Page images
PDF
EPUB

Le 24 décembre 1813, les survivants de l'ancien patriciat bernois étaient convoqués, prenaient le pouvoir en mains et langaient une proclamation dont voici la

teneur :

Nous, l'avoyer, Petit et Grand Conseil du canton de Berne; considérant que les Puissances alliées n'ont pas accédé à la neutralité de la Suisse, qu'au contraire elles y ont fait entrer des troupes, nommément dans notre canton, qu'elles ont positivement déclaré à Son Excellence le Landammann de la Suisse que l'Acte de médiation était incompatible avec le grand but qu'elles ont d'affranchir les peuples et de rendre à la nation suisse sa liberté; considérant que par là le gouvernement légitime du cidevant canton de Berne, qu'une force étrangère avait renversé, rentre dans la plénitude de ses droits; considérant que notre Grand Conseil a conféré dans la séance d'hier à une Commission d'Etat la direction des affaires, jusqu'à ce que les élections qui doivent compléter le Conseil souverain aient eu lieu;

Nous ordonnons à toutes les autorités inférieures civiles et administratives et aux employés, tant dans l'ancien canton de Berne que dans les parties qui en avaient été détachées, le pays de Vaud et l'Argovie, de pourvoir avec la plus grande attention et activité au maintien de la tranquillité et de l'ordre et de s'adresser à Leurs Excellences dans les cas extraordinaires.

Dès l'époque de cette publication, les deux gouvernements d'Argovie et de Vaud, ainsi que leurs subordonnés, sont chargés d'arrêter l'état de leurs caisses, appuyé de pièces justificatives authentiques et de les tenir à notre disposition sous leur responsabilité personnelle. Nous leur ordonnons pareillement que tous les arsenaux, poudres et munitions soient mis sous scellés et fidèlement conservés. Les armées des Puissances alliées traversant la Suisse dans leur marche, nous ordonnons à tous nos sujets d'accueillir amicalement celles qui passeront dans notre canton et de leur fournir sans opposition ce dont ils seront requis.

Quoique l'ancienne constitution de Berne, dont plusieurs siècles ont démontré l'avantage, redevienne le fondement de l'édifice social, il sera cependant dérogé au mode de nomination du Grand Conseil; n'écoutant en cela que les motifs d'intérêt géné

ral qui prescrivent d'en élargir la base, afin de donner plus de solidité à l'avenir. En conséquence, les hommes instruits de toutes les parties du canton, non-seulement ne seront pas exclus des places du gouvernement, mais seront recherchés pour y prendre part, pourvu que leur probité et leurs opinions ostensiblement constatées soient garantes de l'utilité de leur coopération. En outre, un nombre considérable de familles tant de l'Argovie que du pays de Vaud et du canton actuel, obtiendront le droit de bourgeoisie de la ville de Berne.

Nous confirmons au surplus toutes les ventes et transactions de droit de lods, de dimes, de cens et autres redevances qui ont eu lieu.

Et enfin, à l'instar de nos pères, nous ne rechercherons point les auteurs ni les complices des délits politiques, leur assurant à tous une pleine amnistie.

Nous nous flattons, chers et féaux, que si vous accueillez sincèrement nos intentions bienveillantes à votre égard, le Dieu qui préserva jadis si spécialement notre patrie et qui présentement encore daigne permettre qu'elle soit si miraculeusement sauvée, nous accordera sa bénédiction et nous rendra la félicité dont jouissaient nos pères.

Donné dans l'assemblée de notre Grand Conseil, le 24 décembre 1813.

Signé: Chancellerie d'Etat.

Un pareil factum se passe de commentaires. Lorsque Metternich en prit connaissance, il dit: C'est moins l'appel d'une mère à ses enfants que le èri d'un vautour fondani sur sa proie. On a souvent reproché au peuple vaudois d'avoir appelé l'étranger à son secours pour secouer le joug de Berne; il n'est pas hors de propos de faire remarquer ici que les patriciens bernois à leur tour ont tenté de recourir aux baïonnettes étrangères pour replacer sous leur domination leurs ci-devant sujets devenus leurs égaux.

Le coup d'Etat accompli par Leurs Excellences cansa en Suisse une surprise générale. Les gouvernements

vaudois et argovien prirent aussitôt des mesures énergiques; ils firent parvenir à la Diète une protestation pleine de dignité, adressèrent à leurs peuples un appel pour les engager à demeurer fidèles aux serments prêtés, interdirent sous les peines les plus sévères le colportage de la proclamation bernoise et envoyèrent des délégués au camp des alliés pour plaider leur cause.

L'ancien avoyer de Mullinen, désireux d'atténuer la fàcheuse impression produite par la proclamation bernoise, écrivit à son ami M. de Seigneux, à Lausanne, pour préparer les voies d'une entente entre les aristocrates modérés de Berne et ceux du canton de Vaud. Des conférences s'organisèrent aussitôt à Lausanne chez M. de Mollins, et là, quelques grands proprié taires vaudois, ci-devant seigneurs, que la révolution avaient dépouillés de leurs privilèges, décidèrent à une grande majorité de repousser les offres des patriciens bernois; ils déclarèrent que l'indépendance du canton de Vaud pouvait seule assurer son bonheur et celui du canton de Berne et ils chargèrent MM. de Seigneux et d'Hermanches de faire part au Conseil d'Etat de la démarche de M. de Mullinen et de la réponse qu'ils lui avaient faite'.

En agissant de la sorte, ils firent preuve d'une abnégation digne d'éloges.

Le 26 décembre, le lieutenant-général comte de Bubna arrivait à Lausanne, où l'avaient précédé deux régiments de hussards. « C'était un brave soldat et un fin diplomate, dit Rovéréa; il cachait beaucoup de dextérité sous une épaisse enveloppe et voilait sous

1 Verdeil, t. IV, p. 240.

les formes d'une tudesque franchise la prudence et la souplesse des cours; aussi avait-il été spécialement chargé, durant les dernières années, des négociations les plus épineuses de son souverain avec Bonaparte. »

Outre sa mission militaire, le prince de Metternich l'avait chargé de coopérer à la réunion du Pays de Vaud à l'Etat de Berne, tout en le laissant libre d'agir selon les circonstances et de n'user de la force qu'autant que la chose lui paraitrait aisée et sans inconvénients'.

Le comte de Bubna consulta M. de Rovéréa, qui, comme on sait, avait été un des derniers soutiens de Leurs Excellences en 1798. Celui-ci déclara que le rétablissement du régime bernois était impossible, mais qu'il fallait saisir cette occasion pour améliorer la constitution du canton de Vaud, évidemment trop populaire, et pour épurer le personnel du gouvernement. Suivant lui, la représentation nationale devait être choisie dans la classe des grands propriétaires sans en écarter les gens capables, dont l'opinion différait de celle qui, à cette époque, y dominail; mais ce changement ne devait pas s'opérer sous l'influence d'une force armée quelconque.

M. de Rovéréa rédigea un mémoire dans ce sens. Le comte de Bubna reçut une délégation du comité dit des grands propriétaires et eut une entrevue avec les membres du gouvernement; à la suite de ces divers pourparlers, il résolut de ne pas intervenir dans les affaires intérieures du canton de Vaud et se rendit à Genève. Tandis qu'il forçait les Français à abandonner cette place, un autre officier autrichien, le colonel

1 De Rovéréa, t. IV, p. 197.

baron de Sunbschen, à la tête d'un détachement de 600 hommes de cavalerie et d'infanterie, contraignait également les Français à se retirer du Vallais et rendait à ce pays son autonomie. Nous reviendrons dans un chapitre ultérieur sur les conditions dans lesquelles s'effectua le retour du Vallais et de la république de Genève à l'indépendance.

-

Réunion de la Diète à Zurich. Abrogation de l'Acte de Médiation. Convention du 29 décembre 1813.

Lorsque le Landammann de la Suisse reçut, le 20 décembre, l'avis officiel que les armées alliées allaient traverser le sol helvétique, il en informa immédiatement les Etats confédérés. I insistait, dans sa lettre, sur le fait que cette violation de territoire n'avait été précédée d'aucun acte diplomatique, et qu'au moment où elle s'effectuait, les envoyés fédéraux étaient encore au quartier-général des Alliés dans l'attente de la réponse qui leur avait été promise touchant la nentralité de la Suisse. Il manifestait, en outre, ses craintes au sujet des événements qui se passaient à Berne et des dangers qui pourraient en résulter pour l'indépendance de la patrie, et il convoquait une Diète extraordinaire à Zurich.

Lorsque douze délégations cantonales se trouvèrent réunies dans cette ville, Reinhard prit leur avis et répondit, le 22 décembre, à la note qu'il avait reçue du chevalier de Lebzeltern, par la lettre suivante :

Tit.

Les armées autrichiennes qui traversent le territoire de la Suisse y sont entrées et ont été reçues en amies, les Hautes

« PreviousContinue »