Page images
PDF
EPUB

2039. — On se demande si la transaction est un juste titre d'usucapion? La question, posée d'une manière aussi générale, ne peut être résolue que par une distinction. La transaction est une forme générale, une convention qui peut renfermer des conventions translatives ou déclaratives de propriété. Il faut donc examiner ce que les parties ont fait par la transaction. Ainsi, par exemple, si la transaction renferme un véritable transfert du droit de propriété, elle peut servir de titre à l'usucapion. Mais si la transaction a seulement pour but de faire déclarer ou reconnaître un titre antérieur, ce sera le titre reconnu qui formera la base de l'usucapion.

2040. tionnel.

Plusieurs questions se soulèvent au sujet du titre condi

Si le titre porte en lui-même un obstacle à son efficacité, il ne peut pas servir à l'usucapion; par exemple lorsque l'effet de l'acte dépend de l'accomplissement d'une condition suspensive, il ne peut pas servir à l'usucapion, tant que la condition ne s'est pas accomplie. Si l'acte translatif de propriété a été consenti sous une condition résolutoire, l'usucapion a lieu, sauf résolution en cas d'accomplissement de la condition. Toutefois ce n'est pas le tiers propriétaire de la chose possédée qui peut avoir le droit de demander la résiliation de l'acte, mais seulement le con'ractant qui a stipulé la condition résolutoire.

2041. Appliquons ces principes.

1° Lorsque j'ai acquis un immeuble sous une condition suspensive, que j'ai été mis en possession et que la condition ne s'est accomplie que plus de dix ans après mon entrée en possession, je ne puis pas opposer l'usucapion à celui qui me l'a transmis conditionnellement; abstraction faite de la nature du titre, le transmettant pourrait exciper de ma mauvaise foi.

2o Le raisonnement est le même si la condition est résolutoire. Malgré mes dix années de possession, le transmettant rentrerait dans sa propriété.

3o J'ai acheté une chose sur laquelle un tiers avait un droit dépendant d'une condition suspensive ou résolutoire; si j'ai connu ce droit, ma mauvaise foi s'oppose à mon usucapion contre le tiers; si je l'ai ignoré, je puis usucaper en principe, à moins que mon usucapion n'ait été suspendue par la règle Contra agere non valentem non currit præscriptio (supra, no 2005). Bruxelles, 18 décembre 1851 (B. J., x, 77; P., 1852, 72). Toutefois cette règle est modifiée en Belgique par l'art. 108 de la loi hypothécaire du 16 décembre 1831, dans le cas où

l'action résolutoire est fondée sur le non-payement du prix de la vente; alors elle suit le sort du privilége du vendeur (supra, no 1919).

2042.-4° On a acquis sous une condition la chose d'autrui; peuton l'usucaper contre le propriétaire? Par exemple, Pierre possède un immeuble appartenant à Paul. Il donne cet immeuble en dot à sa fille, laquelle ignore qu'il appartient à autrui, mais sous la condition résolutoire que Pierre en redeviendra propriétaire dans le cas où le mariage serait dissous sans enfant. Le mariage a duré plus de dix ans. Il faut distinguer deux hypothèses :

A. Le mariage s'est dissous avec enfants. Paul peut-il revendiquer l'immeuble? Non, car l'usucapion s'est accomplie au profit de la femme; elle a eu un juste titre, et elle peut opposer à Paul la possession décennale. Ce dernier ne peut invoquer la condition résolutoire, d'abord parce que ce n'est pas lui qui l'a stipulée et qu'elle est à son égard res inter tertios acta, et puis, s'il pouvait l'invoquer, elle ne serait pas accomplie.

B. Le mariage s'est dissous sans enfant. Pierre peut répéter la dot, et la femme ne peut pas lui opposer l'usucapion; car la répétition a lieu en vertu d'un droit contractuellement stipulé; ce droit ne serait prescrit que par trente ans à partir du jour de la dissolution du mariage. Si Pierre était alors rentré en possession de cet immeuble, le propriétaire pourrait-il revendiquer contre lui? Distinguez:

a. Si Pierre avait possédé contre son titre; oui, toujours (supra, n° 2018).

b. S'il avait possédé pendant plus de trente ans, sans titre, l'action revendicatoire serait prescrite; Pierre aurait usucapé. La possession intermédiaire de sa fille n'a pas interrompu l'usucapion, parce qu'elle est censée non avenue par l'arrivée de la condition résolutoire.

c. S'il n'y avait pas encore trente ans depuis le commencement de sa possession sans titre, il ne pourrait opposer à l'action revendicatoire ni la prescription, ni l'usucapion, ni l'usucapion de sa fille. Car il a possédé sans titre. Il ne peut pas invoquer l'usucapion qui s'est accomplie entre les mains de sa fille. Les droits de Pierre sont les mêmes que ceux qu'il avait sur l'immeuble avant de l'avoir constitué en dot. Il n'est pas successeur de sa fille et n'a pas acquis le fonds en vertu d'un titre nouveau. La condition résolutoire et son effet rétroactif ont remis les choses dans l'état où elles étaient avant la constitution de dot. Pierre est donc censé avoir toujours possédé l'immeuble sans titre.

Mais si, dans l'hypothèse que le mariage aurait été dissous avec enfant, Pierre avait acquis le même immeuble en vertu d'un titre nouveau de sa fille, après qu'elle l'aurait possédé pendant plus de dix aus, il serait à l'abri de toute revendication de la part du propriétaire, parce qu'alors il aurait acquis une véritable propriété.

2043. Peut-on usucaper en vertu d'un titre putatif, c'est-à-dire lorsque le titre que l'on invoque ne se rapporte pas à l'objet de la possession, ou lorsqu'on croit avoir un titre sans l'avoir réellement? La question était controversée parmi les anciens jurisconsultes. Pothier était pour l'affirmative, d'Argentré pour la négative. D'après le code, il faut la décider négativement. Zachariæ, S217; Troplong, no 888-889.

Motifs Le code exige formellement, pour usucaper, la réunion de deux conditions: de la bonne foi et du juste titre (art. 2265, 2267, 2268). L'opinion contraire conduit au résultat que la croyance à un juste titre, c'est-à-dire la bonne foi seule sans titre, suffit pour usucaper. La bonne foi est un fait intérieur, dont rien ne peut prouver l'existence; elle est présumée jusqu'à preuve contraire (art. 2268). Comment pourrait-on justifier le législateur de présumer le possesseur d'une chose d'autrui de bonne foi (car il est plus naturel de le présumer de mauvaise foi), si cette bonne foi ne doit pas reposer sur un fait patent et prouvé, c'est-à-dire sur un juste titre? Si le juste titre n'existait pas, pourrait-on présumer que le possesseur aurait de bonne foi l'opinion qu'il possède un titre? Et si cette dernière présomption était admise, l'adversaire devrait prouver la mauvaise foi, ce qui serait le plus souvent très-difficile. Ce serait en même temps une grande injustice que d'attacher la présomption de bonne foi à toute possession quelconque, même à celle sans titre. Si l'on ne veut pas admettre la présomption que celui qui possède sans titre a la conviction d'en avoir un, on doit en exiger la preuve, et cela nous conduit précisément à la théorie du code, consistant à dire qu'il faut un juste titre réel, afin que l'on puisse présumer la bonne foi.

3044. — De là il résulte : 1o que celui qui se croit héritier ne peut pas usucaper les biens de la succession; 2° que celui qui se croit héritier sans l'être, et qui trouve dans la succession un immeuble d'autrui, ne peut pas l'usucaper; 3° que celui qui a reçu un legs dans l'opinion qu'il y avait un testament, ou en vertu d'un testament nul, ne peut pas usucaper la chose léguée; 4o que celui qui possède un fonds qu'il croit avoir été acheté par son mandataire, ne peut pas l'usucaper; 5° que celui qui a reçu une chose pour une autre qu'il avait acquise, ne peut

pas usucaper la première, car il faut que le titre s'applique en réalité à l'objet de la possession; 6° que celui qui a reçu un legs en vertu d'un testament qui a été plus tard révoqué par un autre testament, ne peut pas usucaper la chose.

Dans tous ces cas, il n'y a pas un titre réel, mais sculement un litre putatif. La bonne foi de celui qui a possédé en vertu d'un titre putatif suffit pour lui faire acquérir les fruits, mais non pas pour conduire à l'usucapion (art. 549, 550).

2045. L'usucapion fondée sur un juste titre ne court qu'à partir du moment de la prise de possession, et non à partir de la date du titre; car pour usucaper, il faut posséder.

Mais en Belgique, faut-il, d'après la loi hypothécaire du 16 décembre 1851, la transcription du titre translatif de propriété pour que l'usucapion puisse commencer à courir? Nous ne le pensons pas. L'art. 1er de cette loi ne parle que des actes translatifs de propriété émanés du véritable propriétaire, et de leur effet à l'égard des tiers, c'està-dire d'autres personnes avec lesquelles le propriétaire a contracté.

Au surplus, quelle serait l'utilité de cette transcription? Le véritable propriétaire ne peut jamais ignorer qu'il n'est pas possesseur du fonds, dont le tiers a commencé l'usucapion.

II. DE LA BONNE FOI.

2046.-L'acquéreur est de bonne foi lorsqu'il a la conviction d'avoir réellement acquis le droit qui lui a été transmis par son titre. Il doit donc ignorer qu'un autre que le transmettant avait ce droit de propriété ou de servitude. Il suffit que la bonne foi existe au moment de l'acquisition; il n'est pas nécessaire qu'elle existe encore lors de la tradition (art. 2269), à la différence du droit romain, qui exige la bonne foi au moment de la tradition, et, en cas de vente, dans les deux moments. La mauvaise foi qui survient pendant la possession n'empêche pas l'usucapion. Mala fides superveniens non nocet (art. 2265,2268, 2269). Il en est autrement dans l'acquisition des fruits (art. 550). 2047. La boune foi étant un fait purement intérieur, ne peut pas ètre prouvée; c'est pourquoi elle est toujours présumée lorsqu'elle est soutenue d'un juste titre d'acquisition. C'est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver. Cette preuve peut se faire par tous les moyens de droit, même par témoins, sans commencement de preuve par écrit (art. 2268, 1348, no 5; supra, no 395).

[ocr errors]

CHAPITRE VI.

DE LA PRESCRIPTION PROPREMENT DITE.

SECTION PREMIÈRE.

DE LA PRESCRIPTION DES ACTIONS.

2048.

I. CONDITIONS REQUISES POUR LA PRESCRIPTION.

Nous avons exposé aux nos 1967-2003 les règles communes à l'usucapion et à la prescription. Nous expliquerons maintenant les autres conditions spéciales requises pour la prescription proprement dite ou extinctive.

Trois conditions sont nécessaires pour qu'elle puisse avoir lieu; il faut 1° que l'action soit prescriptible en principe; 2° qu'elle ait pris naissance (actio nata), et 3° que le laps de temps requis par la loi soit accompli.

2049.

A. Il faut que l'action soit prescriptible.

Toutes les actions sont prescriptibles; c'est la règle. Elle s'applique aussi aux actions qui ont pour objet l'exercice d'une faculté établie par convention, par exemple de la faculté de bàtir sur le terrain d'autrui. Ces facultés naissent d'un contrat: on les fait valoir par une action; et toutes les actions sont prescriptibles.

Il n'en est pas de même des facultés légales ou naturelles que la loi appelle actes de pure faculté (art. 2232); elles sont de leur nature imprescriptibles, comme la liberté de l'homme, dont elles sont la conséquence; par exemple l'usage que je fais de ma propriété ou la faculté d'acquérir la mitoyenneté du mur de séparation de mon voisin (art. 661). Elles ne peuvent s'éteindre par non-usage qu'autant qu'il 'y ait une contradiction formelle à leur exercice, et dans les cas prévus par la loi.

2050. La règle de la prescriptibilité des actions souffre les exceptions suivantes :

"

« PreviousContinue »