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No. IX.

RELATION OFFICIELLE DE LA MARCHE DE BUONAPARTE De L'ÎLE D'ELBE A PARIS, PUBLIÉE PAR LUI, LE 22 MARS.

L'empereur, instruit que le peuple en France avoit perdu tous ses droits acquis pendant vingt-cinq années de combats et de victoires, et que l'armée étoit attaquée dans sa gloire, résolut de faire changer cet état de choses, de rétablir le trône impérial, qui seul pouvoit garantir les droits de la nation, et de faire disparoître ce trône royal, que le peuple avoit proscrit comme ne garantissant que les intérêts d'un petit nombre d'individus.

Le 26 février, à cinq heures du soir, il s'embarqua sur un brick portant vingt-six canons avec quatre cents hommes de sa garde. Trois autres bâtimens qui se trou-. voient dans le port, et qui furent saisis, reçurent deux cents hommes d'infanterie, cent chevau-légers polonais, et le bataillon dés flanqueurs, de deux cents hommes. Le vent étoit du sud, et paroissoit favorable. Le capitaine. Chautard avoit espoir qu'avant la pointe du jour, l'île de Capraïa seroit doublée, et qu'on seroit hors des croisières françaises et anglaises, qui observoient de ce côté. Cet espoir fut déçu. On avoit à peine doublé le cap Saint-André de l'île d'Elbe, que le vent mollit, la mer devint calme; à la pointe du jour on n'avoit fait que six lieues, et l'on étoit encore entre l'île de Capraïa et l'île d'Elbe‚ en vue des croisières.

Le péril paroissoit imminent. Plusieurs marins étoient d'opinion de retourner à Porto - Ferraio. L'empereur

ordonna qu'on continuât la navigation, ayant pour ressource, en dernier événement, de s'emparer de la croisière française. Elle se composoit de deux frégates et d'un brick; mais tout ce qu'on savoit de l'attachement. des équipages à la gloire nationale, ne permettoit pas de douter qu'ils arboreroient le pavillon tricolore, et se rangeroient de notre côté. Vers midi, le vent fraìchit.un peu. A quatre heures après midi, on se trouva à la hauteur de Livourne. Une frégate paroissoit à cinq lieues sous le vent une autre étoit sur les côtes de Corse, et de loin, un bâtiment de guerre venoit droit vent arrière à la rencontre du brick. A six heures du soir, le brick que montoit l'empereur se croisa avec un brick qu'on reconnut être le Zéphir, monté par le capitaine Andrieux, officier dis-. tingué autant par ses talens, que par son véritable patriotisme. On proposa d'abord de parler au brick, et de lui faire arborer le pavillon tricolore. Cependant l'empereur donna ordre aux soldats de la garde d'ôter leurs bonnets, et de se cacher sur le pont, préférant passer à côté du brick sans se laisser reconnoître, et se réservant le parti de le faire changer de pavillon si on étoit obligé d'y recourir. Les deux bricks, passèrent bord à bord. Le lieutenant de vaisseau Taillade, officier de la marine française, étoit très connu du capitaine Andrieux, et dès qu'on fut à portée on parlementa. On demanda au capitaine Andrieux s'il avoit des commissions pour Gênes; on se fit quelques honnêtetés, et les deux bricks, allant en sens contraire, furent bientôt hors de vue, sans que le capitaine Andrieux se doutât de ce que portoit ce frêle bâtiment !

Dans la nuit du 27 au 28, le vent continua de fraîchir.

A la pointe du jour, on reconnut un bâtiment de soixantequatorze, qui avoit l'air de se diriger ou sur Saint-Florent, ou sur la Sardaigne. On ne tarda pas à s'apercevoir que ce bâtiment ne s'occupoit pas du brick.

Le 28, à sept heures du matin, on découvrit les côtes de Noli; à midi, Antibes. A trois heures, le 1er mars, on entra dans le golfe de Juan.

L'empereur ordonna qu'un capitaine de la garde, avec vingt-cinq hommes, débarquât avant la garnison du brick, pour s'assurer de la batterie de côte, s'il en existoit une. Ce capitaine conçut, de son chef, l'idée de faire changer de cocarde au bataillon qui étoit dans Antibes. Il se jeta imprudemment dans la place; l'officier qui y commandoit pour le Roi, fit lever les ponts-levis et fermer les portes : sa troupe prit les armes; mais elle eut respect pour ces vieux soldats et pour leur cocarde qu'elle chérissoit. Cependant l'opération du capitaine échoua, et ses hommesrestèrent prisonniers dans Antibes.

A cinq heures après midi, le débarquement au golfe Juan étoit achevé. On établit un bivouac au bord de la mer jusqu'au lever de la lune.

A onze heures du soir, l'empereur se mit à la tête de cette poignée de braves, au sort de laquelle étoient attachées de si grandes destinées. Il se rendit à Cannes, de là à Grasse, et, par Saint-Vallier, il arriva dans la soirée du 2 au village de Cérénon, ayant fait vingt lieues dans cette première journée. Le peuple de Cannes reçut l'empereur avec des sentimens qui furent le premier présage du succès de l'entreprise.

Le 3, l'empereur coucha à Barême; le 4, il dina à Digne. De Castellane à Digne, et dans tout le département

des Basses-Alpes, les paysans, instruits de la marche de l'empereur, accouroient de tous côtés sur la route, et manifestoient leurs sentimens avec une énergie qui ne laissoit 'plus de doutes.

Le 5, le général Cambronne, avec une avant-garde de quarante grenadiers, s'empara du pont et de la forteresse de Sisteron.

Le même jour, l'empereur coucha à Gap avec dix hommes à cheval, et quarante grenadiers.

L'enthousiasme qu'inspiroit la présence de l'empereur aux habitans des Basses-Alpes, la haine qu'ils portoient à la noblesse, faisoient assez comprendre quel étoit le vœu général de la province du Dauphiné.

A deux heures après midi, le 6, l'empereur partit de Gap, et la population de la ville tout entière étoit sur son passage.

A Saint-Bonnet, les habitans, voyant le petit nombre de sa troupe, eurent des craintes, et proposèrent à l'empereur de sonner le tocsin pour réunir les villages, et l'accompagner en inasse. « Non, dit l'empereur; vos senti» mens me font connoître que je ne me suis pas trompé. » Ils sont pour moi un sûr garant des sentimens de mes » soldats. Ceux que je rencontrerai se rangeront, de mon » côté; plus ils seront, plus mon succès sera assuré. » Restez donc tranquilles chez vous ! »

On avoit imprimé à Gap plusieurs milliers de procla mations adressées par l'empereur à l'armée et au peuple, et de celles des soldats de la garde à leurs camarades. Ces proclamations se répandirent avec la rapidité de l'éclair dans tout le Dauphiné.

Le même jour, l'empereur vint coucher à Gorp. Les

quarante hommes d'avant-garde du général Cambronne, ́allèrent coucher jusqu'à la Mûre. Ils se rencontrèrent avec l'avant-garde d'une division de six mille hommes de troupes de ligne qui venoit de Grenoble pour arrêter leur marche. Le général Cambronne voulut parlementer avec les avant-postes. On lui répondit qu'il y avoit défense de communiquer. Cependant cette avant-garde de la division de Grenoble recula de trois lieues, et vint prendre position entre les lacs au village de......

L'empereur, instruit de cette circonstance, se porta sur les lieux; il trouva sur la ligne opposée,

Un bataillon du 5e de ligne,

Une compagnie de sapeurs,

Une compagnie de mineurs, en tout sept à huit cents hommes; il envoya son officier d'ordonnance, le chef d'escadron Raoul, pour faire connoître à ces troupes la nouvelle de son arrivée; mais cet officier ne pouvoit se faire entendre on lui opposoit toujours la défense qui avoit été faite de communiquer. L'empereur mit pied à terre, et alla droit au bataillon, suivi de la garde portant l'arme sous le bras. Il se fit reconnoître, et dit que le premier soldat qui voudroit tuer son empereur le pouvoit; le cri unanime de vive l'empereur! fut leur réponse. Ce brave régiment avoit été sous les ordres de l'empereur dès ses premières campagnes d'Italie. La garde et les soldats s'embrassèrent. Les soldats du 5e arrachèrent sur-le-champ leur cocarde, et prirent, avec enthousiasme et la larme à l'œil, la cocarde tricolore. Lorsqu'ils furent rangés en bataille, l'empereur leur dit : « Je viens avec une poignée » de braves, parce que je compte sur le peuple et sur » vous. Le trône des Bourbons est illégitime, puisqu'il

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