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teline proprement dite (64 mille âmes), le délégué des Grisons y renonçait, vu qu'elle était habitée par un peuple remuant incapable de se laisser assimiler et de supporter une constitution libérale.

« Les Grisons, ajoutait-il en terminant, ne peuvent être gouvernés que par les Grisons. L'incorporation de la Valteline (sur le pied d'une union cantonale co-régnante) appellerait des étrangers au gouvernement du canton, et cette réunion monstrueuse de parties aussi disparates poserait indubitablement le germe de la méfiance et d'éternelles dissensions.

> Les deux premières autorités constituées du canton ont puisé dans ces raisons la conviction intime que l'intérêt commun, tant des deux parties dont il s'agit que de la Confédération générale, exige de n'admettre, dans aucun cas, la réunion de la Valteline aux Grisons comme partie cantonale, mais bien de la constituer en un Etat séparé et agrégé à la république fédérée des Suisses. »

Au point de vue stratégique pur, le démembrement de cette province pouvait se soutenir, la Suisse était moins intéressée à la possession de la Valteline proprement dite qu'à celle de Chiavenna et de Bormio, qui sont en quelque sorte les clefs de sa frontière sudest. Quant à ériger cette contrée en canton, la Confédération helvétique ne l'aurait pas voulu, parce que cela eût accru l'influence des cantons catholiques.

« L'esprit et le caractère qui dominent dans la Valteline, disait Reinhard 1, sa conduite dès le premier moment de la révolution, les dispositions qu'elle manifeste aujourd'hui placent la Confédération dans la nécessité de subordonner l'influence de cette vallée dans les délibérations fédérales. Il faut lui accorder une liberté étendue et suffisante et tous les moyens d'être heureuse et tranquille, mais on ne veut pas que son intervention directe

puisse compromettre les intérêts de la commune patrie ».

Note du 6 janvier 1815.

Cela revenait à faire de cette contrée un pays sujet. La diplomatie autrichienne tira parti du défaut d'entente des députés suisses, dont le nombre diminuait la force. Le partage de la Valteline était désapprouvé des plénipotentiaires russes et anglais comme étant contraire aux vœux de la majorité des Valtelins. Les représentants des Hautes Puissances n'admettaient pas que la Valteline redevint un pays sujet. Si elle devait être réunie à la Suisse, ce devait être au même titre que le Valais, Genève et Neuchâtel, comme canton ou comme partie intégrante d'un canton avec une entière égalité de droits.

Au fond, le gouvernement des Grisons attachait peu d'importance à la restitution de son ancienne conquête et se rattacha à l'idée d'un dédommagement pécuniaire. Le 16 janvier 1815, ses délégués, de SalisSils, d'Albertini et de Toggenbourg firent une démarche auprès de la commission du Congrès pour demander :

1o Qu'il fût accordé au canton des Grisons le droit d'exiger une indemnité pour la perte de ses revenus qui résulterait de l'émancipation éventuelle de ces trois provinces, suivant le même principe qui pourrait être établi à l'égard d'autres cantons envers leurs ci-devant sujets.

2o Que le comté de Chiavenna fùt uni au canton des Grisons avec la qualité de Hochgericht (judicature) libre et sous les conditions indiquées dans les notes précédentes. Cette union, dit la note', est rendue indispensable par la situation géographique du pays, qui l'identifie avec le canton, tant sous le rapport politique que sous celui de l'économie ;

3o Que dans le cas où l'incorporation de Bormio aux Grisons rencontrerait des difficultés trop grandes, les dispositions définitives relatives aux rapports de ce pays avec la Valteline fussent

1 Note du 13 janvier 1815.

ajournées jusqu'à ce qu'on ait entendu les vœux des habitants de celte vallée, si différents des Valtelins, en richesse, habitudes, caractère et mœurs.

Convaincus, disaient-ils d'autre part dans une dernière note du même jour, que leurs Excellences Messieurs les ministres auraient reconnu la justice des réclamations des particuliers grisons dépouillés de leurs propriétés en Valteline, Chiavenna et Bormio par un acte de violence, ils demandaient que les pertes souffertes fussent compensées par un équivalent.

Le prince de Metternich avait su, par les relations directes qu'il entretenait avec les délégués des Grisons et en reconnaissant le bien-fondé des réclamations de leurs ressortissants, amener le gouvernement des Ligues à composition. Les difficultés soulevées par la Suisse étaient une fausse manoeuvre qui jointe à l'attitude des Grisons fit un mauvais effet sur la diplomatie et fournit une arme à l'Autriche pour retirer son offre. Lors de la XIe séance de la commission du Congrès (20 février), la question de la Valteline, sur la proposition du plénipotentiaire autrichien, demeura réservée, les membres de la commission, dit le protocole, n'étant pas à même d'énoncer les intentions définitives de leurs cabinets à ce sujet. Le protocole de la séance n'est pas signé par le représentant de l'Autriche.

Dans les séances subséquentes (5 mars-13 mars), l'espoir que la Suisse avait pu conserver de rentrer en possession de son ancienne frontière fùt complètement déçu. L'Autriche s'engagea à fournir aux Grisons une indemnité pour les pertes essuyées par les confiscations opérées dans le département de l'Adda. Le montant de cette indemnité devait être réglé par une commission mixte nommée par S. M. I. et R. Apostolique et la Confédération helvétique. L'Autriche céda

de plus au canton des Grisons la petite seigneurie de Ræzuns avec tous les droits et prérogatives y affectés'; par contre elle reçut, non-seulement la Valteline, mais encore les comtés de Bormio et de Chiavenna qui furent réunis au duché de Milan.

Le 18 mars, les huit représentants des cinq grandes puissances (et non plus seulement le comité suisse) donnèrent leur adhésion à la réunion définitive de la Valteline aux Etats autrichiens 2.

La légation suisse ne fut pas officiellement informée de cette décision, qu'elle apprit par une voie officieuse. Ce fut ainsi que la Suisse, en dépit des promesses qui lui avaient été faites, n'obtint pas la rétrocession de la Valteline, de Chiavenna et de Bormio, gràce à l'habileté des diplomates autrichiens et à l'impéritie des délégués fédéraux et grisons.

Rapport de Capo d'Istria sur la situation des affaires suisses. Mémoire de Laharpe. Délibération de la commission du Congrès.

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Dans sa dixième séance (le 16 janvier 1815), la commission du Congrès entendit un rapport de Capo d'Istria, qui résumait la situation des affaires suisses

Ræzuns, ou Rhæzuns, est située au confluent du Rhin antérieur et du Rhin postérieur. Ce château avait été acquis au commencement du XVIIIe siècle par l'Autriche, pour en faire la résidence de ses envoyés dans les Grisons.

Il devait se passer longtemps avant que l'Autriche remplit sa promesse à l'égard des victimes des spoliations commises en 1797. Les négociations relatives à cet objet furent laborieuses, les procès-verbaux de la Diète en font mention à plusieurs reprises. Ce ne fut qu'en 1833, le 25 septembre, que des arrangements purent enfin être pris avec l'Autriche pour la composition de la commission de liquidation qui

et indiquait les moyens les plus propres à terminer les questions en suspens. De son côté, Laharpe présentait, par l'entremise du baron de Stein, le 23 janvier 1815, des « Observations au Congrès relativement au rapport du comité », suivies d'un rapport supplémentaire du 8 février. Ces deux mémoires s'élèvent avec une grande force contre les prétentions pécuniaires exorbitantes de l'Etat de Berne et contiennent, en outre, une série de critiques judicieuses sur le Pacte adopté le 16 août 1814.

Laharpe faisait ressortir le danger des guerres civiles, auquel la Suisse était exposée; l'insuffisance du pouvoir central; les inconvénients qui résulteraient de la rotation du Directoire fédéral. I insistait sur les lacunes du Pacte et déplorait particulièrement la suppression des dispositions de l'Acte de médiation qui consacraient les droits de chaque Suisse en termes clairs et précis. Il montrait que le peuple des campagnes était sacrifié, que le rétablissement du système oligarchique, opéré par la violence, à Berne, à Soleure, à Fribourg et à Lucerne, en donnant le pouvoir à une infime minorité de citoyens, aurait des résultats déplorables, et qu'on ne pouvait attendre aucun progrès

devait fixer les indemnités à payer aux propriétaires évincés. Les dédommagements alloués furent illusoires, ils ne s'élevèrent qu'à 2 millions 176,438 livres.

M. Hilty s'est étendu longuement sur cette question de la Valteline et son P. J., année 1887, a été notre source principale. On lira avec intérêt dans ses Beilagen (no IV, p. 473 et suiv.) le récit des démêlés entre les Valtelins et les Grisons; quelques extraits de l'histoire de la Valteline par Romagialli, relatifs aux exactions commises par le gouvernement des Grisons et aux circonstances dans lesquelles furent faites les confiscations, et, enfin, le rapport de la députation des Valtelins au Congrès de Vienne.

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