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refus. Un troisième message fut fait et accompagné de menaces. M. Viart promit de se rendre. Mais le moment d'un exercice public à l'église approchoit, et le digne pasteur ne vouloit rien. déranger. On se lassoit de ne pas le voir arriver: on lui donna l'ordre de se rendre de suite; mais il répondit: Dieu avant les hommes, et se rendit à l'église. Après l'instruction, M. le curé proposa, non aux desservans de la ville, parce qu'ils s'attachoient à faire le moins possible, mais au clergé de son église, de se rendre avec lui chez Buonaparte. Plusieurs demandèrent à être dispensés de cette visite. M. le curé les laissa libres, disant qu'il voudroit bien n'être pas nommément appelé, qu'il resteroit avec eux'; quelques autres l'accompagnèrent. Arrivé à la préfecture, on lui dit que S. M. ne donne plus audience. M. Viart ravi s'en revient chez lui. Mais le préfet accourt et le ramène. Après avoir attendu une demi-heure, il est introduit. M. Viart, qui ne vouloit pas qu'on crût qu'il étoit venu honorer l'idole, n'avoit point pris de manteau long; il dit en entrant: « Nous » sommes appelés; nous nous présentons pour » que vous nous fassiez connoître vos volontés.

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Buonaparte: Les prêtres sont tous des factieux. » Le curé: Je n'en connois point qui puissent » passer pour tels.-- Buonaparte: Tous les paysans

» vous détestent.

Le curé: Si vous interrogiez

» les classes supérieures de la société, vous décou» vririez qu'au moins là nous obtenons quelque » confiance et de l'estime.

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Buonaparte: Vous ne parlez que de dimes. Le curé: Voilà peut-être la première fois » qu'on en parle ici, et ce n'est pas la bouche >> d'un prêtre qui profère ce mot.-Buonaparte: » Les prêtres....., les prêtres; c'est pourtant moi » qui ai fait leur fortune. Le curé : Le bienfait » n'est pas oublié; toutefois, qu'il soit permis » de dire que cette fortune est insuffisante. » — Buonaparte: Les prêtres n'ont pas davantage » dans tous les Etats de l'Europe.

» Le curé: Apparemment que dans ces » divers Etats, il y a des ressources locales qui » font que c'est assez. Il est connu qu'en France >> c'est le contraire. -Buonaparte: Les prêtres ne » doivent point avoir plus, l'Evangile leur prescrit >> le détachement. - Le curé Il le prescrit à » tous; mais ils ne se plaignent pas. Si le peuple grossier ne prenoit prétexte de leur indigence » pour les moins honorer, et si le succès de leur » ministère n'en étoit pas compromis, ils se >> tairoient là-dessus. -Buonaparte: Assez, assez, » c'est assez. Le curé: Vous-même, cependant, >> vous avez tellement reconnu que ce n'est point

» assez, que vous avez permis d'avoir recours à » la voie des supplémens.

» Retirez vous. »

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Buonaparte: Allez,

A ces mots prononcés avec colère, et accompagnés d'un geste du pied, le curé leva la main et dit : « Béni soit celui qui nous humilie » et se retira (1).

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Le samedi 18, Buonaparte se reposa à Auxerre, attendant l'arrivée de ses troupes, et des nouvelles de Paris.

C'est ici le lieu de retracer quelques traits du tableau qu'offroit la capitale, depuis que la fatale nouvelle y étoit parvenue.

Elle fut connue du gouvernement, le dimanche 5; commença à se répandre le lundi 6, et fut annoncée officiellement dans le Moniteur

:

(1) Son Altesse Royale M8 le duc d'Angoulème a vengé l'intrépide pasteur de ce traitement de mépris, par un accueil bien différent qu'il lui fit, lors de son passage à Auxerre, au mois de novembre dernier après une courte harangue, dans laquelle ce digne ecclésiastique fit contraster le bon prince avec le tyran, par la différence des deux passages : « Je sais, >> lui répondit Son Altesse Royale, je sais, M. le curé, votre » parfaite tenue : ce n'est pas à vous qu'il faut recommander » de chérir et de servir le Roi. Ces mots aimables furent dits de l'air le plus gracieux. Puis prenant un air sévère, et se tournant vers la foule des fonctionnaires, où s'en trouvoient plusieurs de mauvais : « C'est ainsi, dit Son Altesse Royale, » que chacun auroit dù faire. »>

du 7, où parut l'ordonnance du Roi contre Buonaparte, et celle qui convoquoit les deux chambres. Une entreprise si singulière ne fut d'abord qu'une matière à plaisanteries dans les sociétés, et le texte d'une foule d'adresses de la part des autorités civiles et militaires; mais avant la fin de la semaine, on apprit l'entrée de Buonaparte à Grenoble.

Les adresses, les ordonnances, et les articles les plus vigoureux continuèrent à remplir les feuilles publiques.

Les gardes nationales furent organisées, et les conseils-généraux convoqués.

Une mesure bien plus extraordinaire fut le rappel des officiers à la demi-solde, classe de mécontens qui avoient été exaspérés par leur retraite forcée, et encore plus par la conduite brutale du ministre à leur égard (1).

On fut donc bien surpris de voir armer de tels défenseurs pour le soutien du trône, et cette mesure acheva de soulever l'opinion contre un ministre qui déjà avoit compromis l'autorité royale dans plusieurs actes tels que l'accusation d'Excelmans, qui n'aboutit qu'au triomphe de

l'accusé.

(1) Il leur disoit pour toute réponse à leurs Mémoires et à leurs,besoins: Noyez-vous,

On ne se fia plus au royalisme affecté d'un homme qui, d'une main, avoit préparé un monument aux victimes de Quiberon, et de l'autre avoit repoussé des officiers qu'il rappeloit. Loin d'être rassuré par l'ordre du jour que ce ministre donna le 8 mars, on y trouva de nouvelles preuves de la fausseté de son auteur. Buonaparte y étoit traité d'usurpateur et d'aventurier: épithètes aussi vraies en elles-mêmes, qu'elles étoient fausses dans la bouche d'un homme connu par sa rapacité et même par des projets sur la couronne de Portugal: toutes choses qui n'annoncent pas une si grande horreur pour l'usurpation.

Le ministre fut attaqué fortement dans un comité secret de la chambre des députés. Instruit de cette dénonciation par ses affidés, il courut chez le Roi pour lui remettre sa démission.

Sa Majesté pleine d'une noble confiance la refusa. Mais le ministre qui, sans doute, n'avoit plus rien à faire dans une cause dont il voyoit l'issue assurée, et qui cependant vouloit se retirer avec toutes les apparences de la fidélité, persista à demander sa retraite, et l'obtint dans le moment. C'étoit le samedi 11.

Le même jour le portefeuille fut remis au duc de Feltre. La joie de cette nouvelle fut fort aug

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