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conférence préliminaire où une entente serait tentée avant la réunion de la Diète. Ce fut en vain : ils déclarèrent qu'ils ne prendraient part qu'à une Diète des XIII cantons, « seule autorité légitime qui pût asseoir les bases légales d'un nouveau droit public » '.

Lebzeltern et Capo d'Istria, qui avaient été au quartier-général après l'ajournement de la Diète, en revinrent avec des lettres de créance, comme envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires. A leur retour, ils allèrent à Schwytz pour presser les cantons primitifs d'adhérer à la nouvelle Confédération. Le ministre de Prusse de son côté, le baron de Chambrier, avait des instructions semblables aux leurs, et Metternich écrivait de Chaumont à l'ambassadeur autrichien à Berne, le comte de Schraut, pour qu'il engageât les Bernois à renoncer à leurs prétentions *.

Le 2 mars, les trois cantons primitifs eurent à Gersau une conférence avec celui de Lucerne, où ils décidèrent de demander aussi au Vorort la convocation d'une Diète des XIII cantons Zoug se joignit à eux. Le Vorort repoussa cette demande, mais il ajourna la Diète des XIX cantons au 21 mars et convoqua de rechef les XIII anciens cantons à une conférence préliminaire. Ce fut encore sans succès.

La Suisse se scindait. Deux systèmes se trouvaient en présence celui de la légalité nouvelle fondée sur l'état de fait créé par l'Acte de médiation et consacré

1 Manuel du Conseil secret, 20 et 22 février et 1er mars 1814, cité par Monnard, XVIII, p. 279.

De Tillier. Geschichte des Eidgenossenschaft während der sogenannten Restaurationsepoche, I, 394.

par la convention du 29 décembre 1813, et celui de l'ancienne légalité, qui tenait pour non avenue la révolution helvétique. Les principaux Etats de la Confédération se trouvaient en opposition. Autour de Zurich qui, bien que gouvernée par des hommes appartenant à des familles de vieille souche, représentait les tendances modernes, se rangeaient les cantons de Schaffhouse, Bale, Glaris et Appenzell, ainsi que les Etats de récente formation, Argovie, Vaud, Thurgovie, St-Gall et le Tessin (total, 10 cantons). Autour de Berne, qui représentait le particularisme étroit des anciennes traditions aristocratiques', se réunissaient les cantons de Soleure, Fribourg, Lucerne, Uri, Schwytz, Unter

Tous les aristocrates bernois n'approuvaient point l'attitude de leur canton. Il importe de relever le fait.

Voici ce qu'un magistrat appartenant à une ancienne famille patricienne, M. Thormann, le beau-frère de l'avoyer de Wattenwyl, écrivait au Landammann Monod le 28 janvier 1814:

< La malheureuse proclamation du 24 décembre (celle qui réunissait Argovie et Vaud) a engagé notre gouvernement dans une carrière de laquelle il ne sait plus comment sortir. Des obstacles invincibles l'empêchent d'y avancer, l'amour-propre ne lui permet plus de reculer. C'est cet embarras de savoir comment revenir sur ses pas qui l'a fait refuser d'envoyer des députés à Zurich.

> Je regarde nos prétentions de ne pas vouloir reconnaître l'indépendance des cantons d'Argovie et de Vaud comme absolument insoutenables, et tout aussi insoutenable celle de la conservation du droit illimité de souveraineté de la ville et bourgeoisie de Berne sur notre propre canton.

> Beaucoup de personnes voient absolument comme moi, mais les têtes en deux Cents (c'était le nom du Grand Conseil) se montent peu à peu tellement, les criailleurs crient si fort, que les gens de bon sens se taisent; avec tout cela tout n'est que bruit, c'est le torrent de Lafontaine, bruit sans profondeur. Notre gouvernement n'a pour lui ni le pays, ni la bourgeoisie de la ville, ni même la plus grande partie de ce que l'on appelle notre caste. »

wald et Zoug (total, 8 cantons). Les Grisons formaient un groupe distinct des deux autres, ils prétendaient conserver leur autonomie, n'avoir avec la Suisse que des rapports d'alliance et se placer plus ou moins sous le patronage de l'Autriche.

Chose affligeante à constater, les deux partis comptaient l'un comme l'autre sur l'intervention étrangère pour l'emporter sur leur adversaire. C'était la conséquence déplorable des années d'asservissement par lesquelles la Suisse venait de passer. Sa situation présentait certaines analogies avec celle de la Pologne au temps jadis. Le vrai patriotisme, qui consiste à faire passer l'intérêt général du pays avant les intérêts d'un parti, faisait absolument défaut. Ce reproche s'adresse surtout aux huit cantons qui, comme nombre et comme chiffre de population', constituaient la minorité. Cet usage des Sonderbund, qui est la perte des confédérations, on l'a vu dans l'ancienne Grèce et dans la moderne Pologne, était un vieil abus qui devait, pendant plus de trente ans encore, se renouveler périodiquement et que la constitution de 1848 réussit enfin à extirper de nos mœurs politiques.

Vers le milieu de mars, deux Diètes siégeaient à la fois celle de Zurich, présidée par Reinhard, et celle des cantons dissidents, présidée à Lucerne par l'avoyer Ruttimann. Des négociations eurent lieu entre les deux assemblées. Le Landammann Reinhard envoya le conseiller d'Etat de Wyss et le Landammann Zellweger à

La population des huit cantons dissidents n'atteignait pas 600,000 âmes, alors que celle des dix cantons fidèles à la convention du 29 décembre approchait de 900,000. Les Grisons, Genève, Vallais et Neuchâtel, réunis, comptaient environ 240,000 habitants.

Lucerne. Avec l'appui des ministres étrangers, ceux-ci réussirent à obtenir la dissolution de ce Sonderbund. L'Etat de Berne était naturellement toujours le plus difficile à rallier à la Diète fédérale. Les Puissances le mirent en demeure d'envoyer des députés à Zurich. Le 28 mars, le conseiller aulique baron de Krudener' arrivait à Berne. « C'était, nous dit Monnard, un di

plomate habile à mitiger une mission sévère par » l'aménité de ses manières et la finesse de son es» prit. » Il remit à l'avoyer en charge une note péremptoire signée par les ministres plénipotentiaires d'Autriche, de Russie et de Prusse.

Les Hautes Puissances, y était-il dit, décidées à prévenir, dans l'intérêt même de la Suisse, les funestes conséquences de la discorde, ont donné à leurs ministres les ordres les plus précis. Ceux-ci n'en ont différé l'exécution que dans l'espérance que Berne saurait comprendre le sens de ce procédé plein d'égards. Maintenant, ils invitent cet Etat pour la dernière fois à déléguer ses députés à la Diète des XIX cantons, le bien-être de la Suisse exigeant le prompt achèvement du Pacte. Pour dédommager Berne des grands sacrifices qu'il est appelé à faire à l'union et à la force de la patrie, les Puissances l'indemniseront en ajoutant à son territoire des provinces conquises par leurs armes, Bienne et ses dépendances, l'Erguel, le Val-de-Moutier et le Porrentruy.

La note des Puissances produisit l'effet voulu. Le 31 mars, le Grand Conseil de Berne décidait par 118 voix contre 55 l'envoi d'une députation à la Diète fédérale; mais il repoussait par 83 voix contre 71 l'indemnité territoriale qui lui était offerte, l'envisageant

Le dit baron de Krudener était le fils de Mme de Krudener qui, à la même époque, tenait à Genève des conventicules religieux dont nous aurons à parler plus tard.

comme une source de difficultés administratives, en raison des différences de religion, de mœurs et de langage qui séparaient les districts du Jura du reste du canton. Il agissait comme ces enfants boudeurs qui refusent les fiches de consolation qu'on leur offre et sont tout heureux de les accepter une fois leur colère passée '.

Il parut en Suisse, à cette époque, une caricature représentant un ours mené en laisse par un Cosaque qui le conduisait à la Diète et sur lequel étaient deux singes affublés l'un de la livrée de Fribourg, l'autre de celle de Soleure 2.

Réunion de la longue Diète.

Notes des Puissances.

Discussion sur le projet de Pacte. Question des frontières militaires; rapport du colonel Finsler. Neuchâtel, le Vallais et Genève demandent à faire partie de la Confédération. Conflit avec l'Autriche au sujet de la Valteline. Mission de MM. de Mulinen, Reding et Monod à Paris comme ambassadeurs de la Diète auprès du roi Louis XVIII. Audience donnée par le czar aux envoyés suisses.

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Après ce que l'on a appelé la capitulation diplomatique de Berne, du 31 mars, les affaires fédérales entrèrent dans une nouvelle phase. Tous les Etats ayant envoyé leurs députés à Zurich, le 6 avril 1814, la Diète des XIX cantons se trouvait enfin au complet.

On nous a pris notre cave et notre grenier, disaient les patriciens bernois, et l'on nous donne à la place un galetas.

2 Voir Monod. Mémoires.

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