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maréchal Masséna, qui se trouvoit à Marseille, et aux préfets d'Avignon, de Valence, de Lyon, et dans une direction parallèle à ceux de Digne, de Gap, de Grenoble.

Lui-même, à la tête de quelques gardes nationales, se porta sur la première de ces routes, la seule où Buonaparte pût passer avec ses canons qui ne servirent qu'à tromper le zèle de ce préfet.

On lui a reproché de n'avoir pas fait occuper le pont de Sisteron: mais pouvoit-il supposer que son collègue des Basses-Alpes, qui n'étoit qu'à quelques lieues de ce pont, ne feroit pas cet égard toutes les dispositions nécessaires?

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Quoi qu'il en soit, pendant qu'on cernoit Buonaparte vers Fréjus, il s'avançoit vers Digne.

Le vendredi 3 mars, il partit de Céranon, et vint déjeuner à Castellane. Il y vit les autorités, notamment M. Francoul, sous-préfet, qui venoit d'être destitué, mais qui n'étoit pas encore remplacé. Il lui promit de le rendre à son poste; il n'avoit été destitué que pour motifs d'opinions politiques.

Il logea dans la même maison que ce magistrat; il y déjeuna avec des vivres apportés de l'auberge, et du vin tiré de la cave du sous-préfet

En arrivant, il fit venir le maire (M. SaintMartin), et le força à lui délivrer trois passeports en blanc, avec défense d'en instruire le préfet avant trois jours. Il demanda la gendarmerie, mais elle étoit sortie de la ville, qui étoit muette d'étonnement.

Après une halte de trois heures, il continua sa route, et vint coucher à Barreme.

Buonaparte fut annoncé à Barreme par un exprès envoyé de Castellane, et qui arriva sur les quatre heures.

Une heure après, Cambronne arriva avec quelques officiers: il mit pied à terre dans la maison la plus apparente du bourg ( c'étoit celle de M. Tartanson, juge de paix ): il étoit occupé à la visiter, à y marquer le logement de Buonaparte, et à prendre toutes les précautions de sûreté, lorsque Buonaparte lui-même entra.

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«Etes-vous le propriétaire de la maison ? dit-il, » en s'adressant à M. Tartanson qu'il trouva sur Oui....... Sire. Comment vous

ses pas. >> appelez-vous? - Tartanson.

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Et ce jeune >> homme ? C'est mon fils. Que fait-il?-» Il est receveur de l'enregistrement. »>

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Entrant dans la chambre qu'on lui avoit préparée, il y trouva la femme de M. Tartanson fils, et la salua d'une manière fort gracieuse; la

dame répondit: Monsieur, j'ai l'honneur de vous saluer. Cambronne la prit par le bras, et lui dit, sur le ton du reproche: Madame, c'est l'empereur. A cette parole, la jeune dame éprouva un saisissement dont elle se ressentit pendant plusieurs jours.

Pendant que Buonaparte s'installoit dans l'appartement marqué pour lui, le reste de la maison se remplissoit d'une foule d'officiers, et les salles d'en bas étoient encombrées de bagages.

Il fut à peine installé, qu'il demanda le maire (M. Beraud). Il le questionna fort sur la route de Sisteron; il témoignoit le désir d'y aller coucher le lendemain, mais on lui dit que la chose étoit impossible pour les piétons. Il se fit donner des cartes de Provence qu'il examina, quoiqu'il eût celle de Cassini. Il fit une réquisition de deux cents voitures à deux colliers, ayant soin de désigner les villages qui devoient les fournir, et choisissant de préférence ceux qui étoient placés sur la route de sa troupe, afin qu'ils n'ôsassent pas se refuser à la réquisition. Il dit que son artillerie passoit par la grande route avec la cavalerie, et parla de plusieurs débarquemens effectués en même temps sur plusieurs points de La Provence. Il renvoya le maire avec la

promesse

d'une route militaire qui passeroit par Barreme. Après le maire, la gendarmerie fut appelée: il n'y avoit qu'un brigadier et un gendarme, qui furent placés à la porte de la maison. Il demanda aussi le curé, M. l'abbé Galland; mais cet ecclésiastique ne se présenta pas.

Pendant ces entrevues, le bourg se remplissoit de troupes qui étoient reçues avec le silence de l'étonnement et de la stupeur.

Différens postes furent placés à toutes les avenues du bourg ainsi que sur la place; le reste se logea chez les habitans, et les força d'illuminer leurs maisons.

Après ces préparatifs, Buonaparte fit appeler le maître de la maison, et au milieu d'un grand nombre de questions sans intérêt commé sans liaison, il laissa échapper quelques mots sur son entreprisé.

« Si la troupe, dit-il, est pour moi, comme >> on me l'assure, les Bourbons ne peuvent pas » tenir, mais ils peuvent être tranquilles sur » leur sort. Si la troupe est pour vous, ré» pondit M. Tartanson, le peuple ne l'est pas, » du moins dans ce pays-ci.

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Buonaparte laissa passer cette remarque sans la relever; et, sans paroître déconcerté, il détourna la conversation sur des choses vagues aú

milieu desquelles il intercaila ces paroles remar quables Après-demain au soir les Bourbons apprendront mon arrivée.

»

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Puis se tournant du côté. du fils; « Vous » viendrez avec nous, lui dit-il ; vous serez dés » nôtres, n'est-ce pas ? Sire, répondit M. Tar» tanson, je suis fils unique; j'ai une femme et » des enfans. Il me seroit trop pénible de me séparer de ma famille. Je vous donnerai » un grade avancé ( reprit Buonaparte sans » s'arrêter à ces observations ). Mais M. Tar» tanson persista dans son refus, en alléguant » qu'il serviroit plus utilement son pays en res» tant dans l'emploi qu'il occupoit. »

Bertrand qui avoit été simple témoin de cette conversation, vint peu d'instans après, prit en particulier M. Tartanson, et lui renouvela les mêmes propositions avec de plus vives instances. Je vous fais, lui dit-il, chef d'escadron à l'instant; passé Lyon, vous aurez un grade plus élevé, et à Paris je me charge de votre avancement.

Mais ces belles offres touchèrent si peu le modeste receveur, que trois jours après il marchoit à la poursuite de son hôte, à la tête d'un détachement de volontaires royaux.

Pendant que Buonaparte et Bertrand, majorgénéral de la grande armée, s'occupoient à re

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