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TITRE XVII.

DU NANTISSEMENT. (ART. 2071-2091.)

NOTIONS GÉNÉRALES ET INTRODUCTION HIstorique.

1580. Le gage, en sens général, est un droit en vertu duquel une personne peut poursuivre sur le bien d'autrui le payement de sa créance. C'est en ce sens que l'art. 2093 (loi hypothécaire, art. 8) dit que les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers.

En sens spécial, le gage implique, outre le droit de se faire payer, l'idée de sûretés spéciales accordées à un ou plusieurs créanciers d'un débiteur commun, à l'exclusion des autres créanciers. Les différentes espèces de gages, en ce sens, sont le gage proprement dit (art. 20752084), l'antichrèse (art. 2085-2091), tout droit de rétention (par exemple, art. 1948), les priviléges et les hypothèques.

1581. Le caractère commun de ces différentes espèces de gages est de donner aux créanciers le droit de poursuivre de préférence l'exécution d'une obligation sur les choses sur lesquelles le gage est établi. Mais ces diverses espèces de gages ne s'établissent pas de la même manière et n'ont pas les mêmes effets Dans ce titre, le code ne traite que du gage proprement dit et de l'antichrèse.

1582. Ce gage s'établit par le contrat de nantissement régulièrement formé. Le nantissement est un contrat réel unilatéral, par lequel le débiteur ou un tiers (art. 2077) remet au créancier une chose mobilière ou immobilière pour sûreté de sa dette (art. 2071, 2072). Le mot gage signifie tantôt le contrat de nantissement d'un meuble, tantôt la chose même donnée en gage.

1585. Il faut envisager le contrat de nantissement sous deux points de vue :

1° Comme contrat entre celui qui remet le gage et le créancier qui le reçoit. Ce contrat est un contrat réel, c'est-à-dire il n'est parfait que par la remise de la chose engagée. Le créancier seul contracte principalement une obligation, celle de garder et de rendre le gage après payement de la dette. Celui qui a donné le gage peut devenir accidentellement obligé (V. infra, no 1599);

2o Comme constituant un droit de préférence au profit du créancier

qui reçoit le gage. Sous ce rapport, il faut examiner les effets du nantissement à l'égard des tiers.

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1584. Les dispositions du code contenues dans le premier chapitre du présent titre (art. 2073-2083) ne sont applicables ni aux matières de commerce, ni aux maisons de prêt sur gage autorisées, et à l'égard desquelles on suit les lois et règlements qui les concernent (art. 2084). V., sur les monts-de-piété, la loi belge du 50 avril 1848. 1585. L'histoire du droit romain concernant le gage et l'hypothèque a été traitée par M. Maynz, Elements de droit romain (2e éd.), § 239 et 240.

Le contrat de gage (gagium, wadium) était usité chez les anciennes populations germaniques et au moyen âge. Les lois barbares, surtout celle des Visigoths, renferment plusieurs dispositions qui le concernent. Le débiteur remettait au créancier une chose mobilière ou immobilière pour sûreté de son droit. Si le gage était un immeuble, la mise en possession se faisait, d'après beaucoup de coutumes, avec les formalités appelées dessaisine et saisine, ou vest et devest; elle n'attribuait pas au créancier la propriété de la chose, mais seulement le droit d'en maintenir la possession jusqu'au`payement de la dette, et d'en provoquer la vente en justice, si le débiteur ne payait pas.

On distinguait deux espèces de gage : le vif-gage et le mort-gage. On disait Vif-gage est qui s'acquitte de ses issues; mort-gage qui de rien ne s'acquitte; c'est-à-dire le vif-gage est celui qui s'acquitte luimême, et dont le créancier prend les fruits en payement de sa dette; le mort-gage est celui qui ne s'acquitte pas lui-même, ou dont les fruits appartiennent au créancier, en pure perte pour le débiteur. Loysel, Institutes coutumières, nos 483, 484. Le mort-gage, c'était l'antichrèse, appelé aussi contrat d'engagement, par lequel on remettait au créancier la possession d'un immeuble pour sûreté de sa créance, avec la faculté d'en percevoir les fruits à son profit. Ce contrat, très-usité au moyen âge, ayant été défendu par les lois canoniques comme usuraire, sauf dans quelques cas exceptionnels, on se servait d'une autre forme pour arriver au même résultat; le débiteur vendait son immeuble au créancier, avec faculté de rachat ou de réméré. Ce contrat était aussi appelé Contrat pignoratif. Plus tard l'antichrèse fut remplacée par l'usage des hypothèques, et le gage mobilier fut régi par les principes du droit romain sur le pignus.

Les dispositions du code ont été puisées principalement dans le traité de Pothier du Nantissement et de l'antichrèse.

CHAPITRE PREMIER.

DU GAGE. (ART. 2073-2084.)

1586.

NOTION ET CONDITIONS REQUISES.

Le contrat de gage, ou le gage, est une convention par laquelle le débiteur ou un tiers remet au créancier une chose mobilière, corporelle ou incorporelle, dans le but de donner à ce dernier une sùreté pour l'exécution d'une obligation. C'est un contrat réel, qui se parfait par la remise de la chose. Ce contrat est unilatéral; il fait naitre une obligation principale seulement pour le créancier qui est nanti du gage. V. supra, no 1583.

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1587. — Pour faire naître entre le créancier et le débiteur les obligations qui résultent de ce contrat, il suffit qu'une chose ait été remise au premier dans l'intention de constituer un gage. Aucune formalité n'est requise pour la validité de ce contrat entre les parties. Il peut exister et produire des obligations personnelles entre les parties, alors même qu'il n'aurait pas pour effet de constituer, au profit du créancier, le droit de se faire payer sur la chose même. Par cela seul que le créancier reçoit la chose, il contracte l'obligation de veiller à sa conservation et de la rendre éventuellement (art. 2080). Cette obligation, le créancier la contracte même dans le cas où il a reçu, à titre de gage, une chose d'autrui, sur laquelle il ne peut pas acquérir le droit de se faire payer.

Le gage, étant une convention accessoire, suppose nécessairement l'existence d'une dette, pour sûreté de laquelle il a été donné. Le gage n'a donc pas d'existence légale, s'il n'y a pas de dette. Néanmoins, la seule remise d'une chose à titre de gage, quand même il n'y aurait pas de dette, produit entre celui qui reçoit la chose et celui qui la donne les obligations personnelles résultant de ce contrat.

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1588. Pour que le créancier acquière sur la chose un droit de gage, c'est-à-dire le droit de se faire payer sur cette chose, il faut qu'il y ait: 1o une dette valable; 2° une chose susceptible d'être donnée en gage.

1589.

Pour pouvoir donner une chose en gage, il faut en être

propriétaire et avoir la capacité d'en disposer. Cependant, le créancier qui a reçu de bonne foi, à titre de gage, une chose dont celui qui l'a remise n'était pas propriétaire, peut en refuser la restitution au véritable propriétaire, excepté dans le cas de vol ou de perte (arg. art. 2279, 1141).

1590. Entre les parties, le gage se contracte par la seule remise de la chose. Bruxelles, 25 mars 1861, et cass., 28 mai 1861 (B. J., XIX, 637, 860; P. 1861, 317). Mais, pour que le créancier acquière un droit de préférence sur les autres créanciers, il faut la réunion des conditions suivantes :

1° En matière excédant la valeur de 150 francs, le gage doit être constaté par acte authentique ou sous seing privé, dùment enregistré (art. 2074). La matière excède la valeur de 150 francs lorsque la somme due dépasse ce chiffre ET que la chose engagée dépasse la valeur de 150 francs. Duranton, n° 511. Si l'une ou l'autre est inférieure à ce chiffre, il n'est pas nécessaire que l'acte soit fait par écrit. Car, la somme pour laquelle il y a conflit d'intérêt entre le créancier nanti et les autres créanciers, est en tous cas inférieure à 150 francs, lorsque soit la valeur de l'objet mis en gage, soit la créance ne s'élève pas à ce chiffre. Zachariæ, § 453, note 1.

Mais l'enregistrement n'est pas une formalité substantielle, requise pour que le gage ait de l'effet à l'égard des tiers. Il a pour but de donner date certaine au contrat et de prévenir la fraude entre le détenteur et le propriétaire du gage. La date certaine peut donc aussi être établie par une des autres causes énumérées dans l'art. 1328 (supra, no 334); Troplong, nos 196-199. Duranton, no 514, est d'une opinion contraire, mais à tort. Car, la disposition de l'art. 2074 est conforme à celle des art. 8 et 9 du titre VI de l'ordonnance de 1673 qui n'avait jamais été expliquée et exécutée que dans l'intérêt des tiers, et pour assurer la date du nantissement, en cas de faillite du débiteur. Gary, dans le rapport au tribunat, no 7 (Locré, XVI, 38). Il faut admettre, par le même motif, que la preuve du gage peut se faire par témoins ou par présomptions, lorsque le titre constitutif est perdu, ou lorsqu'il y a un commencement de preuve par écrit ayant date certaine (art. 1347, 1348, 4°, supra, no 390-394). Pour avoir effet entre les parties, l'acte sous seing privé constatant le gage ne doit pas nécessairement être fait en double. Car ce n'est pas un contrat synallagmatique ; le créancier seul est obligé à la restitution envers le débiteur; il suffit donc d'un écrit unilatéral entre les mains du dé

biteur pour prouver la remise. Mais, pour pouvoir établir son droit de préférence à l'égard des tiers, le créancier doit avoir un acte écrit, à moins que la chose ne soit inférieure à 150 francs, ou qu'il ne se trouve dans un des cas d'exception qui viennent d'être mentionnés. 1591.2° L'acte doit contenir la déclaration du montant de la créance pour laquelle le gage est constitué, mais il n'est pas nécessaire qu'il indique la cause ni l'époque de l'exigibilité de cette créance, ni la nature et la date de l'acte qui la constate (arg. art. 2148, n° 4, et loi hypothécaire, art. 83, 4o).

15925° L'acte doit contenir l'indication de l'espèce et de la nature des choses remises en gage; ou bien, il faut qu'il y soit annexé un état de leurs qualité, poids et mesure (art. 2074). Cette disposition est énonciative, en ce qu'elle prescrit d'indiquer la qualité, le poids et la mesure de ces choses. Il faut une désignation qui permette de distinguer suffisamment l'individualité des choses données en gage, pour que l'on ne puisse pas en substituer d'autres à leur place. Si quelques objets sont suffisamment désignés et que d'autres ne le soient pas, le gage est nul quant à ces derniers.

L'état annexé, dans lequel la loi permet de désigner les choses, doit faire un ensemble inséparable avec l'acte constitutif du gage, ou bien il doit en être spécialement fait mention dans ce dernier. L'acte annexé doit aussi avoir date certaine; autrement il serait trop facile d'y substituer un autre état annexé. Ordonnance de 1673, art. 9. Pothier, Nantissement, no 17.

1593.

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4° Il faut remise de la chose au créancier, c'est-à-dire le privilége ne subsiste sur le gage qu'autant que ce gage a été mis et est resté en la possession du créancier ou d'un tiers convenu entre les parties (art. 2076). Autrement, le gage n'aurait pas de base solide; si le créancier ou un tiers pour lui, n'en avait la possession, le débiteur serait maître de le lui soustraire quand il voudrait, le gage n'ayant pas de suite sur les meubles. Il suffit que le créaucier ait été nanti du gage avant toute saisie de la part des tiers.

Sur la manière dont se fait la mise en possession, voy. les art. 1606, 1607, 1689 et supra, n° 974-978.

1594.5° Si une chose incorporelle, par exemple une créance, a été donnée en gage, le privilége du créancier gagiste ne s'établit que par acte public, ou sous seing privé, aussi enregistré, et signifié au débiteur de la créance donnée en gage (art. 2075). Car, ce n'est que par la signification du titre de la cession faite au débiteur

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