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abdiqué et sacrifié, disoit-il, au bonheur du peuple.

Telles étoient les véritables occupations de Buonaparte dans l'île d'Elbe. Tel étoit le projet qu'il rouloit dans son esprit, et dans l'exécution duquel il fut secondé par une foule d'agens que son or lui avoit assurés en France dans tous les ministères et dans toutes les administrations.

Nous nous proposons de le suivre dans sa marche de l'île d'Elbe à Paris; de jeter un coupd'œil sur le temps affreux de son usurpation éphémère; et enfin de le conduire à bord du Northumberland, partant pour l'île SainteHélène.

Le dimanche 26 février, à huit heures du soir, toute la troupe de Buonaparte reçut l'ordre de s'embarquer.

Les officiers étoient en ce moment à un bal que donnoit la princesse Borghèse. Ils n'en sortirent que pour monter sur les bâtimens qui avoient été disposés pour les recevoir avec toute la troupe.

Quatre cents hommes de la vieille-garde furent embarqués sur le brick l'Inconstant ; deux cents hommes d'infanterie, cent lanciers polonais, et deux cents flanqueurs furent partagés sur six petits bâtimens; savoir, le chébeck

Etoile, la spéronade la Caroline, le brick marchand français, le Saint-Esprit, deux bâtimens de Rio, et une petite felouque d'un négociant de l'île en tout sept transports, et neuf cents hommes.

Buonaparte se rendit sur le brick avec les généraux Bertrand, Drouot, Cambronne, et les autres officiers qui l'avoient suivi. Plusieurs particuliers furent de l'expédition, entr'autres le directeur des mines de Rio, M. Pons (de Cette), qui paya de sa personne et de sa bourse.

Le lieutenant de vaisseau Taillade fut le pilote de la flotille; il monta sur le brick, et le signal du départ fut donné. Les habitans de PortoFerrajo n'en furent informés officiellement que le 28 par la proclamation suivante du général de brigade Lapi.

Le général de brigade Lapi, gouverneur de l'ile d'Elbe, chambellan de S. M. l'empereur Napoléon, etc., aux habitans de l'ile d'Elbe.

« Notre auguste souverain, rappelé par la Providence dans la carrière de sa gloire, a dû quitter notre île; il m'en a confié le commandement. Il a laissé l'administration à une junte de six habitans, et la défense de la forteresse à votre

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dévouement et à votre bravoure. « Je pars de >> l'île d'Elbe, a-t-il dit; je suis extrêmement con>> tent de la conduite des habitans. Je leur confie » la défensé de leur pays, auquel j'attache le plus grand prix. Je ne puis leur donner une plus grande preuve de ma confiance, qu'en » laissant ma mère et ma sœur sous leur garde. » Les membres de la junte et tous les habitans » de l'île peuvent compter sur ma bienveillance » et sur ma protection particulière. » Habitans! voici l'époque la plus heureuse et la plus mémorable pour vous. Votre gloire et votre bonheur ne dépendent que de votre conduite. Voulezvous garantir l'un et l'autre ? continuez de seconder les sages dispositions que la junte, les autorités et les fonctionnaires publics sauront prendre dans toutes les occurrences, etc. etc.

» Fait à Porto-Ferrajo, le 28 février 1815. »

Il y avoit dans les parages de l'île d'Elbe, une croisière française composée de deux frégates, la Fleur de Lys, commandée par le chevalier de Garat, et la Melpomène, commandée par le capitaine Collet.

La première se tenoit habituellement vers l'île de Capraïa au nord de l'île d'Elbe, route de France.

La seconde stationnoit vers le sud. L'unen'étoit point subordonnée à l'autre. Il leur étoit sévèrement défendu, quelque temps qu'il fit, de mouiller à l'île d'Elbe, seul port néanmoins qui existe dans cet archipel composé de six îles et de deux écueils très-dangereux appelés les Fourmis.

Elles étoient sans aviso, sans mouche, sans un seul petit bâtiment, sans aucune intelligence à

terre.

A tant de précautions qui sembloient n'avoir pour but que d'assurer l'évasion de Buonaparte, on en joignit une nouvelle; ce fut le rappel du chevalier de Garat. L'ordre en fut expédié de Toulon vers la mi-février, et porté au général Bruslart, gouverneur de Corse, par la goélette Antelore. Mais ce général, qui depuis vingt ans connoissoit les principes du chevalier de Garat, garda l'ordre dans sa poche.

C'est à la faveur de ces précautions que Buonaparte naviguoit paisiblement vers les côtes de France.

Le colonel Campbell, que des affaires avoient appellé à Florence, rentra le 28 à Porto Ferrajo, après une absence de huit jours. Buonaparte n'y étoit plus. Le colonel Campbell mit à la voile vers les côtes de France.

Dans la nuit du 28 février au 1er mars,

deux heures du matin, il rencontra la Fleur de Lys à qui il apprit la nouvelle de l'évasion de Buonaparte, mais sans pouvoir lui dire la route. qu'il avoit suivie.

Le chevalier de Garat montra quelque défiance à l'officier anglais.

Celui-ci, sans s'en offenser, demanda au chevalier de Garat la permission d'écrire dans sa chambre une dépêche par laquelle il informoit l'ambassadeur d'Angleterre à Paris de l'évasion de Buonaparte. Le chevalier de Garat n'hésita pas alors à prendre la route de France, chargé de la dépêche du colonel Campbell; cet officier prit la même route, en suivant une ligne parallèle à celle de la Fleur de Lys. Après avoir ainsi navigué quelque temps, le chevalier de Garat se rapprocha du colonel anglais pour lui faire part d'une idée qui lui venoit, c'est que Buonaparte, en sortant de l'île d'Elbe, auroit pu se jeter dans l'une des îles voisines, pour de là prendre le temps de diriger sa marche suivant les circons

tances.

Le colonel Campbell fut frappé de la justesse de cette idée, et rebroussa chemin pour explorer ces îles. Il se chargea d'une dépêche du chevalier de Garat pour le général Bruslart, et ils se quittèrent pour aller en sens contraire.

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