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de deviner, recevaient le sang de ces malheureuses victimes dans un énorme vaisseau d'airain, qui passait chez eux pour la chose du monde la plus sacrée. Ce grand bassin avait la forme d'un taureau ou d'une tête de bœuf (1). Les Cimbres conduisirent leurs prisonniers près de cet horrible bassin, et là leur firent prêter serment de ne plus servir contre eux, sous peine d'être traités comme les autres captifs, dont le sang regorgeait dans le vaisseau. Pouvait-on engager plus fortement les soldats romains à tenir leur parole? C'est en cela assurément que consiste tout le mystère du taureau d'airain (2); et ce signe sensible devait faire plus d'impression sur des soldats, que le respect qu'ils témoignaient pour les dieux.

Venons maintenant au culte que les Celtes rendaient à leurs dieux, culte fondé sur des principes très-singuliers; en voici le précis (3). Ils pensaient

(1) Ces vaisseaux s'appellent encore aujourd'hui, dans la langue tudesque, oxhoff, tête de boeuf.

(2) Les Grecs avaient une autre manière de faire serment sur le taureau, mais ils ne le mettaient pas non plus au nombre des dieux; c'est ce qui est clairement exprimé dans Eschile, et que Boileau, dans son Longin, a traduit de cette manière :

Sur un bouclier noir sept chefs impitoyables
Epouvantent les dieux de sermens effroyables :
Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger,
Tous la main dans le sang, jurent de se venger.
Ils en jurent la Peur, le dieu Mars et Bellone.

(3) Natio est Gallorum admodum dedita religionibus: atque

:

que le seul moyen d'apaiser les dieux et de sauver la vie d'un homme en danger de mort, c'était d'immoler un autre homme en sa place. On doit, disaient-ils, offrir aux dieux la victime la plus excellente : or, rien n'est plus excellent que l'homme donc les victimes humaines sont le sacrifice le plus agréable à la Divinité. Il est vrai qu'ils ajoutaient, par intérêt sans doute et par politique, que pour, ces sacrifices on devait commencer par les hommes les plus criminels. Ils immolaient par préférence des coupables; et les druides leur avaient persuadé que des sacrifices nombreux d'homicides fertilisaient les terres : moyen infaillible pour détourner du meurtre des hommes féroces, et pour engager le peuple à ne jamais favoriser l'évasion des accusés (1). Mais au défaut de criminels, les Celtes sacrifiaient sans scrupule des innocens, tant

ob eam causam, qui sunt affecti gravioribus morbis, quique in præliis periculisque versantur, aut pro victimis homines immolant, aut se immolaturos vovent, administrisque ad ea sacrificia drudibus utuntur. Quod pro vitâ hominis reddatur, non posse aliter deorum immortalium numen placari arbitrantur; publicèque ejusdem generis habent instituta sacrificia. Alii immani magnitudine simulachra habent, quorum contexta viminibus membra vivis hominibus complent : quibus succensis circumventi flammâ exani– mantur homines supplicia eorum, qui in furto aut latrocinio, aut aliquâ noxá sint comprehensi, gratiora diis immortalibus esse arbitrantur. Sed cum ejus generis copia deficit, etiam ad innocentium supplicia descendunt. (Cæsar, de Bell. gall., 1. 6, édit. Scaliger.)

(1) Strab., l. 4, p. 197.

ils étaient vivement persuadés de la nécessité des victimes humaines.

Ce n'était donc point uniquement par cruauté, par droit de représailles, ou dans les transports d'une colère aveugle qu'ils faisaient ces abominables sacrifices, comme l'ont pratiqué plusieurs autres nations inconnues : c'était de sang-froid, de dessein formé, par principe de religion, en conséquence d'un dogme fixe et fondamental. Il semble même que l'on peut recueillir des paroles de César, qu'il y avait de ces sortes de sacrifices qui revenaient au bout d'un temps marqué, et qui étaient, pour ainsi dire, de fondation, publicèque ejusdem generis habent instituta sacrificia; ils se servaient du ministère des druides, qu'on sait avoir été leurs prêtres, administrisque ad ea utuntur druidibus.

Ces peuples habitaient la même terre que nous, ils respiraient le même air, étaient nourris de pareils alimens, et éclairés du même soleil; il est surprenant que notre nation, singulièrement recommandable par la douceur et la politesse des mœurs, ait eu pour ancêtres des hommes assez barbares pour se faire un point de religion de sacrifier des innocens et de bons citoyens; étrange, mais ordinaire effet de la superstition.

Mais ce n'est pas ici le lieu de s'arrêter à ces réflexions: il est plus important de découvrir les principes des sacrifices humains, et de s'étendre sur les motifs qui faisaient agir les anciens Gaulois dans ces occasions, et de les bien distinguer, afin de s'en former une juste idée.

Dom Jacques Martin (1) fait remonter l'origine des victimes humaines au sacrifice d'Abraham. II confirme son sentiment par le vœu de Jephté, qui, selon lui, sacrifia sa fille unique pour s'acquitter d'un voeu qu'il avait fait pour le salut général de sa

nation.

terre;

Mais en lisant attentivement l'histoire d'Abraham, on reconnaît aisément que Dieu n'a eu d'autre vue que de montrer dans ce saint patriarche un modèle parfait d'une foi soumise, entière et à toute épreuve. L'ordre qu'il lui donna de quitter sa patrie pour aller dans un pays où il ne posséda jamais un pouce de les promesses réitérées qu'il lui fit de lui donner un fils dont la race se multiplierait comme les étoiles du firmament, promesse dont l'accomplissement fut retardé pendant un si long-temps, et que Dieu ne cessa de renouveler, même après que ce père des croyans, et Sara sa femme, qui avait toujours été stérile, furent parvenus dans un âge très-avancé; le sacrifice qu'il exigea de ce fils, accordé enfin à la foi persévérante d'Abraham, tout démontre que le dessein de Dieu n'était autre que d'éprouver jusqu'au bout la foi de son serviteur, et de montrer aux nations que ses adorateurs étaient capables de faire pour son service, ce que les infidèles faisaient pour leurs idoles. Ce qui confirme évidemment que ce genre de sacrifices n'était point fait pour la Divinité (2), c'est

(1) Rel. des Gaulois, l. 1, p. 95, 100, et l. 3, p. 39. (2) Deus enim fidem non mortem quærit, votum non sanguinera

qu'au moment même où Abraham allait le consommer, le Seigneur, content de son obéissance, arrêta son bras par le ministère d'un ange, et lui déclara qu'un semblable sacrifice ne serait à ses yeux qu'un objet d'aversion (1). Ainsi cet exemple ne peut servir de fondement à des victimes humaines, parce que ceux qui avaient quelque connaissance du sacrifice auquel Abraham s'était préparé, ne devaient pas ignorer que Dieu ne l'avait point accepté, et qu'il avait même empêché qu'il ne fût consommé.

Le vœu de Jephté eut son exécution, il est vrai; mais quelques interprètes veulent que l'accomplissement ne s'en fit point par la mort réelle de sa fille, mais par la consécration perpétuelle de sa personne et de sa virginité; ce qui est nommé dans l'Ecriture du nom de mort (2), et ce qui devait sans doute être.

sitit, placatur voluntate non nece: filium enim sicut offerri jussit, sic non permisit occidi. (Chrysost., Serm. 18.)

(1) Dixitque ei: non extendas manum tuam super puerum, neque facias illi quidquam: nunc cognovi quod times deum, et non pepercisti unigenito filio tuo propter me. (Genèse, l. 22, P. 12.)

(2) Omnis consecratio quae offeretur ab homine, non redimetur, sed MORTE MORIETUR. (Levitic., l. 27, c. 29. ) L'hébreu et les septante font connaître qu'il est parlé ici d'une chose qui est consacrée à Dieu, de telle sorte qu'elle doit être détruite naturellement ou civilement pour sa gloire. On disait dans l'ancienne loi que ceux qui étaient consacrés au Seigneur pour tous les jours de leur vie, comme le fut Samuel, étaient morts d'une mort civile.

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