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très-sensible à un prince comme Jephté, puisque tout l'honneur d'un père, dans ces temps de l'ancienne loi, était d'avoir des enfans, à cause de l'espérance du Messie. Cependant, en adoptant même la réalité de l'immolation de la fille de Jephté, les Ecritures ne disent point du tout que ce sacrifice ait été agréable à Dieu. Plusieurs Pères de l'Eglise le condamnent, et taxent le vœu de Jephté de la plus grande témérité, et son accomplissement d'impiété (1). Ce second exemple ne prouve donc pas davantage que le premier.

J'ai vu des personnes savantes s'y prendre d'une autre manière pour trouver dans la véritable religion

(1) Quædam sunt quidem in se considerata bona (et secundùm hoc possunt cadere sub voto ); possunt tamen habere malum eventum, in quo non sunt observanda. Et sic accidit in voto Jephte, qui ut dicitur in Judicum II votum vovit Domino dicens : Si tradideris filios Ammon in manus meas, quicumque primus. egressus fuerit de foribus domus meæ, mihique occurerit in pace, eum offeram holocaustum Domino. Hoc autem poterat malum eventum habere, si occurreret ei aliquod animal non immolandum, sicut asinus vel homo, quod etiam accidit. Undè et Hieronymus dicit: In vovendo fuit stultus, quia discretionem non habuit; et in reddendo impius. Prætermittitur tamen ibidem, quòd factus est super eum spiritus Domini, quia fides et devotio ipsius, ex quá motus est ad vovendum, fuit à spiritu sancto. Propter quod ponitur in catalogo sanctorum; et propter victoriam quam obtinuit, et quia probabile est, eum pænituisse de facto iniquo, quod tamen aliquod bonum figurabat. ( S.-Thom., 2a% 2. q. 88. 2. 2TM. )

le fondement des victimes humaines. La foi nous apprend, disaient-ils, qu'il lui en a fallu une Théandrique. Peut-être que ceux qui abordèrent les premiers dans les Gaules avaient appris des descendans de Noé, qu'il viendrait quelqu'un qui par sa mort réparerait tout le mal des hommes et de la nature. De là à des victimes humaines, le chemin est court.

Cette objection est sans doute la plus solide qu'on puisse opposer. Mais il y a une différence essentielle entre le sacrifice de JÉSUS-CHRIST et tous ceux que les hommes ont offerts à telles divinités que ce puisse être. Et, en effet, quelle est l'idée que nous présentent ces sacrifices? Elle réunit trois choses : les hommes étaient les sacrificateurs, la victime était l'offrande, et la divinité était l'objet auquel on offrait cette victime: or, dans le sacrifice de JÉSUS-CHRist, les hommes n'y font nullement le rôle de sacrificateurs. Les Juifs n'ont fait mourir notre divin Sauveur que par l'effet de l'aveuglement et de la haine la plus envenimée, et ils ne l'ont présenté aux puissances de la terre que comme un criminel, un blasphémateur, un scélérat et un perturbateur du repos public: Vah qui destruis templum Dei, et in triduo illud reedificas: salva temetipsum : si filius Dei es, descende de cruce. Il est bien vrai que la mort de JÉSUS-CHRIST était un véritable sacrifice offert à Dieu, mais la victime était volontaire. JÉSUS-CHRIST était en même temps et le pontife et l'hostie. Il s'immolait lui-même à son Père pour tous les hommes qui, en qualité de pêcheurs, avaient tous mérité la mort, et

la mort éternelle. Ce n'était point de la part des hommes que Dieu avait exigé un pareil sacrifice, puisque bien loin d'avoir été de leur côté un acte de religion, ce déicide a été le plus grand de leurs crimes. On n'en peut donc nullement inférer que Dieu ait jamais demandé aux hommes des victimes humaines. Il est bien naturel de penser que cette espèce de sacrifices dans leurs mains ne pouvait être que le fruit de la superstition la plus barbare, suggérée par le déinon même, qui est l'ennemi de tout le genre humain, et qui ne cherche que sa perte et sa des

truction.

En fait de conjectures, j'en trouve une qui pourrait peut-être avoir servi de prétexte aux sacrifices humains. Nous voyons dans la Genèse (1), que Noé étant sorti de l'arche après le déluge, << dressa un << autel au Seigneur, et prenant de tous les animaux « et de tous les oiseaux les plus purs, les lui offrit << en holocauste sur cet autel. Dieu en reçut une « odeur qui lui fut très-agréable, et il dit : Je ne ré<< pandrai plus ma malédiction sur la terre à cause « des hommes..... » Qui sait si le même principe de corruption, de séduction et d'ignorance qui porta les hommes à multiplier la Divinité, et à rendre les honneurs divins à des statues informes, à des monstres et à des bêtes féroces, ne leur fit pas changer le sacrifice de Noé en des victimes humaines? Au reste, ce n'est ici qu'une pure conjecture; mais elle a des

(1) C. 8, p. 20.

avantages considérables au-dessus de celles qu'on propose ordinairement. 1° Le sacrifice de Noé fut réel, et l'Ecriture atteste qu'il fut agréable à Dieu : odoratusque est Dominus odorem suavitatis. 2° Toutes les nations devaient avoir connaissance de ce qui avait été pratiqué par leur père commun, au lieu qu'après la confusion des langues et la dispersion des hommes dans les différentes parties de l'univers, les peuples ignorèrent ce qui se passait dans d'autres pays que le leur. 3° Dieu commanda à Abraham de lui immoler son fils unique, non pas dans le dessein de recevoir en sacrifice une victime humaine, mais pour montrer que ses fidèles serviteurs étaient capables de faire pour son service ce que les idolâtres pratiquaient en l'honneur de leurs idoles. En effet, dans le chapitre xx du Lévitique, Dieu parle à Moïse de la sorte: « Vous direz ceci aux enfans d'Israël: Si un homme << d'entre les enfans d'Israël ou des étrangers qui de«< meurent dans Israël, donne de ses enfans à l'idole « de Moloch, qu'il soit puni de mort, et que peu<< ple du pays le lapide, J'arrêterai l'œil de ma colère << sur cet homme, et je le retrancherai du milieu de << son peuple, parce qu'il a donné de sa race à Mo<< loch (1), qu'il a profané mon sanctuaire, et qu'il

«

le

(1) Moloch était l'idole des Ammonites, qui consacraient à cette fausse divinité leurs propres enfans, en les faisant passer entre deux feux. (IV 1 Reg. XVI 3, XXI 6, XXIII 10,

" a souillé mon saint nom. Que si le peuple du pays faisait paraître de la négligence et comme du mépris «< pour mon commandement, laisse aller cet homme qui aura donné de ses enfans à Moloch, et ne veut « pas le tuer, j'arrêterai l'œil de ma colère sur cet << homme et sur sa famille, et je le retrancherai du <«< milieu de son peuple, lui et tous ceux qui ont « consenti à la fornication par laquelle il s'est pros«titué à Moloch. » Dans le chapitre xv du Deuteronome, Moïse dit au peuple, de la part de Dieu:

Vous ne rendrez point de semblable culte au Sei« gneur votre Dieu; car les nations ont fait pour ho<< norer leurs faux dieux, toutes les abominations « que le Seigneur a en horreur, leur offrant en << sacrifice leurs fils et leurs filles. >>

Quoi qu'il en soit, je trouve trois principes certains de la coutume barbare de sacrifier des hommes à la Divinité. Le premier est que les victimes humaines sont ce qu'il y a de plus agréable aux dieux, sentiment qu'un passage de Plutarque explique avec la plus grande clarté : j'emploie la version d'Amyot. « N'eût-il pas été meilleur pour ces Gaulois ou Tar<< tares - là du temps jadis, dit le philosophe grec, de «< n'avoir jamais eu aucun pensement, ni imagination, <«<< ni lecture ou connaissance des dieux, que de penser << qu'il y en eût qui se délectassent du sang humain

Paral. XXXIII 6.) Les Ammonites descendaient d'Ammon, second fils de Loth. (Genes. XIX, 38.)

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