle permission de revenir et de demeurer encore en France pendant vingt ans, à la charge de lui payer, pour droit d'entrée de chaque chef de famille, 12 florins d'or, et chaque année 6 florins par tête. Ils furent en paix tout le reste de son règne.

Charles V, en arrivant à la couronne, ne se contenta pas de confirmer les Juifs dans la permission que le roi Jean son père leur avait donnée, de demeurer en France pendant vingt ans, il prorogea ce terme de six ans, aux mêmes conditions; et l'an 1374, ce prince leur accorda une seconde prorogation de dix ans, pour laquelle ils lui comptèrent une somme considérable, qui fut employée aux frais de la guerre avec l'Angleterre.

C'était l'usage en France, que lorsqu'un Juif se faisait baptiser, tous ses biens, comme mal acquis, étaient confisqués au roi, qui lui en faisait ensuite telle part qu'il le jugeait à propos. Cette coutume était

une source de graves inconvéniens, dont un des principaux était, sans contredit, de rendre les conversions moins fréquentes; aussi Charles VI, dès son avènement au trône, cassa-t-il cette coutume, par lettres patentes du mois d'avril 1381.

Cette mesure politique semblait promettre aux Juifs de France une longue continuation de tranquillité; ce fut cependant sous le règne de ce même monarque qu'ils se virent définitivement expulsés de France; ce qui eut lieu l'an 1394, deux ans avant l'expiration de la dernière prorogation qu'ils avaient obtenue du roi Charles V. Ils se retirèrent dans les pays voisins, et principalement en Allemagne; plusieurs familles s'établirent à Metz.

On vient de dire que ce fut à cette époque que les Juifs furent définitivement expulsés de France. L'édit porte, en effet, qu'ils en étaient bannis à perpétuité; et il se passa, jusqu'à leur retour, un temps assez considérable pour que l'on doive regarder ce dernier bannissement comme beaucoup plus sérieux que tous ceux qui l'avaient précédé.

Il paraît cependant qu'un célèbre astronome juif, nommé Propenus, enseignait à Montpellier vers le milieu du quinzième siècle; mais cet exemple doit être regardé comme une exception, et il s'en trouve quelques autres dans les provinces méridionales de la France. Ainsi, pendant tout le cours du quinzième siècle, les Juifs continuèrent à habiter la Provence, d'où ils ne furent chassés qu'en 1501 par le roi Louis XII. Ils passèrent dans le Comtat venaissin, où

ils trouvèrent un assez grand nombre de leurs coreligionnaires qui étaient établis dans cette province depuis le douzième siècle, et auxquels s'étaient joints, peu d'années auparavant, une partie des Juifs qui venaient d'être bannis d'Espagne.

On lit dans les Anecdotes françaises que François I", voyant que l'art de ses médecins échouait contre une maladie dont il était attaqué, pria l'empereur Charles-Quint de lui envoyer un médecin juif. On lui envoya un Israélite converti; mais le roi n'en voulut point, et il fit venir de Constantinople un Juif endurci dans sa croyance, qui lui rendit la santé.

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Marie de Médicis avait aussi, à ce qu'il paraît, beaucoup de foi dans le talent des docteurs juifs. Elle prit pour médecin un Israélite nommé Montalte, et obtint de Henri IV une entière liberté de conscience pour lui et pour toute sa maison. On prétend même que le roi lui fournissait des relais, pour qu'il ne viopas le sabbat en allant voir un malade éloigné. Louis XI avait donné, en 1474, un édit par lequel il permettait à tous les étrangers, excepté les Anglais, de se fixer à Bordeaux; cela donna lieu à un Juif espagnol baptisé, nommé André Gorca, de venir s'établir dans cette ville, où il devint, en 1534, professeur de belles-lettres. Plusieurs de ses compatriotes, nouveaux chrétiens comme lui, vinrent l'y joindre; et, au mois d'août 1550, ils obtinrent de Henri II des lettres - patentes par lesquelles il leur fut permis de résider avec leurs familles dans toute l'étendue du royaume, et d'y faire librement le commerce. Ils pu

rent acquérir et posséder toute espèce de biens, tester et recueillir des successions; enfin, jouir de tous les priviléges, franchises et libertés dont jouissaient les propres sujets du roi. Dans ces lettres, ils étaient dénommés marchands et autres Portugais appelés nouveaux chrétiens.

Ces lettres furent enregistrées au Parlement de Paris le 22 décembre 1550, et confirmées le 11 novembre 1574, par Henri III, qui les rendit communes aux Portugais établis au Saint-Esprit ; car la ville de Bordeaux n'était pas la seule dans laquelle ces marchands étrangers étaient venus se fixer : il y en avait à SaintJean-de-Luz, à Peyrehorade et dans divers autres lieux de la Guienne et de la Gascogne, où ils étaient protéla maison de Grammont, fort puissante dans cette province.

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Vers la fin du seizième siècle, le parlement de Bordeaux renvoya de la ville tous les Portugais qui n'y avaient pas dix ans de domicile. Ils se retirèrent à Bayonne, à Peyrehorade et à Bidache; mais Henri IV leur ôta, en 1602, le droit de résider dans la première de ces villes.

En attendant, tous ces priviléges ne leur étaient encore accordés que comme à des marchands étrangers; et bien que leur origine fût connue, ils passaient toujours pour chrétiens, chrétiens, et ils faisaient baptiser leurs enfans. Ce fut vers l'an 1686 qu'ils cessèrent de se contraindre sur ce point; et vingt ans plus tard, ils renoncèrent aussi à se marier devant les curés catholiques ils firent alors construire des synagogues à

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