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partement particulier, semblable en partie à celui du Jupiter des Grecs, régner comme lui dans le ciel, et manier la foudre comme lui: mais il n'était pas de même le souverain des dieux et des hommes; il n'était pas le fils de Rhéa et de Saturne, ni le petit-fils d'Uranus; il n'avait pas détrôné son père pour régner à sa place, et n'avait point partagé l'empire de l'univers avec ses deux frères.

Il en faut dire autant des autres dieux gaulois, d'Esus, de Teutatès, de Belenus, de Belisana, qu'on prétendus les mêmes que Mars, Mercure, Apollon et Minerve. C'est sur des conjectures très-peu assurées qu'on conclut l'identité de ces dieux gaulois avec des dieux romains. Par exemple, l'explication du nom de Teutatès par celui de Mercure, ne peut avoir de fondement que dans un passage de Tite-Live (1), dans lequel on lit, suivant les anciennes éditions, qu'une colline voisine de la nouvelle Carthage, en Espagne, portait le nom de Mercure : In tumulum quem Mercurium Teutatem vocant. L'édition de le Clerc n'a pas le mot Teutatem; mais en le laissant, il est visible qu'il s'agit là d'une dénomination donnée par les Carthaginois, colonie phénicienne. Or, il est sûr que les Phéniciens avaient un dieu qu'ils appelaient Thaut ou Thot, et que Philon de Biblos

lequel avait tiré son nom du tumulte des armes. Ennius s'est servi d'un mot approchant pour exprimer le son des trompettes: Cum tubá terribilem sonitum Tarantara dixit. (1) Lib. 20, cap. 44.

prétend être le Mercure des Grecs. Platon, dans le Philèbe, parlant des Egyptiens, donne à ce dieu le nom de Theuth. Cicéron le nomme de même (1). Lactance écrit Theutus (2). Mais qu'a de commun la religion des Gaulois avec celle des Egyptiens et des Phéniciens? Quiconque aura étudié la religion'de nos pères, sera convaincu que rien n'était plus éloigné de l'idée qu'ils avaient de la Divinité, que le goût des Egyptiens. Dans la religion de ceux-ci, tout était bas et méprisable, et le choix de leurs dieux, aussi bien les figures qu'ils leur donnaient, la rendaient ridicule et extravagante. Il n'y avait, au contraire, rien de plus sage et de plus grand que la religion des Gaulois, si on la compare avec celle des autres peuples qui n'avaient pas le bonheur de servir le vrai Dieu.

que

Je suis donc très-persuadé que les Gaulois, comme les autres nations, partagèrent l'administration de l'univers entre plusieurs divinités distinctes; mais il me paraît en même temps incontestable qu'ils conservèrent toujours l'idée d'un Dieu spirituel, tout-puissant et unique, et que ce n'est qu'à la faveur de cet ÉtreSuprême et unique, que leurs dieux subalternes recevaient les honneurs de la Divinité.

Et comment les Gaulois, si supérieurs aux autres peuples dans leurs idées sur la Divinité, n'auraient-ils pas reconnu un Dieu suprême et unique? L'idée de cet Être souverain et unique est gravée si profondé

(1) Lib. de Natura deorum, 3.

(2) Lib 1, cap. 6.

ment dans le cœur de tous les hommes, qu'elle a subsisté dans toutes les religions, et qu'elle a triomphé des erreurs des peuples qui, ne pouvant bien la distinguer, ont regardé comme inconnu l'Être que cette idée formait dans leur esprit. Ils avaient des autels sur lesquels était écrit: AU DIEU INCONNU (1); ils lui sacrifiaient sous cette dénomination vague. Les Samaritains eux-mêmes, qui adoraient le même Dieu que les Juifs, ne lui donnaient que le nom d'inconnu et sans nom. Cette façon de parler de Dieu semble venir du fonds même de la religion juive, où Dieu est appelé invisible, ineffable, très-haut, caché, éternel. Les Juifs n'osaient, pour ainsi dire, prononcer le nom sacré Jéhova. C'est dans le même esprit que, chez les Egyptiens, leur Dieu souverain était appelé Amoum, qui signifie caché.

Il est certain que le Dieu inconnu, incertain et sans nom des païens était le Dieu véritable, le Dieu même des Juifs. Saint Paul étant au milieu de l'aréopage, dit aux Athéniens : « Ayant regardé en passant << les statues de vos dieux, j'ai trouvé un autel sur le

(1) Philon rapporte « qu'Auguste avait ordonné que l'on « offrît tous les jours pour lui, et à ses dépens, des sacrifices « AU DIEU TRÈS-HAUT dans le temple de Jerusalem, quoiqu'il sçût bien qu'il n'y avait point d'idoles. Ce prince, qui en<< tendait mieux que nul autre la vraie philosophie, jugea qu'il « était nécessaire qu'il y eût au monde un temple dédié au « dieu invisible, dans lequel il n'y aurait aucun simulacre.»>

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« quel il est écrit: AU DIEU INCONNU; c'est donc ce « Dieu, que vous adorez sans le connaître, que je « vous annonce (1). » On ne croira pas, sans doute, que l'apôtre ait voulu persuader aux Athéniens que cet autel était consacré au vrai Dieu, quoiqu'il sût bien que cela n'était pas. Aussi, saint Chrysostome dit que « l'apôtre n'a rien ôté à Jupiter pour le don«< ner à Dieu, et n'a fait que rendre à Dieu ce qui «< lui appartenait, et que l'on avait appliqué jusque« là, sans aucun fondement, à Jupiter (2). » Saint Augustin parle à peu près de la même manière (3), aussi bien que d'autres Pères qu'il est inutile de citer. Les païens eux-mêmes ont tenu ce langage. Lucain (4) dit en termes formels que le Dieu des Juifs était le Dieu incertain des nations :

Incerti Judæa Dei.

Et dedita sacris

C'est dans le même sens que Varron croyait que les Juifs adoraient Jupiter (5).

Mais nous avons des auteurs qui attestent plus expressément que les druides adoraient un Dieu suprême et unique dans son rang. Lucain (6) faisant la

(1) Act. 17, 23.

(2) Homil. 3, in Epit. ad. Tit. Circ. med.

(3) Contr. Cresc., liv. 1, c. 29.

(4) Lib. 2, ant. fin.

(5) Varro Deum Judæorum Jovem putavit. (Aug. Cons., Evang., 1. 1, c. 22.)

(6) Lib. 3...

description d'un bois consacré à l'Étre-Suprême hors des murs de Marseille, s'exprime ainsi :

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Pavet ipse sacerdos

Accessus, Dominumque timet deprendere luci.

Strabon parlant des Celtibères, peuple gaulois qui avait passé en Espagne, dit « qu'eux et les autres peu

ples qui les confinent du côté du nord, adorent le « Dieu sans nom au temps de la pleine lune, dansant pendant toute la nuit au-devant de leurs mai«sons avec toutes leurs familles (1). » Ce Dieu sans nom des Celtibères ne pouvait être que le vrai Dieu, qui n'a point de nom, parce que, comme dit un philosophe païen cité par Lactance (2), Dieu étant essentiellement un, n'a pas besoin de nom qui le distingue

ou le fasse connaître.

Il paraîtra peut-être surprenant que les Gaulois se soient garantis de la contagion universelle, et qu'ils aient pu conserver, pendant le cours de tant de siècles, le nom du Dieu véritable dans toute sa pureté. Cependant, nos ancêtres n'étaient pas les seuls qui, dans l'idolâtrie, avaient conservé le nom simple et absolu de Dieu. Nous en trouvons plusieurs exemples dans l'Ecriture sainte; Laban, les deux Abimelech, etc., étaient idolâtres, et reconnaissaient l'unité d'un Être - Suprême. D'ailleurs les druides, par le

(1) Strab., l. 3, p. 164.

(2) Lact., de fals. Relig., lib. 1, cap. 6.

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