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NOTE

SUR LA POLOGNE.

ENCORE bien que la Constitution polonaise paraisse avoir été librement octroyée par l'empereur Alexandre, elle résultait, comme nous l'avons dit, Tome Ier, p. 73, de promesses faites par lui aux autres Puissances, promesses qui sont devenues un des élémens des négociations de 1815. Elle était la condition de la cession de la ligne de la Wartha.

Reportons-nous en effet à la marche des négociations, telles que les pièces officielles la manifestent.

Il y avait trois états possibles pour l'ancienne Pologne conquise par la Russie. Elle pouvait ou rester fondue dans le grand Empire comme une de ses provinces, ou redevenir une monarchie

et former, à côté de la Russie, un autre royaume gouverné également par l'Empereur, ou enfin ressusciter comme nation indépendante qui n'appartiendrait qu'à elle-même.

L'empereur Alexandre avait d'abord annoncé, à l'ouverture du Congrès de Vienne, le projet d'exécuter le second de ces trois plans, à savoir de refaire, avec toutes ses provinces polonaises réunies au duché de Varsovie, une autre monarchie régie par son sceptre. Il ne s'expliquait pas sur l'organisation intérieure de ce nouvel Etat ; mais il parlait aux Polonais de régénération de leur patrie. Il leur disait qu'il leur ferait tenir ce que Napoléon s'était borné à leur faire espérer. Ce dessein, qui remontait à l'époque de la grande guerre contre la France, lui avait gagné alors la confiance de la noblesse polonaise, et lui avait procuré la conquête facile du duché de Varsovie, qui attendait de lui sa nationalité.

Mais l'idée de la réunion de la Pologne à la Russie, sous une dynastie russe, avait jeté l'épouvante dans le Congrès. On trouvait cet agrandissement nuisible à l'équilibre que les Puissances alliées avaient pour but de rendre au monde. On voyait d'avance avec effroi une armée nationale en Pologne rangée sous le commandement d'un souverain qui tenait déjà tant de millions de Russes sous ses lois. Lord Castlereagh

avait combattu avec force le projet de cet accroissement formidable; et, comme l'empereur Alexandre semblait se fonder, pour réunir la Pologne à ses états, sur la promesse qu'il avait faite naguère à ses habitans de régénérer leur patrie, le plénipotentiaire anglais représentait que cette promesse ne pouvait pas lier à ce point la conscience de l'Empereur, et qu'elle l'obligeait seulement à améliorer par degré la condition de ses anciennes provinces polonaises. Il ajoutait que si cependant l'Empereur prenait tant de soin de la liberté des Polonais, il n'avait qu'à la leur accorder complétement, sans condition, en refaisant de la Pologne une nation libre, en possession de sa propre souveraineté ; et il affirmait que toute l'Europe ne ferait qu'applaudir à cette noble entreprise.

L'Empereur annonça nettement qu'il ne voulait pas renoncer à régner sur la Pologne, mais déclara en même temps qu'il rendrait à ce pays une existence politique et un gouvernement particulier, «< afin de détruire par-là tout motif d'inquiétude pour ses voisins (1). »

Il est probable que les autres plénipotentiaires se rabattirent alors sur la promesse que l'Empereur faisait de donner une constitution nationale

(1) Voyez l'Hist. des traités de paix, par Scholl, tom. XI, p. 46.

aux Polonais, et considérèrent cette garantie comme moins satisfaisante sans doute que l'eût été la résurrection complète de la nationalité polonaise; mais comme plus rassurante au moins contre la prépondérance énorme de la Russie que l'eût été le rangement de la Pologne sous les lois absolues de l'Empereur.

Si ce point de vue est exact, il jette la lumière sur l'extrait suivant d'une note du prince de Metternich adressée au prince de Hardenberg, ministre plénipotentiaire de Prusse :

<< Les lignes de la Wartha et de la Nida, offrant la dernière frontière naturelle et la seule qui soit encore basée sur une idée militaire, l'Empereur (d'Autriche) ne peut qu'attacher beaucoup de prix à ce qu'on parvienne à les obtenir..... Tout accroissement de territoire que V. A. obtiendra pour la Prusse dans le duché de Varsovie sera regardé par l'Empereur (d'Autriche) comme une amélioration véritable des arrangemens convenus....

L'Empereur n'ayant rien trouvé, dans la note verbale de V. A., sur la question constitutionnelle de la Pologne....., S. M. I. me fait un devoir d'appeler l'attention du cabinet prussien sur un objet si essentiel. Les demandes que nous avons le droit de former à cet égard, envers la Russie, résultent des engagemens que l'empe

reur Alexandre a pris spontanément, et de luimême, vis-à-vis de nous, pour compenser en quelque sorte le plus de prétentions à des acquisitions territoriales. Il paraît impossible de ne pas faire mention de cette condition dans la marche de nos négociations ultérieures, en liant les promesses de l'empereur Alexandre à ce sujet aux garanties que nous avons le droit de réclamer pour nos provinces ci-devant polonaises (1). »

Cette dernière phrase exprime deux points de vue dans lesquels l'Autriche, la Prusse, l'Angleterre et la France, qui s'opposaient à l'agrandissement colossal de la Russie, se plaçaient vis-àvis de cette puissance. D'une part, ces quatre cours désiraient que l'empereur Alexandre donnât une existence politique aux Polonais placés sous sa domination, afin que cette forme de gou

vernement diminuât les inconvéniens et les dangers

de ses accroissemens territoriaux; de l'autre, ces cabinets, et particulièrement l'Autriche, exprimaient naturellement le vœu que cette existence politique fût telle qu'elle ne compromît pas la sûreté des provinces polonaises appartenant à l'Autriche et à la Prusse. Comme le plan de

(1) Note du prince de Metternich du 10 décembre 1814. Voyez les pièces officielles relatives au Congrès de Vienne, tom. VI,

p. 71.

III.

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