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TITRE XII.

DES CONTRATS ALÉATOIRES

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1454. Le contrat aléatoire est une convention réciproque, dout les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l'une ou plusieurs d'entre elles, dépendent d'un événement incertain.

Tels sont le contrat d'assurance, le prét à grosse aventure, le jeu et le pari, le contrat de rente viagère. Les deux premiers sont régis par les lois maritimes (art. 1964, 1104, al. 2).

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1435. -La définition générale des conventions aléatoires, donnée au numéro précédent, s'adapte au jeu et au pari, que l'on peut spécialement définir : des promesses réciproques sous des conditions opposées. Ca, l'une partie promet de payer quelque chose pour le cas où un événement arrive, l'autre le promet pour le cas contraire.

Le jeu et le pari sont des conventions synallagmatiques réunissant toutes les conditions de validité des contrats en général, et, d'après les principes sur la matière, elles devraient produire tous leurs effets juridiques. Portalis, dans l'exposé de motifs n° 7, et Siméon, dans son rapport au tribunat no 4 (Locré, XV, 171 et 186) se sont laissé entrainer trop loin par leur zèle à réprouver le jeu quand ils ont dit que la promesse ou l'obligation contractée au jeu est sans cause. L'existence de la cause, d'après la définition que nous en avons donnée au n° 35, est évidente la cause de la promesse conditionnelle de l'une partie, c'est l'engagement pris par l'autre partie sous la condition con

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traire. D'ailleurs si la convention ayant pour objet un jeu ou un pari était sans cause, elle serait absolument nulle et ne produirait pas même une obligation naturelle; ce qui aurait été payé pourrait être répété, et la loi dit le contraire.

D'autres motifs ont jeté sur ces conventions la défaveur de la loi ; ce sont d'abord, la circonstance que le bénéfice fait par l'une partie n'est jamais l'équivalent d'une prestation qu'elle fait elle-mème; c'est un gain qui l'enrichit et appauvrit l'autre; ensuite, les manœuvres déloyales et frauduleuses qu'emploient souvent les joueurs de profession; enfin les conséquences désastreuses du jeu pour les individus, pour les familles et pour la morale.

1436. Le droit romain défendait de jouer de l'argent, excepté pour la consommation et dans les jeux qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps, et encore l'enjeu ne pouvait-il dépasser la valeur d'un solidus. Celui qui avait perdu dans un jeu ou un pari non autorisé, pouvait même, pendant cinquante ans, répéter, par la condictio indebiti, ce qu'il avait payé. Fr. 2, § 1, fr. 3 et 4 pr. D., de aleatoribus, 11, 5; l. 3, C., de aleatoribus, 3, 45.

Les capitulaires de Charlemagne, plusieurs conciles, les ordonnances de saint Louis et de beaucoup de ses successeurs contiennent des dispositions prohibitives des jeux. Bornons-nous à citer celle de Moulins de 1566, qui, dans son article 59, accordait aux mineurs seulement l'action en répétition des sommes perdues au jeu. La question de savoir si la dette de jeu payée par un majeur pouvait être répétée, était controversée. L'ancienne jurisprudence se prononçait contre la répétition et Pothier partageait cette opinion. Du jeu, no 8 et suiv. L'ordonnance de 1629, article 138, reproduit dans la déclaration du 1er mars 1781, article 10, déclarait « toutes dettes contractées pour le jeu nulles, et toutes obligations et promesses pour le jeu, quelque dé- · guisées qu'elles fussent, nulles et de nul effet, et déchargées de toutes obligations civiles et naturelles. »

Mais, malgré la sévérité de ces lois, la répétition de sommes perdues et payées ne fut pas admise. Troplong, Contrats aléatoires, n° 181. Le code civil est resté fidèle aux anciennes traditions.

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1437. La loi n'accorde aucune action pour une dette du jeu ou pour le payement d'un pari (art. 1965). On ne peut parvenir au

mème résultat par une voie indirecte. C'est pourquoi une dette de jeu, bien qu'on puisse la considérer comme une obligation naturelle, ne peut être cautionnée, ni faire l'objet d'une novation, ni être opposée en compensation (v. supra, n° 159, 258). Si elle a été, par novation, convertie en une dette nouvelle, on peut, pour la faire annuler, en prouver l'origine par témoins. Zachariæ, § 586, notes 4 et 5.

1438. Sont exceptés de la règle du numéro précédent les jeux propres à exercer au fait des armes, les courses à pied ou à cheval, les courses de chariot, le jeu de paume, et autres jeux de même nature qui tiennent à l'adresse et à l'exercice du corps. Néanmoins le tribunal peut rejeter la demande, quand la somme lui paraît excessive (art. 1966). Car, dans ce dernier cas, il parait évident que le but principal des parties a été le jeu de hasard, et non l'agrément ou l'exercice du corps.

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1459. Bien que la loi n'accorde aucune action en justice pour une dette de jeu, elle refuse cependant au perdant le droit de répéter ce qu'il a volontairement payé en exécution de sa convention, à moins qu'il n'y ait eu, de la part du gagnant, dol, supercherie ou escroquerie. La loi considère, avec Pothier, la dette du jeu comme une obligation naturelle, laquelle, acquittée volontairement, c'est à-dire sans contrainte ni erreur de fait ou de droit, ne peut être répétée. (Art. 1967, 1235 et nos 159 et 162.)

La répétition a lieu également lorsque les sommes ont été perdues et payées par une personne incapable de contracter, par un mineur, un interdit, un individu placé sous conseil judiciaire sans l'assistance de son conseil, par une femme mariée sans l'autorisation de son mari.

1440. L'enjeu est acquis de plein droit au gagnant, s'il a été mis sur la table en présence des parties. Car, par cela même que chaque partie a mis la chose en présence de l'autre (in conspectu posita est) de manière que cette dernière puisse s'en emparer sous la condition convenue, il y a transmission de possession ou tradition éventuelle, donc payement. Maynz, Éléments de droit romain, § 170, notes 48-50.

Mais, si alors le perdant s'en emparait, le gagnant aurait-il une action pour lui faire rendre l'enjeu? Oui, sans doute. Car, en réclamant l'enjeu en justice, le gagnant n'intente plus une action pour payement d'une dette de jeu, mais il demande la restitution d'une propriété dont il a été dépouillé injustement, par ruse ou par violence. Zachariæ, § 386, note 9. L'opinion contraire est professée par Troplong, Contrats aléatoires, no 201; mais sans motifs.

Et, par la même raison, il faut décider que le gagnant a une action contre le tiers, si l'enjeu a été remis à un tiers. La tradition a été faite au tiers, lequel détient pour le propriétaire éventuel. Zachariæ, mème endroit. Contra, Troplong, no 202.

1441. L'action en justice ne doit pas être refusée du chef des prêts qui ont été faits au joueur pour jouer, soit par un autre joueur, soit par un tiers. Ce n'est pas une dette de jeu.

CHAPITRE II.

DU CONTRAT DE RENTE VIAGÈRE.

NOTION ET INTRODUCTION HISTORIQUE.

1442.- La rente viagère est le droit à une prestation périodique déterminée, consistant en argent ou en autres choses, durant la vie du créancier ou d'une autre personne. Il ne faut pas confondre la rente viagère avec le contrat d'alimentation ou le bail à nourriture, qui était fort en usage pendant le moyen âge et qui l'est encore aujourd'hui dans beaucoup de contrées, surtout à la campagne. Ce dernier contrat, par lequel on stipule la nourriture, l'entretien et les soins en état de santé et de maladie, la vie durant, moyennant l'abandon d'un capital déterminé ou d'un fonds, renferme des obligations de faire qui ne sont pas appréciables en argent d'une manière précise ; il diffère beaucoup de la rente viagère et n'est pas régi par les principes qui règlent celle-ci. Cologne, 6 mai 1842 et 17 mars 1843; Bruxelles, ⋅ 15 mars 1845; cass. B., 7 février 1846 (B. J., 1, 7 et 1074; m, 715; Iv, 377). Troplong, Contr. aléatoires, no 230.

1443. Les legs de rentes annuelles et viagères étaient en usage chez les Romains, comme le prouve le fr. 8, D., de annuis legatis, 55, 1; mais le contrat de rente viagère leur était inconnu, du moins leur législation ne nous en a laissé aucune trace.

Il paraît que le contrat de rente viagère est une transformation du contrat d'alimentation ou bail à nourriture, appelé aussi démission de biens dans plusieurs coutumes françaises. Cette convention était trèsanciennement en usage chez les Francs et les nations germaniques, le

plus souvent entre personnes de la même famille et comme succession anticipée; de là le terme démission de biens. Nous en trouvons déjà un modèle dans la collection des formulaires du moine Marculfe qui date du milieu du vire siècle. Marculfi formula, lib. II, c. 13, dans Baluze, Capitularia regum Francorum, Paris 1687, t. II, p. 413. Vers la même époque, sous les deux premières races des rois de France, nous trouvons une autre institution à laquelle se rattache l'origine du contrat de rente viagère, ce sont les précaires. Un particulier aliénait à perpétuité à une église ou à un monastère un fonds de terre ou un capital en argent, et il recevait, en retour, des usufruits ou des rentes à vie d'un produit supérieur à celui du fonds ou du capital aliéné. Par un capitulaire de 846, Charles le Chauve défend de faire des précaires des biens de l'Église, si celui qui donne à l'Église ne reçoit d'elle, outre l'usufruit de ce qu'il a donné, l'usufruit du double sur le fonds de l'Église; ou bien, dans le cas où il a renoncé à l'usufruit de ce qu'il a donné, si l'Église ne lui donne un usufruit de terres ecclésiastiques.valant le triple. Capitula Caroli Calvi, ţit. VII, 22. Baluze, t. II, p. 32; Troplong, Contr. aléat., n° 205.

Au moyen âge, plusieurs théologiens attaquèrent la validité du contrat de rente viagère, par le motif qu'il était usuraire; ils ne tenaient. pas compte de l'élément aléatoire qu'il renferme. Leur opinion, combattue d'ailleurs par d'autres autorités de la même science, ne prévalut pas.

SECTION PREMIÈRE.

DES CONDITIONS REQUISES POUR LA VALIDITÉ DE CE CONTRAT. (Art. 1968-1976.)

1444.1. La rente viagère peut être constituée à titre onéreux ou à titre gratuit. Elle est constituée à titre onéreux, lorsque celui qui contracte l'obligation de la payer reçoit comme équivalent une somme d'argent, ou une chose mobilière appréciable, ou un immeuble (art. 1968). Dans ce cas, le contrat est purement consensuel; il est parfait et produit ses effets, dès que les parties sont d'accord sur les deux prestations, sauf stipulation contraire; ainsi par exemple elles peuvent convenir que les arrérages ne commenceront à courir qu'à partir du moment où le créancier de la rente aura fait sa prestation.

La rente viagère constituée à titre onéreux est, sauf son caractère aléatoire et les conséquences qui en découlent, régie par les principes

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