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distinguer ici le vrai d'avec le faux, et faire usage de ce que l'on trouve dans les anciens sur la religion des Celtes. Une critique judicieuse peut nous apprendre non seulement à connaître les bons historiens, mais aussi à profiter des plus mauvais ; il suffit de bien distinguer les fables que rapporte un auteur, des vérités et des faits qui peuvent y avoir donné lieu.

Les points fondamentaux de toute la doctrine gauloise, et sur lesquels tous les autres étaient appuyés, se réduisent à trois : adorer la Divinité, ne point faire le mal, et être brave dans toutes les occasions.

Une question importante est de savoir si les druides admettaient l'unité de Dieu. On croit communément qu'ils étaient idolâtres. L'erreur où l'on est à l'égard des prêtres gaulois vient de ce que les étrangers ont pris dans leur propre religion les idées qu'ils se sont faites de celle des Gaulois. Nous ne sommes pas assez instruits de la religion de nos ancêtres pour savoir ce qu'ils entendaient par Hesus, Teutates, etc.; mais nous le savons assez pour penser que des hommes qui ne représentaient ni ne matérialisaient la Divinité, ne doivent pas être regardés comme idolâtres. Tacite en convient, en parlant des Germains, qui suivaient la religion des Gaulois, leurs aïeux: Nulla simulachra, nullum peregrina superstitionis vestigium; et dans un autre endroit : Nec cohibere parietibus deos, neque in ullam humani oris speciem assimilare ex magnitudine cœlestium arbitrantur. Lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum illud quod sold reverentia vident.

On peut dans une religion admettre les figures et les représentations sans idolâtrie, mais il n'y eut jamais d'idolâtrie sans images. Quoique Tacite dise que les druides donnaient les noms de dieux aux bois et aux forêts, lucus, nemus, dans lesquels ils rendaient leur culte, il parle d'après ses idées sur le polythéisme; mais il fournit lui-même les principes du raisonnement propre à le réfuter, puisqu'il rapporte des faits qui impliquent contradiction, dont les premiers étant positifs, détruisent ceux qui ne sont que d'induction : c'est ainsi les historiens les plus éclairés peuvent se tromper sur des mœurs, des lois ou des religions étrangères qu'ils n'approfondissent pas toujours, soit qu'ils ne s'y intéressent pas assez, ou qu'ils croyent les avoir suffisamment examinées, ou qu'ils ne les regardent pas comme leur objet principal.

que

Les peuples des Gaules ont toujours conservé tant d'éloignement pour les figures religieuses, qu'ils ne les admirent pas lorsqu'ils eurent embrassé le christianisme; de sorte que dans le temps où l'église grecque paraissait avoir fait du culte des images une partie essentielle de la religion, le concile de Francfort condamna l'adoration des images (1), sans marquer qu'il

(1) Allata est in medium quæstio de nová græcorum synodo, quam de adorandis imaginibus Constantinopoli fecerunt, in quâ scriptum habebatur, ut qui imaginibus sanctorum, ità ut Deificæ Trinitati, servitium aut adorationem et non impenderent, anathema judicarentur. Qui suprà Sanctissimi Patres nostri omnimodis adorationem et servitutem renuentes contempserunt, atque consentientes condemnaverunt. (Conc. Francof. ord., can. 2.)

fût permis de leur rendre aucun culte. L'abus qu'on avait fait des images chez les Grecs avait sa source dans l'ancienne idolâtrie (1), et peut-être dans leur goût pour la peinture et la sculpture.

On ne peut donc taxer les anciens Gaulois d'idolâ

(1) Les idées confuses que les hommes s'étaient formées de la Divinité furent la source de leurs erreurs en voulant fixer ces idées et les communiquer à d'autres hommes, ils eurent recours à des figures et à des images sensibles : ces figures, appliquées au culte religieux, furent une occasion d'idolâtrie. La distinction de la représentation et de l'objet représenté n'est guère éclaircie dans l'esprit du peuple; chaque attribut fut pris pour un être complet, et la consécration des images les fit insensiblement regarder comme étant devenues le siége de la Divinité. Il serait facile de trouver des exemples de cette gradation d'idées grossières chez plusieurs peuples. Un seul trait suffit pour prouver ce que je viens de dire. Par le second article du Décalogue, Dieu défend à son peuple de faire des images taillées et des figures de tout ce qui est en haut dans le ciel et en bas sur la terre, et de tout ce qui est dans les eaux sous la terre: Non facies tibi sculptile, neque omnem similitudinem quæ est in cœlo desuper, et quæ in terrâ deorsum, nec eorum quæ sunt in aquis sub terrâ. Par le troisième article du Décalogue, Dieu défend encore à son peuple d'adorer les images et de leur rendre le souverain culte : Non adorabis ea, neque coles. Enfin Dieu défend à Moïse de faire des dieux d'argent et des dieux d'or: Non facietis deos argenteos, nec deos aureos facietis vobis. Ces défenses du Seigneur prouvent sans réplique que les images étaient alors pour les peuples une occasion d'idolâtrie.

trie; mais s'ensuit-il qu'ils ne fussent pas polythéistes, qu'ils ne partageassent point l'administration de l'univers entre plusieurs divinités distinctes? On ne peut résoudre cette question que par de simples conjectures.

L'âme trouve en elle-même l'idée d'un Être qui connaît tout, qui est tout-puissant, et qui est parfait; et de cette notion elle juge que Dieu, qui est cet Être tout parfait, est ou existe. Les nations, quelque différentes qu'elles aient été par leurs caractères, par leurs inclinations, par leurs mœurs, se sont trouvées et se trouvent encore aujourd'hui réunies dans un point essentiel, qui est le sentiment intime d'un être supérieur; c'est l'opinion de toutes les contrées, de tous les peuples. Un consentement si général, si uniforme, si constant de toutes les nations de l'univers, que ni l'intérêt des passions, ni les faux raisonnemens de quelques philosophes, ni l'autorité et l'exemple de certains princes, n'ont jamais pu affaiblir ni faire varier; ce consentement universel n'a pu venir que mier principe qui fait partie de la nature de l'homme d'un sentiment intime gravé dans le fond de son cœur par l'auteur de son être, et d'une tradition primordiale aussi ancienne que le monde.

d'un pre

La première tradition des hommes atteste donc l'existence de l'Être suprême, et cette idée a dû être celle d'un Être unique. Les peuples, dispersés dans les différentes parties de la terre, y apportèrent ces notions, qu'ils avaient reçues de leur père commun, lorsqu'ils ne formaient qu'une seule famille; mais les erreurs de l'esprit et les vices du cœur, funestes effets de la

que

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dès

corruption de la nature humaine, ne tardèrent pas défigurer ces premiers traits. Les hommes, mesurant la puissance de l'Étre suprême par leur faiblesse naturelle, se persuadèrent que le Dieu souverain ne pouvait seul prendre soin de toutes les choses de ce monde. De là vint la pluralité des dieux. Nous voyons que le temps que le peuple de Dieu sortit de l'Egypte, les nations avaient associé de nouvelles divinités à l'Étre suprême. C'est pourquoi le Seigneur défend à son peuple d'adorer d'autres dieux lui (1). La religion véritable est la seule où le dogme de l'unité absolue de Dieu soit universellement reçu (2). Partout ailleurs on suppose un Dieu suprême, et l'on en parle d'une manière plus ou moins développée ; mais le culte religieux s'adresse à des divinités inférieures, et ce partage efface de l'esprit de presque tous les hommes, l'idée du Dieu unique, supérieur à ces êtres particuliers. Si les Gaulois n'avaient reconnu qu'un dieu, les Romains, qui vivaient au milieu d'eux, l'auraient sans doute observé; et Cicéron, Pline, Sénèque, tous les écrivains, en un mot, qui ont traité philosophiquement de la religion, nous auraient parlé de cette singularité si capable de frapper leurs regards. Les inscriptions trouvées dans les pays occupés par

(1) Exod., c. 20, p. 2.

(2) L'unité de Dieu est aussi un des articles fondamentaux de la croyance des mahométans; mais on doit considérer le mahométisme comme une hérésie de la religion chrétienne et du judaïsme.

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