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M. Lassart étoit fort satisfait, et qu'il fit connoître au général Marchand par un rapport qu'il lui envoya.

M. Lassart lui-même eut bientôt occasion de faire éclater sa fidélité. Un officier d'ordonnance de Buonaparte vint pour lui remettre une lettre du général Bertrand, qui l'invitoit à se rendre à la Mure, auprès de lui.

M. Lassart refusa la lettre, et dit au porteur qu'il alloit faire tirer sur lui s'il ne se retiroit sur-le-champ.

L'officier se retira, et vint rendre compte de sa mission à Buonaparte.

Celui-ci, redoublant de vitesse, ordonna à ses lanciers de s'avancer vers l'avant-garde qui lui étoit opposée, de la joindre sans aucune démonstration d'hostilités, et de se mêler avec elle bon gré ou mal gré. L'ordre fut ainsi exécuté. Les lanciers arrivés au milieu de ce bataillon, avec mille démonstrations d'amitié, retardèrent sa marche, malgré les ordres que le commandant donnoit en vain de la continuer.

Durant ce débat, Buonaparte, arrivant au galop, se jeta au milieu du bataillon, le harangua sans qu'aucun des soldats osât tirer sur lui, et entraîna ainsi toute la troupe et son chef.

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se consommoit entre la Mure et Vizille, on se réjouissoit à Grenoble de sa bonne contenance, que le rapport de M. Lassart venoit de faire

connoître.

La joie de cette nouvelle, arrivée à deux heures, redoubla celle que venoit de causer une dépêche télégraphique annonçant le départ de MONSIEUR de Paris pour Lyon.

A ces nouvelles, plusieurs personnes, militaires et citoyens, qui déjà étoient venues offrir leurs services au général Marchand, renouvelèrent leurs offres. De ce nombre étoient M. le comte d'Agoult et son fils, arrivés de leur campagne, et demandant à marcher comme simples grenadiers; M. Gagnon, ancien officier de la garde, alors en retraite; M. de Lavalette, inspecteur des gardes nationales de l'Isère, etc. Chacun demandoit à se joindre aux troupes qu'on s'attendoit à voir mettre en route pour renforcer l'avant-garde; mais, au lieu de voir partir des soldats fidèles, on vit un événement bien différent.

L

A trois heures de l'après-midi, la Bédoyère se rendit à la caserne où se trouvoit son régiment; il le fit mettre sous les armes, et l'entraîna, par la porte de Bonne, hors de la ville.

A peine fut-il sorti, qu'il fit ouvrir la caisse

d'un tambour, et en tira un aigle qu'il montra à ses soldats, en leur annonçant qu'il les conduisoit au-devant de l'empereur. Ses soldats se mirent en marche, au cri de vive l'empereur, foulant aux pieds leurs cocardes blanches, et en prenant de tricolores que la Bédoyère leur distribua.

Le général Marchand instruit de cette défection (à laquelle il n'y eut pas un seul soldat des quatre autres régimens qui prit part), se rendit sur-le-champ avec les généraux et officiers supérieurs de la garnison qui se trouvoient alors chez lui, à la porte de Bonne. Le général Devilliers étoit déjà monté à cheval, pour tâcher d'alteindre ce régiment, et le ramener.

Le général, arrivé à la tête du 7o, fit tous ses efforts auprès de la Bédoyère, pour l'engager à réparer sa faute. « Rentrez, lui dit-il, mon cher » colonel, on trouvera moyen de colorer votre » mouvement, de manière que ni vous ni votre >> régiment vous ne serez point compromis: » rentrez, vous courez à votre perte, et vous vous » déshonorez. » Je sais ce que je fais, répondit la Bédoyère: apprenez, vous-même , que tout ceci est combiné ; que je ne fais que suivre un élan convenu, et que dans ce moment le comte d'Erlon marche avec quarante mille hommes

pour seconder ce mouvement. Suivez-moi vousmême, au lieu de rentrer dans Grenoble.

M. Devilliers, au désespoir, revint sur ses pas, et rencontrant cent hommes du 7o qui étoient restés en arrière, il parvint à les faire rentrer dans la ville (1).

Buonaparte apprit la soumission de la Bédoyère à Vizille, et le rencontra entre Vizille et Grenoble.

Ce colonel fut rencontré, avant sa jonction, par un aide-de-camp que le général Marchand avoit envoyé en reconnoissance, et qui, venant rendre compte de la première défection, fut témoin de la seconde.

Tous ces événemens répandirent parmi les habitans une terreur d'autant plus grande, qu'elle succédoit à un sentiment tout contraire, et l'on ne vit prendre aucune mesure pour les rassurer. La garde nationale à cheval reçut l'ordre de faire quelques patrouilles, pour dissiper les attroupemens, s'il s'en' formoit. On avoit placé des troupes sur les remparts; des canonniers étoient auprès des pièces qu'on avoit mises en batterie.

(1) Le drapeau du 7o fut trouvé lacéré dans la chambre de la Bédoyère, et n'avoit pu l'être que par lui, avant son départ.

Vers les huit heures du soir, on aperçoit les lanciers de Buonaparte.

Le colonel du cinquième, qui étoit avec son régiment sur le rempart, auprès de la porte de Bonne, envoie aussitôt un officier pour prévenir le général Marchand (qui se tenoit renfermé chez lui), et lui demander ses derniers ordres. « Qu'on ferme les portes, répondit-il.—Tirera»t-on, mon général? - Non. »>

M. de Rostaing, inspecteur aux revues, que son devoir et son zèle avoient plusieurs fois attiré chez le général, s'y trouvoit en ce moment. Indigné de cette réponse, il crut devoir se permettre une observation. « Si vous défendez de » tirer, dit-il au général, les soldats vont s'entreparler; Buonaparte va les haranguer, et il » arrivera ce qui est arrivé au bataillon du 5o régiment. Il ne faut pas, dit le général, >> donner un ordre qui pourroit ne pas être » exécuté. »

»

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Ceux qui entendirent cette réponse, crurent, à l'air décidé du général, que toute réplique seroit inutile, et personne ne se crut en droit de le mettre, pour ainsi parler, au pied du mur, et de lui dire: Mettez du moins votre responsabilité à couvert, en éprouvant la désobéissance.

Les officiers et soldats du 5°, qui étoit la

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