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Note des ministres d'Autriche, de Russie et d'Angleterre. Troisième projet de Pacte. Procédure adoptée pour trancher les questions territoriales. - Berne renonce à son système d'obstruction. Adoption du Pacte par 16' cantons. Admission du Valais, de Neuchâtel et de Genève dans la Confédération. Jugements sur le Pacte.

Le 13 août (1814), la Diète recevait une nouvelle note des Puissances. Les ministres d'Autriche, de Russie et d'Angleterre constataient que c'étaient les prétentions territoriales de certains cantons qui étaient le principal obstacle à la reconstitution de la Suisse et ils adressaient aux Etats récalcitrants de sévères reproches.

Aucun canton, disaient-ils, quel qu'il soit, ne saurait par luimême fixer l'attention des grands Etats de l'Europe; ce n'est, et ce ne peut être, que sous la figure d'un corps fédératif que la Suisse entière les intéresse. C'est pour affranchir ce corps du joug qui l'opprimait, c'est pour lui rendre son libre arbitre et la parole que les Puissances alliées portèrent leurs armes sur les frontières de la Suisse, combattirent pour elle, stipulèrent pour elle. Et le premier, le seul usage qu'elle ferait de son indépendance reconquise, et à elle restituée par les Magnanimes Souverains, n'aboutirait qu'à faire scission et à réduire ainsi tout le corps fédéral à l'inaction et à la nullité la plus absolue?

Non, la Suisse ne peut être déchue à ce point. Sa Diète, à laquelle est confiée la direction de ses premiers pas vers l'Europe assemblée, ne voudra point que les ministres ici soussignés n'aient à offrir à leurs très Augustes Maîtres pour tout résultat qu'un tel retour. Ils ne doutent plus que, faisant trève à toute question qui n'est pas essentiellement commune à tous, les membres jusqu'ici les plus dissidents, retournant au sentiment de leurs devoirs envers leurs co-Etats et d'une juste gratitude

envers leurs généreux libérateurs, rachètent, par un redoublement de zèle et de loyauté dans l'achèvement du Pacte fédéral, le temps perdu.

C'est à cette condition que les soussignés prennent ici l'engagement, non-seulement de faire tout ce qui dépend d'eux pour trouver et faire agréer des modes de compensations équitables et suffisantes aux demandes du second et du troisième ordre, mais encore de solliciter, sur celles du canton de Berne, qui sont au premier rang, des pouvoirs et instructions tels qu'il en faudra pour rétablir la concorde en Suisse et concilier les intérêts de tous les cantons. Si cette proposition ne conduit pas à un résultat satisfaisant, les soussignés se trouveront hors d'état de continuer leurs relations avec la Diète et attendront les ordres ultérieurs de Leurs Majestés 1.

Cette remontrance produisit son effet. Dans des conférences particulières, les députés à la Diète parvinrent à se mettre d'accord sur un nouveau projet de Pacte en XV articles et sur la procédure à suivre pour trancher les questions territoriales. Il fut convenu :

10 Que les anciens cantons qui avaient des prétentions à faire valoir sur des parties de territoires d'autres cantons, ou des dédommagements ou des équivalents à demander pour la perte de droits ou de propriétés qu'ils possédaient autrefois, en donneraient une note détaillée le 24 août;

20 Que les parties nommeraient deux conciliateurs pris dans les cantons désintéressés, qui essaieraient un accommodement; 30 Que si cet accommodement n'avait pas d'effet dans l'espace de trois mois, les conciliateurs remettraient les prétentions et les demandes de bonification à une décision arbitrale, qui aurait lieu d'après les prescriptions de l'art. V du IIIe projet de Pacte;

40 Que les parties de territoires sur lesquelles des prétentions étaient élevées seraient soustraites à la domination du canton

Cette note était signée Capo d'Istria, Schraut et Strafford Canning. Voir F. 387.

en cause jusqu'à ce que les réclamations pendantes fussent aplanies.

Que les Etats que cela concernait s'abstiendraient de toute entreprise qui pût troubler la tranquillité publique ;

5o Que dès que le projet de Pacte et cet accord auraient été ratifiés par la majorité des Etats, le Pacte fédéral serait déclaré conclu et constitué, et tous les articles et dispositions qui en découlent mis en usage;

60 Que les ratifications seraient déposées pour le 5 septembre.

Le nouveau projet de Pacte qui devait assurer le vote des anciens cantons différait du précédent principalement sur les points suivants :

1o Les cantons ne se garantissaient plus leurs constilutions et celles-ci ne devaient pas être soumises à l'approbation de la Diète. La garantie ne portait plus que sur les territoires, l'ordre public et l'indépendance vis-à-vis de l'étranger; 2o les parties de territoire en litige étaient exceptées de la garantie jusque après solution des questions encore pendantes'; 3o les attributions du pouvoir central étaient diminuées.; 40 au lieu d'un Vorort unique, il devait y en avoir trois, Zurich, Berne et Lucerne, qui devaient garder le pouvoir deux ans consécutivement; 40 l'institution du Conseil fédéral prévue par le précédent projet devenait purement facultative; 5o enfin une procédure était fixée, à l'art. V, pour vider les contestations entre cantons.

Toutes les députations présentes à Zurich s'engagerent à faire connaitre à leurs gouvernements le IIIe projet de Pacte et le compromis destiné à liquider les

Cette phrase fut retranchée du Pacte définitif à la suite du Congrès de Vienne.

questions encore en litige; la plupart promirent de chercher à en obtenir l'approbation. Leurs déclarations furent insérées au protocole de la Diète, qui s'ajourna du 16 août au 6 septembre (1814).

Ces décisions, sans faire droit aux réclamations de l'Etat de Berne, du moins ne les préjugeaient pas, car la garantie fédérale n'était pas donnée aux territoires en litige. De guerre lasse, le Grand Conseil de Berne accepta le nouveau projet de Pacte par 127 voix contre 54. Lorsque la Diète se réunit le 8 septembre, la plupart des cantons l'avaient également accepté, quoique quelques-uns eussent préféré en revenir au projet du 31 mai (c'était le cas de Bâle et des nouveaux cantons).

Le 9 septembre, la Diète, après avoir constaté que la Confédération suisse était formellement reconstituée, chargea son président de notifier le fait aux gouvernements cantonaux, qui, de leur côté, furent invités à faire connaitre l'adoption du Pacte à leurs ressortissants.

Celle-ci fut également notifiée aux ministres étrangers, qui déclarèrent en éprouver une vive satisfaction » et promirent, au nom de leurs Augustes Souverains, le meilleur accueil à la légation que la Diète venait de décréter.

Le 12 septembre (1814), la Diète admit le Vallais, Neuchâtel et Genève dans la Confédération.

Au milieu de septembre, tous les cantons avaient donné leur adhésion au Pacte, à l'exception de Schwytz et Nidwald, qui refusaient d'entrer dans la Confédération, et du Tessin, qui n'était pas encore constitué et qui y adhéra le 30 novembre (1814). En rejetant le

Pacte, Schwytz avait cherché à entrainer Unterwald et Uri dans son opposition; il leur proposait de reconstituer l'alliance de 1315. Mais Uri repoussa cette proposition et fit des efforts pour engager Schwytz à ne pas se séparer de ses confédérés. Obwald insistait dans le même sens auprès de Nidwald. Schwytz et Nidwald persistèrent plusieurs mois encore dans leur résistance obstinée. Ce ne fut que le 30 avril 1815 que Schwytz donna son adhésion au Pacte et le 30 août 1815 que la Diète l'obtint de Nidwald. C'est au clergé et au comité des patriciens bernois, Ch. de Haller et consorts, que l'on parait devoir attribuer la longue résistance que Nidwald opposa aux vœux de la Diète, résistance qui eut pour effet de détacher de ce dernier la vallée d'Engelberg et de la réunir à Obwald.

La Diète devait mettre le sceau à son œuvre par un serment; elle décida qu'il serait prêté le 5 janvier 1815. Puis elle résolut d'attendre que le Congrès réuni à Vienne eùt donné son approbation au Pacte pour procéder à sa promulgation, qui eut lieu seulement le 7 août 1815; ce qui fait que, quoique élaborée en 1814, cette constitution porte le nom de « Pacte de 1815 ».

Nous consacrons plus loin un chapitre à l'étude du Pacte de 1815; bornons-nous à constater pour le moment qu'il favorisait à l'excès les tendances particularistes des cantons et devait étouffer toutes les aspirations généreuses du peuple suisse. Il ne pouvait en être autrement, étant donnés les tristes débats dont il était sorti. Une constitution ne saurait être bonne qu'à la condition de pouvoir se développer au fur et à

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