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leur dire mon secret; mais je devois me réserver pour mes fils aînés (1).

>> A trois lieues de Grenoble je rencontre pour la première fois un bataillon. Ce bataillon étoit retranché sur une colline, et avoit ordre de n'écouter aucuns parlementaires.... Je jette ma capotte, je m'avance sous le retranchement. Je crie aux soldats: Me reconnoissez-vous, camarades? Allons faites feu, tirez sur moi, sur votre empereur. A l'instant les fusils sont en l'air, les soldats sautent par-dessus le retranchement pour arriver plus tôt dans mes bras... Dès ce moment tout fut décidé! Le commandant de cette troupe n'osoit se présenter devant moi; je le fis venir; je le rassurai. Je ne vous en veux pas, lui dis-je,

vous êtes un brave homme. Je vous connois. Servez-moi fidèlement. Un soufflet d'amitié fut toute sa punition.... (2).

(1) Quel privilége que le droit d'aînesse dans certains cas (2) Le ton fanfaron avec lequel Buonaparte parle de cet événement, la jactance avec laquelle il s'encense lui-même, la manière dont il mêle le vrai et le faux, tout nous fait croire qu'il y eut dans l'action qu'il s'attribue autant de charlatanisme que dans son récit, et plus de supercherie que de danger

pour sa personne.

La vérité est que le bataillon n'étoit point retranché; qu'il 'continuoit sa retraite, et fut surpris dans sa marche par Buo

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» A Lyon, M. le comte d'Artois faisoit tous ses efforts pour engager la garnison à m'attaquer. Il avoit fait distribuer à chaque soldat deux petits écus. On les avoit pris, mais on n'étoit pas plus disposé à seconder ses désirs. Il s'approcha d'un vieux dragon, couvert de blessures, portant trois chevrons, et chercha à exciter son zèle pour la cause royale. Je ne combats pas pour les traîtres, lui répondit le dragon, c'est l'ennemi qui vous a amené parmi nous, que l'ennemi vous défende! le moment est venu de vous dire la vérité..... (1).

J'ai passé une revue à Lyon. Ils étoient étonnés de me voir gourmander les soldats et les chefs C'est comme autrefois, disoient-ils, il passe sa revue comme avant son départ! Pen

parte qui arriva au galop au milieu de cette troupe, dont ses lanciers avoient retardé la marche par des démonstrations d'amitié.

(1) Le dragon n'a jamais dit de pareille vérité au prince. Buonaparte a trouvé plaisante la petite scène dramatique qu'il a imaginée.

Le dragon savoit bien que Buonaparte avoit été renversé par l'étranger; mais il savoit aussi que Louis XVIII avoit été rappelé au trône de ses pères par l'amour de ses peuples. Carnot lui-même a fait l'aveu de cette vérité jusque dans son Mémoire apologétique du régicide. Buonaparte, n'osant pas mentir contre un fait si notoire, glisse le mensonge par la bouche du dragon qu'il appelle à son aide.

soient-ils que je dusse flatter l'armée? Non, ce n'est pas ainsi que je m'attache le soldat..... Il sait bien qu'un reproche ou une punition do ma part sont souvent une marque d'amitié.

» De Lyon, j'ai réglé ce qui doit être fait. Je casse la chambre des pairs, parce qu'elle est composée en partie de gens qui n'ont eu pour titre d'admission que celui d'avoir porté les armes contre leur patrie pendant vingt-cinq ans. Je casse la chambre des députés, parce que leurs pouvoirs sont expirés, et que n'ayant pas été réélus d'une manière légale, ils ne sont plus les représentans de la nation.

» Je supprime toute la noblesse féodale (1). Je dissous la maison du Roi..... Je convoque à Paris, en assemblée du Champ-de-Mai, tous les colléges électoraux ; je réunis ainsi trois cent mille homines autour de moi, et je ne crains point que leur vœu soit manifesté. Les Bourbons ne l'ont pas osé, et je l'ose (2).

>>

(1) Buonaparte connoissoit le pouvoir d'un mot mis en sa place. Il parle sans cesse de noblesse féodale, de monarchie féodale. Mais le gouvernement féodal étoit détruit en France depuis des siècles; et c'est sur ses derniers débris que le trône de Louis XIV s'étoit élevé si fort et si puissant. Buonaparte seul travailloit à rétablir en France et en Europe le régime féodal, suite nécessaire d'un gouvernement militaire.

(2) On sait que les 300,000 hommes se réduisirent à 3,000

Cette conversation (qu'on ne rapporte pas tout entière, mais dont on ne rapporte rien qui n'ait été dit à peu près dans les mêmes termes) dura une heure et demie.

Dix fois les trois fonctionnaires tentèrent de prendre congé. Buonaparte les retenoit toujours par quelques nouvelles questions, ou par quelque suite des précédentes.

Il y mit de sa part de la gaieté, de l'abandon, un grand laissez-aller, une familiarité portée à l'excès.

Plusieurs fois il tomba dans des contradictions et des démentis qu'il se donnoit à lui-même. Mais sa physionomie mentoit plus adroitement que sa langue. Jamais elle ne trahit son secret, l'on ne vit point sa figure, quelque mobile qu'elle fût, donner un seul démenti à ses paroles.

et

Quoiqu'il eût fait le bon apôtre, et essayé de ramener dans la personne d'un fonctionnaire, peu accommodant, bien d'autres esprits non moins récalcitrans, Napoléon vit bien qu'il ne pouvoit pas se flatter d'avoir converti ce maire, et il fut remplacé dès le soir même.

électeurs, et qu'après cette cérémonie, les affaires de Buonaparte ne se trouvèrent pas aussi avancées qu'il sembloit l'espérer lorsqu'il rendit le décret de convocation à Lyon.

Le vendredi 17, Buonaparte se fit apportertoutes les lettres arrivées de Paris, et d'ailleurs. Il fouilla dans le secret de cette correspondance, et partit après cette opération le matin vers midi.

Il vint déjeûner à Vermanton, et coucher à 'Auxerre, où il fut reçu par le préfet Gamot, qui étoit resté fidèle à son poste.

C'est ainsi que Buonaparte qualifia la conduite de ce préfet, le premier qu'il eût trouvé à son poste, et qui, oubliant le serment qu'il avoit fait au Roi, vint complimenter l'usurpateur, à la tête des autorités de la ville et du dépar

tement.

Parmi ceux qui donnèrent l'exemple de la fidélité, il faut citer le général Boudin, commandant le département, qui s'étoit retiré à Troyes, après avoir fait arrêter le général Ameil, l'un des embaucheurs de Buonaparte.

Il faut citer aussi le clergé d'Auxerre, et surtout son chef, M. l'abbé Viart, vicaire-général et curé de la cathédrale, dont la conduite mérite d'être rapportée en détail.

Buonaparte fut à peine arrivé, qu'il fit avertir cet ecclésiastique de se rendre à la préfecture avec le clergé, pour lui offrir ses hommages. Mais il n'obtint qu'un refus positif. Un second message plus impératif fut suivi d'un second

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