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qui consistoit en un brigadier et deux gendarmes. Un de ces derniers, qui étoit en service lors de l'arrivée de Buonaparte, s'étant présenté avec le lis à la boutonnière, un des officiers le lui arrocha brusquement, en lui disant : quel oiseau as-tu là?

Précédé de sa troupe et de cinquante lanciers à cheval, Buonaparte s'achemina vers Digne.

Il fit halte à Bedejun, où il fit allumer un grand feu au milieu d'un pré; et là, un quartier de poulet à la main et un morceau de pain sous le bras, il déjeuna philosophiquement.

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Pendant ce temps - là son avant-garde qui continuoit sa route vers Digne, rencontra un abbé (M. Allegre) qui alloit faire une retraite à Senez; on s'empara de son cheval, et le pauvre abbé fut obligé de suivre à pied le ravisseur jusqu'à Digne, pour obtenir le prix de ce cheval qui ne lui appartenoit pas.

M. Isnard, ex-percepteur de Barreme, faisant la même route, monté sur un àne, fut pareillement obligé de rebrousser chemin, et de revenir à Digne, en marchant à côté de Buonaparte qui lui fit beaucoup de questions.

Voici ce qui se passoit alors dans cette ville : M. Duval, qui en étoit préfet, avoit reçu le 3, à trois heures du soir, la dépêche de son collègue du Var, qui lui annonçoit la nouvelle du débar

quement de Buonaparte avec seize cents hommes, et lui communiquoit les dispositions qu'il avoit pour l'arrêter.

faites

M. Duval, après avoir donné un reçu de cette dépêche, la mit dans sa poche, et n'en donna communication à personne. Le soir, il reçut la société, et y parut avec un visage plus radieux qu'à son ordinaire. La fatale dépêche ne l'empêcha pas de partager les amusemens de la soirée, et de prolonger sa partie de billard jusqu'à onze heures ou minuit. ·

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Cette même nuit, plusieurs des hommes débarqués étoient entrés à Digne sans être remarqués. A quatre heures du matin, l'exprès expédié de Barreme répandit la nouvelle que Buonaparte entreroit à Digne dans la journée. Ce fut alors que le préfet communiqua à M. de Loverdo, commandant dans le département des BassesAlpes, la dépêche du préfet du Var qu'il avoit reçue la veille, et celle du brigadier de Barreme qu'il venoit de recevoir.

M. de Loverdo se rendit sur-le-champ à la caserne où se trouvoit un dépôt de cent cinquante hommes. Mais ces troupes, parmi lesquelles un espritde sédition s'étoit déclaré depuis quelque temps, le firent éclater alors, et recurent leur général aux cris de vive l'empereur.

M. de Loverdo vint rendre compte au préfetde ces affreuses dispositions, ajoutant qu'il ne pouvoit compter sur un seul de ses soldats, et conjura le préfet de s'occuper à réunir sur-le-champ les gardes nationales dont il pourroit disposer.

L'ingénieur des ponts et chaussées vint, à six heures du matin, offrir ses services, soit qu'il fallût couper des ponts, ou rompre des routes. Mais le préfet le remercia, et lui dit d'aller garder ses femmes (son épouse et sa belle-mère).

Cependant la désastreuse nouvelle, circulant dans la ville, excita le zèle d'une foule de bons citoyens qui accoururent à la mairie, et demandèrent des armes pour se porter sur la route de Buonaparte, et l'attendre au passage des Bains : position inexpugnable, où une poignée d'hommes pouvoit arrêter une armée.

Le maire, en louant le zèle des braves habitans, ne voulut pas cependant prendre sur lui de les armer avant d'en avoir référé au préfet. Mais ce magistrat, loin de seconder l'ardeur de ces généreux citoyens, défendit au maire de les armer, et le rendit responsable de toutes les suites que pourroit entraîner la violation de cette défense.

Pendant ce combat entre les généreux citoyens qui demandoient des armes, et les magistrats

qui leur en refusoient, Buonaparte approchoit de Digne.

Déjà il y avoit été précédé par plusieurs de ses émissaires, notamment par un officier de santé, de sa garde, nommé Emery. Cet homme, natif de Grenoble, fut d'abord arrêté, et bientôt après relâché à la demande d'un de ses compatriotes, M. Valès, procureur royal criminel à Digne, qui en répondit, le reçut dans sa maison, lui donna son cheval pour continuer sa route, et un certificat pour lui tenir lieu de passeport (1).

L'entrée de Buonaparte étant ainsi préparée, le préfet envoya sur la route de Barreme le lieutenant de la gendarmerie (M. Julien ) pour être prévenu des approches de Buonaparte.

Dans l'intervalle, une ordonnance de ce dernier entra à Digne, et demanda qu'on préparât cinq mille rations: grossissant ainsi sa troupe afin d'effrayer les habitans.

Vers les onze heures, le lieutenant de la

(1) Suivant les récits les plus favorables à M. Valès, ce ne fut qu'à la fin du déjeuner que l'émissaire de Buonaparte s'ouvrit à son hôte; celui-ci lui dit alors: Vous m'en avez trop dit, et je ne puis m'empêcher de vous faire arrêter. Mais pendant qu'il en prenoit les moyens, l'émissaire s'enfuit sur le cheval de son hôte, et avec l'attestation qu'il en avoit déjà reçue.

gendarmerie rentra avec la nouvelle que Buonaparte arrivoil.

Le préfet attendoit ce moment pour se retirer. Ses chevaux étoient prêts, ainsi que quatre gendarmes commandés pour l'accompagner. Il se rendit à une campagne voisine de la route de Buonaparte, avec son secrétaire général, et quelques autres fonctionnaires.

M. de Loverdo étoit parti de meilleure heure, et s'étoit éloigné avec sa troupe, qui du moins ne grossit pas celle de Buonaparte. Celui-ci entra à Digne au son du tambour. Mais il y fut accueilli par le silence de la consternation; les boutiques étoient fermées, et les citoyens retirés dans leurs maisons. Quelques enfans, seulement, étoient sur la place.

C'est à cette portion de la population que le général Bertrand s'adressa pour annoncer l'empereur, et en obtenir quelques démonstrations qui fissent diversion au morne silence dont ils étoient frappés lui et son maître. Il jeta quelques pièces de monnoie à ces enfans, et leur dit : Voici l'empereur; criez vive l'empereur. Ces enfans répétèrent, en effet, ce cri pendant que d'autres, qui étoient aux croisées, crioient : Vive le Roi!

Telle fut, exactement, l'entrée de Buonaparte à Digne.

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