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absolument lunaires (1). Censorien n'excepte que les Babyloniens, qui commençaient le jour au lever du soleil, et les peuples de l'Ombrie, qui le commençaient à midi. Les Romains mêmes, dès le temps des douze tables, avaient commencé le jour civil à minuit. Enfin Moïse, parlant des jours de la création du monde, place la nuit la première: Vesperè et manè factus est dies unus. Il est donc surprenant que des critiques modernes aient prétendu, sur la foi de César, que les Gaulois avaient un dieu dont le département répondait à celui de Pluton chez les Romains (2). Et pourquoi nos ancêtres auraient-ils créé un dieu des ténèbres, puisqu'ils enseignaient que leurs âmes n'allaient point habiter les tristes demeures de l'Erèbe, et qu'elles ne sortaient de cette vie que pour

(1) L'année des Mahométans, ainsi que celle de plusieurs autres peuples, est encore aujourd'hui purement lunaire.

(2) Tacite rapporte que les Germains regardaient le dieu Tuiston comme leur père et leur auteur: Celebrant.... Tuistonem deum terrâ editum, et filium Mannum, originem gentis conditoresque. (Tacit., de Mor. Germ., c. 2.) On en conclut aussi que Tuiston était le dieu des enfers. Pluton était-il donc sorti de la terre? avait-il un fils comme Tuiston? les Romains prétendaient-ils tirer leur origine de Pluton et de son fils? Au reste, Tacite, quoique mieux instruit que César de la religion des Germains, n'était pas pour cela initié dans leurs mystères.

1. 10° LIV.

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aller continuer de vivre dans un monde nouveau ?

Non tacitas Erebi sedes, Ditisque profundi

Pallida regna petunt : regit idem spiritus artus
Orbe ALIO: longæ ( canitis si cognita) vitæ
Mors media est.

Voilà tout ce qu'on peut dire des divinités gauloises avec quelque fondement. Nous ignorons quelles 'étaient leurs divinités subalternes. Nous ne savons si Theutates, Belenus, Camulus étaient des noms de dieux particuliers, ou s'ils n'étaient que des noms différens de l'Etre-Suprême. Les Romains, infatués de leurs divinités, les trouvaient dans tous les pays qu'ils parcouraient. Les druides, qui seuls auraient pu instruire la postérité, faisaient mystère de tout ce qui pouvait détromper les étrangers, et leur donner la clef d'une religion qu'ils voulaient seuls connaître. Ainsi on est réduit à fonder des conjectures sur des étymologies qui par elles-mêmes ne peuvent jamais rien établir. J'écarte donc tout ce qu'on rapporte du nom des dieux inférieurs des Gaulois.

L'ancienne religion des Gaules fit enfin place à une nouvelle superstition. Les Romains étant entrés dans nos provinces, remarquèrent que les habitans du pays assemblaient le long des chemins des monceaux de pierres, autour dequels ils tenaient leurs assemblées religieuses; qu'ils vénéraient avec cela le ciel, la lune, les fleuves, les mers; ils s'imaginèrent donc que le culte de Mercure, de Jupiter, de Neptune était reçu dans les Gaules, comme parmi les Grecs

et les Latins. Ils le persuadèrent facilement à une partie des Gaulois, qui virent avec plaisir qu'on rapprochait leur religion de celle du vainqueur. Les Gaulois politiques imitèrent les Samaritains, qui ayant reçu ordre d'Antiochus d'abandonner le culte du dieu des Juifs, déclarèrent à ce prince « qu'à la vé« rité ils avaient rendu jusque-là leurs adorations, et << offert leurs sacrifices au dieu inconnu et sans nom, auquel leurs ancêtres avaient bâti un temple sur << le mont Garizim, mais que pour lui marquer leur « déférence, ils allaient le dédier à Jupiter le « Grec (1). »

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«

Les druides s'opposèrent d'abord à la nouveauté; mais la puissance des Romains ne leur laissait plus que l'autorité de la parole, armes trop faibles pour réprimer des politiques. Le peuple gaulois s'opiniâtra, et les ministres de l'ancienne religion furent obligés de fermer les yeux et de tolérer les abus auxquels ils ne pouvaient remédier. Esus fut changé en Jupiter (2): les autres dieux inférieurs cédèrent aussi leurs places aux dieux romains. Les Gaulois avaient pensé jusqu'alors que le Seigneur du ciel et de la terre n'habite point en des temples bâtis par des hommes; mais

(1) Joseph, l. 12, c. 7, p. 410.

(2) II y a cependant lieu de croire qu'Esus et Jupiter furent honorés quelque temps ensemble, puisqu'on trouve leurs figures sur deux faces d'une pierre de la cathédrale de Paris. (Voyez la Religion des Gaulois, par Jacques Martin, t. 2, p. 44.)

peu après la conquête des Romains, ils se piquèrent de bâtir des temples très-magnifiques.

C'est ainsi que la superstition romaine triompha de la religion gauloise. On peut voir dans les deux volumes de dom Jacq. Martin, le détail immense de tous les dieux qui furent dans la suite adorés dans les Gaules.

Je me borne à relever ici deux erreurs capitales où cet auteur est tombé. L'auteur de la Religion des Gaulois dit, pag. 53 du liv. I, « qu'ils avaient une profonde vénération pour le chêne, et le prenaient « pour Dieu, ou du moins pour l'habitation de Dieu;>> et pages 15, 64, 259, 287, 294, que « l'origine du « culte que les Gaulois rendaient au chêne, venait « du chêne de Mambré. » C'est une erreur de prétendre que nos ancêtres rendissent au chêne les honneurs divins, et c'est une absurdité de recourir au chêne de Mambré, pour trouver le motif de la vénération singulière que les Gaulois avaient pour cette sorte d'arbre. Tenant ordinairement leurs assemblées religieuses dans des forêts, ils devaient choisir naturellement les arbres dont le feuillage est beau et épais; d'ailleurs l'agriculture n'ayant été introduite que fort tard parmi les Celtes, est-il surprenant qu'ils eussent de la prédilection pour le chêne, qui par le moyen du gland qu'il produit, les nourrissait avec une partie de leurs troupeaux? Qu'était-il donc besoin d'aller chercher dans la Palestine un chêne, supposé encore que c'en fût un; car plusieurs soutiennent que c'était un térébinthe. Au surplus,

quelle connaissance les Gaulois pouvaient-ils avoir des honneurs que le père des croyans avait rendus à Dieu sous le chêne, plus de trois cents ans après la dispersion des hommes dans toutes les parties du monde, puisqu'ils ne parlaient pas la même langue les descendans d'Abraham?

que

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Le même auteur prétend, pages 55 et 57 du liv. I, et pages 71 et 72 du liv. III, que « les Gaulois fai<< saient un dieu d'un taureau d'airain, sur lequel ils << juraient. >> Voici ce qui a donné lieu à cette fable. Plutarque raconte (1) que « les Cimbres que Catulus <«< avait en tête, ayant emporté à la pointe de l'épée <«< un fort qui était sur le bord de l'Adige, furent «< charmés de la bravoure des soldats romains qui « avaient défendu ce fort et qui s'étaient battus << d'une manière véritablement digne de leur patrie, et qu'ils renvoyèrent ces soldats sur leur parole, après « leur avoir fait prêter serment sur le taureau d'ai« rain, qui, à ce qu'on rapporte, fut ensuite porté « dans la maison de Catulus, comme une prémice du « butin. » De là on conclut que tous les Celtes faisaient un dieu d'un taureau d'airain, qu'ils le portaient à la guerre, qu'ils le prenaient pour témoin et pour garant de leurs sermens. Mais il n'y a rien de tout cela dans le vrai les Cimbres, comme tous les autres Celtes, immolaient aux dieux une partie de leurs prisonniers. Leurs prêtresses (2), qui se mêlaient toutes

(1) Plutar., in Mario, t. 1, p. 418. (2) Strab., I. 7, p. 294.

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