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les Gaulois, nous montrent qu'ils avaient des divinités distinguées par des noms et par des attributs différens. Ces noms, comme Hesus, Teutates, Belenus, Belisama, Taranis, étaient gaulois; ce qui prouve que la domination romaine n'en avait pas introduit le culte dans les Gaules.

Les dogmes particuliers de la religion gauloise nous sont peu connus, parce que la tradition seule en était dépositaire, et que les druides, chargés de l'enseigner aux peuples, se faisaient une loi de n'en point divulguer le détail. L'immortalité des âmes, et leur entrée dans une nouvelle vie après la mort, étaient les seuls principes qu'ils enseignassent ouvertement. Nous l'apprenons de Mela, qui écrivait sous Claude: Unum ex iis quæ præcipiunt in vulgus effluit, videlicet ut forent ad bella meliores, æternas esse animas, vitamque alteram ad manes (1).

Lucain, qui composa sa Pharsale sous Néron, successeur de Claude, parle, dans le premier livre, du système des druides. Après avoir dit que l'opinion qu'ils ont des dieux est différente de celle de tous les autres hommes,

Solis nosse deos et cæli numina vobis,

Aut solis nescire datum.....

il ajoute que dans leur système les âmes ne passent point après la mort dans les sombres demeures de

(1) Lib. 3, cap. 2.

Pluton; mais qu'elles vont, dans un autre monde, animer d'autres corps et recommencer une nouvelle vie:

Vobis autoribus, umbræ

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi
Pallida regna petunt. Regit idem spiritus artus
Orbe alio longa (canitis si cognita) vitæ
Mors media est, etc.

Diodore de Sicile a confondu l'opinion que les Gaulois avaient d'une autre vie avec la métempsycose égyptienne et pythagoricienne, c'est-à-dire avec le passage successif de la même âme dans de nouveaux corps. «< Ils ont fait prévaloir chez eux, dit cet historien, l'opinion de Pythagore, qui veut que les âmes des « hommes soient immortelles, et qu'après un certain « nombre d'années elles reviennent animer d'autres « corps; c'est pourquoi lorsqu'ils brûlent leurs morts <«<ils adressent à leurs amis et à leurs parens défunts « des lettres qu'ils jettent dans le bûcher, comme s'ils << devaient les recevoir et les lire. » Mais ce témoignage de Diodore, qui n'avait point voyagé dans les Gaules, et qui voulait toujours rapporter tout aux idées et aux opinions des Grecs, n'est ici d'aucun poids.

César semble aussi attribuer aux druides le dogme pythagoricien du retour des âmes dans de nouveaux corps. Voici ses termes: In primis hoc volunt persuadere, non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios, atque hoc maximè ad virtutem excitari putant, metu mortis neglecto....... Funera sunt pro cultu Gallorum magnifica et somptuosa;

omniaque quæ vivis cordi fuisse arbitrantur, in ignem inferunt, etiam animalia; ac paulò suprà hanc memoriam, servi et clientes, quos ab iis dilectos esse constabat, justis funebribus confectis unà cremabantur. M. l'abbé Fenel pense que ces mots, non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios, montrent que la transmigration se faisait dans d'autres hommes. Cependant le texte de César ne permet pas de suppléer le mot homines, et il paraît plus naturel de lui substituer celui de locos.

En effet, c'est par les pratiques que les Gaulois observaient dans les funérailles que nous devons juger de leur opinion touchant l'état des âmes après la mort. Or ces pratiques nous montrent qu'elle ne pouvait être celle des pythagoriciens, mais qu'elle était semblable à celle qu'ont aujourd'hui les sauvages de l'Amérique et du nord de l'Asie, qui supposent un pays des âmes, où elles mènent une nouvelle vie, et où elles font usage des choses qui ont été ensevelies avec le corps qu'elles ont quitté. Les Gaulois brûlaient le corps du défunt, et jetaient dans le feu tout ce qu'ils croyaient lui avoir été * le plus cher, même jusqu'aux animaux : ac cremant, cum mortuis defodiunt apta viventibus olim (1). Peu de temps avant César, les esclaves et les cliens que le défunt avait le plus aimés, étaient, après les obsèques, brûlés avec lui (2). On jetait aussi dans le bûcher des lettres qu'on croyait fermement être rendues aux pa

(1) Mela, lib. 3, c. 2.

(2) Cæsar., lib. 6, p. 255.

dit

rens et aux amis morts de ceux qui les envoyaient (1). Qui ne voit que ceux qui pensaient et agissaient ainsi ne pouvaient s'imaginer que les âmes passassent dans d'autres corps? D'ailleurs, tous ceux qui ont exposé le système de la métempsycose ont employé les mots de σῶμα owux et de corpus, et non celui d'homo. Ils ont tous que l'âme, après être sortie d'un corps, rentrait dans un autre corps, et jamais que l'âme, au sortir d'un homme, rentrait dans un autre, homme; ce qui serait absurde, parce que l'homme est toujours composé de corps et d'âme. Je ne citerai que deux exemples, du temps même de César. Diodore dit : Eis etepov owμa. Nous lisons aussi dans Virgile: Ut incipiant in corpora velle reverti. Il faudrait donc, pour prétendre que César a attribué aux Gaulois l'opinion pythagoricienne, pouvoir suppléer le mot corpora après ceux ab aliis ad alios; mais quand les pratiques rapportées par Jules-César lui-même ne s'y opposeraient pas, la phrase latine suffirait seule pour écarter ce sens.

On m'opposera sans doute cette expression de Lucain, qui paraît si bien convenir à la métempsycose : Et ignavum redituræ parcere vitæ. Mais le poëte dit seulement que dans le système des druides, les hommes ne perdent la vie que pour un instant; expression qui peut s'entendre également du système de la métempsycose et de celui d'une autre vie que les âmes vont mener dans un monde nouveau, en sortant de

(1) Diod., lib. 5, p. 3.

celui-ci. Ce n'est point par des mots détachés qu'il faut juger du sens que l'auteur a voulu leur donner, surtout dans l'exposition d'un système philosophique. En effet, Lucain exclut absolument, par d'autres expressions, le dogme égyptien ou pythagoricien, dans lequel les âmes reviennent, sur notre terre et dans notre monde, animer des corps semblables à celui qu'elles ont quitté. Le poète dit formellement que, selon les druides, la mort ne fait que séparer en deux portions la durée d'une longue vie, et que l'âme passe après la mort dans un monde nouveau, pour y continuer de vivre:

Vobis autoribus umbrœ

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi

Pallida regna petunt. Regit idem spiritus artus
Orbe alio lungo (canitis si cognita) vitæ
Mors media est.

Les druides imaginaient donc un pays différent du nôtre, que les âmes allaient habiter après la mort. C'est ce que Lucain témoigne par ces mots, orbe alio. Mela l'avait dit avant lui: æternas esse animas vitamque ALTERAM ad manes. Plusieurs nations sauvages supposent encore aujourd'hui la réalité de ce pays des ames.

Les druides prenaient un soin particulier d'instruire le peuple du dogme de l'immortalité de l'âme, afin de lui inspirer le courage de se donner la mort ou de la souffrir avec joie. Tous les anciens avouent que cette doctrine fut un des principes de cette valeur déterminée qui rendait les Gaulois si redoutables à tous leurs voi

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