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Au point du jour les habitans consternés virent l'artillerie du parc braquée sur la ville; toutes les places et les carrefours occupés par des compagnies de canonniers qui étoient à leurs pièces la mèche allumée.

Le lieutenant-général Delaborde prit soin luimême de célébrer cette journée dans un rapport qui sera un monument éternel de trahison et d'infamie (1).

En lisant cette pièce, on est frappé à chaque ligne de l'embarras de son auteur qui veut accorder l'enthousiasme de Toulouse, pour l'usurpateur, avec l'appareil militaire qu'il a été obligé de déployer pour la réduire sous son joug; qui parle des acclamations d'un peuple immense au moment de cette révolution, et qui a eu besoin, pour l'opérer, de renforcer la garnison de quatre compagnies d'artillerie introduites par fraude, à la faveur des ténèbres, et du silence de la nuit ; qui vante ce grand coup de main, et le réduit ensuite à l'arrestation d'un seul homme; et qui enfin n'a d'autre regret que de n'avoir pu donner plus d'éclat à l'honneur de cette journée en y as

(1) Voyez les Pièces officielles, page 61.

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sociant un maréchal dont il taxe la fidélité de foiblesse, comme si la force ne consistoit qu'à fouler aux pieds toutes les lois de la morale et de l'honneur.

Tout ce qu'on pourroit dire de la consternation où fut plongée la ville de Toulouse, le 4 avril, ne sauroit en donner une idée plus forte que les réticences, et les aveux forcés de ce rapport.

La veille on y avoit célébré, avec l'ivresse de la, joie, les premiers succès remportés par M. le duc d'Angoulême au pont de la Drôme.

Les courriers du prince, continuant leur route pour Bordeaux, se croisèrent avec ceux qui alloient lui apporter les nouvelles si différentes de cette ville.

Ses dépêches tombèrent dans les mains de l'usurpateur, qui les livra aux feuilles publiques, croyant sans doute livrer le prince lui-même aux traits du ridicule, tandis qu'il ne le présenta qu'à l'admiration de la France et de l'étranger.

A peine le prince eut-il appris les événemens de Bordeaux, qu'il se vit réduit à des extrémités semblables, et bientôt exposé à de bien plus eruelles épreuves.

Montpellier et Nîmes furent subjugués en même temps et de la même manière que Bordeaux et Toulouse.

Le prince qui avoit poussé le cours de ses succès jusqu'au delà de l'Isère, se trouva alors au milieu des troupes de Grouchy et de Piré qui venoient de Lyon, et de celles de Gilly qui s'étoit emparé du pont Saint-Esprit, et lui coupoit toute retraite. A droite et à gauche, sur les rives de la Durance et sur celles du Rhône, у eut des défections semblables parmi les troupes même qui marchoient sous ses drapeaux. Enveloppé de toutes parts par la trahison, que, pouvoit faire ce généreux prince? sinon assurer le salut d'une poignée de soldats inébranlables dans leur dévouement.

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C'est ce qu'il fit par une capitulation qui fut signée au Pont-Saint-Esprit, entre M. le baron de Damas, maréchal-de-camp, chargé des pleins. pouvoirs de Son Altesse Royale, et M. l'adjudant-commandant Lefebvre, chargé des pouvoirs du général de division Gilly, commandant en chef le 1er corps de l'armée de Buonaparte.

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Par cette capitulation, l'armée royale du Midi étoit licenciée; les officiers et soldats rentroient. dans leurs foyers, les premiers munis de passeports, les seconds de feuilles de route; les uns et les autres étoient mis à l'abri de toute recherche.

L'article 6 portoit : « Son Altesse Royale se » rendra en poste au port de Celte, où les bâti

» mens nécessaires pour elle et sa suite, seront » disposés pour la transporter partout où elle » voudra se rendre. Des postes de l'armée impé»riale seront placés à tous les relais pour proté»ger le voyage de Son Altesse, et il lui sera » rendu partout les honneurs dus à son rang si » elle le désire. »

La capitulation fut signée au Pont-Saint-Esprit le samedi 8, huit jours après celle de Bordeaux. Elle fut approuvée par le général en chef Gilly; mais Grouchy, autre général en chef, en étant informé, en suspendit l'exécution pour laquelle il voulut attendre les ordres de Buonaparte.

Cette infraction à la convention et les suites qu'elle pouvoit avoir tinrent la France entière dans une cruelle attente. Chacun oublia ses maux, particuliers pour ne songer qu'à la captivité d'un petit-fils d'Henri IV, prisonnier de Buonaparte. On craignit une catastrophe pareille à celle dont les fossés de Vincennes avoient été le théâtre. Le prince seul étoit tranquille. Il craignoit seulement que sa délivrance ne devînt le prix de quelque concession préjudiciable aux intérêts de la couronne, et il témoigna ses sentimens à son auguste père en lui écrivant : « Je suis résigné à » tout. Je ne crains ni la mort ni la prison. »

Cependant la cruelle prévoyance qui le tenoit dans les fers fut trompée. L'ordre d'exécuter la convention arriva. Voici cette pièce curieuse :

« M. le comte Grouchy, l'ordonnance du » Roi du 6 mars, et la déclaration signée le 13 » à Vienne par ses ministres, pouvoit m'auto>> riser à traiter le duc d'Angoulême comme > cette ordonnance et cette déclaration vou>> loient qu'on traitât moi et ma famille. Mais, >> constant dans les dispositions qui m'avoient » porté à ordonner que les membres de la fa>> mille des Bourbons pussent sortir librement » de France, mon intention est que vous donniez » des ordres pour que le duc d'Angoulême soit » conduit à Cette, où il sera embarqué, et » que vous veilliez à sa sûreté, et à écarter de >> lui tout mauvais traitement; vous aurez soin >> seulement de retirer les fonds qui ont été enlevés >> des caisses publiques, et de demander au » duc d'Angoulême qu'il s'oblige à la restitution » des diamans de la couronne, qui sont la propriété de la nation.

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>> Vous lui ferez connoître en même temps les dispositions des lois des assemblées nationales, qui ont été renouvelées, et qui s'appliquent >> aux membres de la famille des Bourbons qui >> entreroient sur le territoire français.

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