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VI

INFLUENCE ÉTRANGÈRE SUR LA POLITIQUE
FÉDÉRALE

Participation de la Suisse à la Sainte-Alliance.
Conclusum fédéral du 14 juillet 1823.

Un des premiers actes importants accomplis par la Diète et qui lui fut imposé par l'étranger, fut son adhésion aux principes de la Sainte-Alliance (27 janvier 1817). Ce traité fraternel et chrétien avait, comme on sait, été conclu à Paris le 26 septembre 1815 par les empereurs d'Autriche et de Russie et le roi de Prusse. Ces trois monarques s'étaient engagés réciproquement à prendre pour règle de leur conduite, « soit dans l'administration de leurs Etats respec>> tifs, soit dans leurs relations politiques avec tout >> autre gouvernement, les préceptes de la religion, » préceptes de justice, de charité et de paix qui, » loin d'être uniquement applicables à la vie privée, » doivent, au contraire, influer directement sur les >> résolutions des princes, et guider toutes leurs dé>> marches, comme étant le seul moyen de consolider >> les institutions humaines et de remédier à leurs >> imperfections.

» Conformément aux paroles des saintes Ecritures, >> qui ordonnent à tous les hommes de se regarder

comme frères, les trois Monarques, dit le traité, de

> meureront unis par les liens d'une fraternité véri> table et indissoluble, et, se considérant comme > compatriotes, ils se prêteront en toute occasion et > en tous lieux assistance, aide et secours; se regar› dant envers leurs sujets et armées comme père de > famille, ils les dirigeront dans le même esprit de > fraternité dont ils sont animés pour protéger la re»ligion, la paix et la justice. »

Les trois Souverains se considéraient

comme les

» membres d'une même nation chrétienne, délégués » par la Providence pour gouverner trois branches » de la même famille, confessant que la nation chré> tienne n'a réellement d'autre souverain que celui à » qui appartient en toute propriété la puissance, c'est» à-dire Dieu. »

Toutes les Puissances, à l'exception de l'Angleterre, du Pape et du Sultan, avaient successivement adhéré à ce pacte d'un nouveau genre. En y entrant à son tour, « la Confédération, dit l'acte d'adhésion, rend hommage à l'esprit religieux et moral de ce traité, » qui tend éminemment à assurer la paix et la félicité » des peuples. »

Les intentions des promoteurs de la Sainte-Alliance étaient des plus louables, et cependant ce traité ne produisit pas les heureux résultats que l'on eût pu en attendre. Il est beau assurément, de la part d'un souverain, de vouloir subordonner sa politique aux préceptes de la religion, mais il y a danger pour la société lorsque un ou plusieurs monarques prétendent être les seuls interprètes des desseins de la Providence, car ils risquent, avec la meilleure foi du monde, de prendre leurs propres désirs pour des manifestations de la volonté divine.

La conception grandiose et sublime qu'avait imaginé l'empereur Alexandre ne tarda pas à dégénérer en un instrument d'oppression, gràce à l'influence qu'avait su prendre sur lui le prince de Metternich. Le ministre autrichien, profitant habilement de l'impression produite sur le czar par le meurtre de Kotzebue (23 mars 1819) et les mouvements politiques survenus en Espagne et en Italie, réussit à gagner ce souverain à ses vues rétrogrades; en sorte qu'au lieu d'assurer le bonheur des nations en faisant régner la justice, les monarques ne songèrent plus qu'à se coaliser contre leurs peuples.

La censure fut instituée dans la Confédération germanique. Les sociétés d'étudiants formées pour travailler à l'avènement du régime parlementaire furent proscrites par le Congrès de Carlsbad (1820). Le gouvernement piémontais, qui s'était rendu odieux en tenant pour nuls et non avenus les progrès réalisés depuis cinquante ans, fut rétabli par les Autrichiens en vertu des décisions prises par le Congrès de Troppau (1820). Le régime constitutionnel à peine établi à Naples et en Espagne et que les souverains de ces pays avaient juré d'observer, fut supprimé par les Congrès de Laybach (1821) et de Vérone (1822); pour procurer l'exécution de ces décisions, des régiments autrichiens occupèrent Naples et une armée française fut envoyée en Espagne.

La Suisse fut appelée à prendre position dans la lutte engagée entre les souverains absolus et leurs sujets. Jadis elle avait accueilli les victimes de la St-Barthélemy et de la révocation de l'édit de Nantes et fièrement résisté aux menaces des envoyés de Charles IX et de Louis XIV. Plus récemment, elle

avait donné asile à Joseph Bonaparte; Kosciusko était venu y terminer ses jours', après avoir vu succomber la Pologne, dont il avait glorieusement commandé les armées; l'ex-roi de Suède, Gustave IV, sous le nom de Gustavson, se fit recevoir bourgeois de Bâle en 1818 et vécut quelques années à Saint-Gall, dans un état voisin de la misère. La Suisse devint donc tout naturellement le refuge des libéraux allemands et italiens. Les Puissances demandèrent à la Confédération d'exercer sur eux une surveillance efficace; le Directoire se borna au début à donner des assurances générales. La Prusse ayant réclamé l'extradition de quelques réfugiés qui avaient obtenu des places de professeurs à Bâle et en Argovie, les gouvernements de ces cantons eurent le courage de les maintenir dans leurs chaires. C'était faire preuve d'indépendance, car la Confédération était alors desservie non-seulement par la presse monarchique, mais encore par quelquesuns de ses ressortissants, comme Fauche-Borel et Ch.-L. de Haller, qui se plaisaient à la calomnier à l'étranger. De Haller, en effet, avait adressé aux ambassadeurs des Puissances, réunis en Congrès à Troppau (1820), un mémoire où il représentait la Suisse comme un foyer de révolutions. Le Directoire invoqua en faveur des proscrits le droit d'asile et l'orage passa.

Lorsque, en 1821, la révolution piémontaise eut été réprimée, la situation se tendit de plus en plus, en raison même des persécutions que les carbonari avaient à endurer.

A cette mème époque, la neutralité de la Suisse fut

1 Kosciusko mourut à Soleure le 15 octobre 1817.

mise en question au sein des Chambres françaises par le général Sébastiani et son indépendance politique contestée par le général Foy 2. C'était à l'occasion des capitulations militaires, dont l'opposition française demandait la suppression. Le publiciste Bonald, qui se prononça, au contraire, pour leur maintien, tenait un langage méprisant envers la Suisse. «Les cantons », disait-il, ne sont dans la chrétienté que de grandes » municipalités, qui ont le pouvoir civil, auxquelles » leurs sujets doivent nécessairement obéir, mais qui » n'ont le pouvoir politique que sous le bon plaisir » des grandes puissances. » 3

Le prince de Hardenberg, qui dirigeait la politique prussienne, se montrait également très mal disposé envers la Confédération; il y entretenait des espions chargés de surveiller les réfugiés allemands.

Cet ensemble de circonstances rappelle à plus d'un égard, celle où s'est trouvée la Suisse au printemps de 1889, avec cette différence, toutefois, que la Confédération est aujourd'hui bien plus une que sous le Pacte de 1815. La confiance que la Suisse avait dans les principes dont elle s'était jusqu'alors inspirée se trouvant ébranlée, le roi de Sardaigne, appuyé par les cours de Russie, d'Autriche et de Prusse, en profita pour demander, en 1821, à l'Etat des Grisons; d'exclure de son territoire les réfugiés piémontais. Le gouvernement de ce canton, déférant aux voeux du cabinet de Turin, décida qu'aucun étranger non muni du passeport valable ne pourrait à l'avenir y séjour

1 Voir Gazette de Lausanne des 29 juin et 3 juillet 1824.

Voir mêmes numéros.

3 Voir même journal, du 4 décembre 1821.

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