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du 3 mai 1844). S'il n'est pas permis de chasser dans ses propriétés en temps prohibé, il doit être également interdit de faire paître des bestiaux dans son bois, s'il n'est pas défensable. Il y a autant d'intérêt à la conservation des forêts qu'à celle du gibier, surtout dans une position où le boisement est jugé assez important pour devenir l'objet d'une loi spéciale.

En résumé, il importe d'obtenir par les moyens dont l'administration peut disposer, la détermination exacte, résultant d'états statistiques, accompagnés de plans,

1o Des terrains de l'État, des communes et établissements publics, et des particuliers situés en montagne qu'il est indispensable de boiser; 20 Des bois dont il faudra interdire le défrichement et protéger la conservation;

3o Enfin, des terrains dont le boisement jugé utile devra seulement être encouragé.

La commission a dû traiter toutes ces questions comprises dans le programme arrêté dans l'avant-dernière conférence; cependant, elle ne s'est pas dissimulé que la loi à intervenir ne pourrait s'occuper que des terrains situés en montagne, dont le boisement est reconnu indispensable, et des bois dans la même exposition, dont le défrichement doit être à jamais interdit. Quant aux boisements à encourager, ils doivent être laissés aux soins de l'administration.

Les terrains à boiser étant désignés, on s'est demandé si le code forestier et l'ordonnance réglementaire ne conféraient pas à l'administration, dans leurs dispositions actuellement en vigueur, des pouvoirs suffisants pour procéder immédiatement et sans une loi nouvelle à la grande mesure du reboisement, en telle sorte que l'on dût se borner à obtenir des subsides spéciaux votés en même temps que le budget.

On avait pensé d'abord qu'une loi nouvelle n'était pas nécessaire, et qu'en vertu de la législation actuelle, l'État est le maître de procéder à un reboisement immédiat dans les terrains domaniaux, communaux et même particuliers : dans les terrains domaniaux, en vertu de sa propre autorité; dans les propriétés communales et dans celles des établissements publics, en vertu des pouvoirs que lui confèrent les art. 90 et suivants du code forestier et les art. 136 et suivants de l'ordonnance réglementaire; enfin, dans les propriétés particulières, en faisant usage de la loi d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Pour nous, l'insuffisance de la législation actuelle nous semble facile à démontrer. Nous n'allons pas jusqu'à soutenir qu'une loi nouvelle soit indispensable, en ce qui touche le reboisement des terrains domaniaux. En effet, le gouvernement est libre d'affecter aux produits qui lui paraissent les plus convenables, les biens dont il a l'administration directe et

exclusive, sauf à recourir aux chambres pour obtenir les fonds nécessaires; mais on sait que la mesure du reboisement ne doit atteindre qu'une très-minime quantité de biens appartenant à l'État; s'il en était autrement, il serait inutile de rien changer aux dispositions actuelles du Code forestier.

A l'égard des propriétés privées, qui entrent, comme nous l'avons vu, dans le total des terrains à boiser, pour 500 mille hectares environ, il sera, dans notre opinion, très-souvent nécessaire de recourir à la voie extrême, mais salutaire, de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Toutefois, il faudra d'abord épuiser tous les moyens de conciliation amiable et mettre les propriétaires en demeure de faire eux-mêmes les travaux de boisement prescrits par la loi; on peut espérer que comprenant leurs devoirs qui s'allieront avec leurs intérêts bien entendus, les propriétaires ne reculeront pas toujours devant l'exécution des mesures que leur prescrira l'intérêt général : c'est seulement en cas de refus que l'expropriation devra être suivie; mais cette expropriation ne sera possible qu'en vertu d'une loi spéciale aux termes de l'art. 3 de la loi du 7 juillet 1833 qui soumet à la nécessité d'une loi préalable, précédée d'enquêtes administratives, l'exécution de tous les grands travaux publics, routes royales, canaux, chemins de fer, etc., entrepris par l'Éta* avec ou sans subsides du trésor, avec ou sans aliénation du domaine public; or, il n'est pas douteux que le reboisement rentrera dans la classe des grands iravaux de nature à exiger l'autorisation législative.

Restent donc les biens communaux, et c'est sur eux que frappera directement la mesure du reboisement des montagnes. C'est là surtout qu'elle est d'une impérieuse et urgente nécessité. A cet égard, il suffit de jeter les yeux sur l'art. 90 du Code forestier et sur l'art. 136 de l'ordonnance réglementaire pour voir que ces dispositions isolées, loin de rendre le reboisement possible, pourraient paralyser tous les effets de cette mesure. Sans doute tous les bois des communes et établissements publics sont soumis au régime forestier, lorsqu'ils ont été reconnus susceptibles d'aménagement ou d'une exploitation régulière; mais, à côté du pouvoir de l'administration, la loi appelle à chaque instant le contrôle des conseils municipaux ou des administrateurs des établissements publics; « toutes les mesures >> relatives à l'aménagement, au mode d'exploitation et au repeuplement, » ajoute l'art. 136 de l'ordonnance, doivent leur être communiquées; ils » sont appelés à délibérer, à donner leur avis en cas de contestation, » il sera statué par le conseil de préfecture, sauf le pourvoi au Conseil » d'État. »

Or, dans l'exécution d'une mesure aussi importante que celle du reboisement des montagnes, aussi opposée aux préjugés des petites localités, il est manifeste que l'administration rencontrera souvent le mauvais vouloir de l'autorité municipale; il faudrait donc, aux termes de l'art. 90,

qu'elle engageât avec elle des luttes longues et vives, des contestations judiciaires qui compromettraient souvent le sort du reboisement; il suffirait pour cela qu'un conseil de préfecture donnât raison aux résistances communales. Il est vrai que le Conseil d'État serait juge en dernier ressort; mais l'action administrative n'en serait pas moins entravée et paralysée par des contestations interminables, lorsqu'un temps précieux a déjà été perdu et que l'intérêt public ne permet plus de retard.

Enfin, malgré la généralité des art. 90 du Code forestier et 136 de l'ordonnance qui paraissent étendre les pouvoirs de l'administration à l'aménagement, au mode d'exploitation et même au repeuplement, on peut douter que le législateur ait entendu parler d'un reboisement complet dans des terrains entièrement dénudés, et c'est assez qu'un doute pareil puisse naître, pour qu'il soit préferable de recourir à l'interprétation législative.

D'ailleurs, il ne suffit pas d'assurer le reboisement des montagnes,il faut encore les préserver du déboisement; et pour atteindre ce double but, une législation spéciale est nécessaire.

Cette nécessité d'une législation spéciale une fois démontrée, il reste à examiner quelles en devraient être les dispositions. Il est impossible de ne pas consulter les conseils municipaux et les chefs d'établissements publics sur les terrains qui leur appartiennent. On espère même que, dans quelques circonstances, on les trouvera disposés à l'exécution du reboisement dont ils comprendront tout l'intérêt. Toutefois, il importe de pouvoir éviter les lenteurs et vaincre les résistances. Ainsi la loi à intervenir devra rappeler les dispositions de l'art. 90 du Code forestier et de l'art. 136 de l'ordonnance réglementaire; mais il faudra fixer pour la délibération du conseil municipal un délai passé lequel l'autorité administrative poursuivra l'exécution de la loi, nonobstant toute résistance de la commune. Ou va proposer plus loin l'organisation de commissions dans lesquelles se trouveront des conseillers d'arrondissement et de département qui offriront à la propriété des garanties suffisantes, et aideront puissamment à lever les obstacles qu'on pourra rencontrer dans l'esprit de localité et d'intérêt privé des conseils municipaux.

Le terrain étant soumis au régime forestier, il restera à déterminer le mode d'exécution du boisement. Si la commune consent à la conversion des pâturages en bois et qu'elle soit assez riche pour en faire les frais, il suffira de lui prescrire cette opération. Dans le cas contraire, il faudra que l'État se charge de tout ou partie du travail et supporte ainsi tout ou partie des dépenses. Comment se remboursera-t-il? Gardera-t-il, comme pour les terrains des dunes, la propriété boisée jusqu'à ce qu'il soit rentré dans le paiement de ses avances en capitaux et intérêts? Ce moyen semble difficile, ce serait déposséder la commune et la priver de revenus pendant plus d'un siècle. Fera-t-il le partage des produits jus

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qu'au remboursement des capitaux qu'il aura avancés et de leurs intérêts? Ce mode semble moins onéreux pour la commune qui ne se trouve pas privée de la totalité de ses produits; elle n'est pas dépossédée; elle est intéressée aux travaux de boisement, et il est plus facile d'obtenir d'elle qu'ils soient garantis de tout délit. La propriété se trouve en quelque sorte indivise entre la commune et l'État, à cela près que la commune reste seule propriétaire du fonds, l'État étant seulement usufruitier pour moitié jusqu'au remboursement du prix du repeuplement en capitaux et intérêts. On pourrait appliquer pour la jouissance des terrains communaux boisés par l'État, les dispositions contenues dans les articles 113 à 116 du Code forestier qui règlent le mode d'exploitation des propriétés indivises dont les terrains précités auront tout le caractère, sauf la question de propriété foncière dont la réserve est toujours faite à la com

mune.

Tout ce qui est dit au sujet des biens communaux doit également s'appliquer aux propriétés des établissements publics soumises au même régime que celles des communes,

Pour les terrains appartenant aux particuliers, on avait d'abord pensé qu'il y aurait moyen d'adopter les dispositions de l'art. 5 du décret du 27 décembre 1810, relatif au boisement des dunes. Cet article est ainsi conçu :

« Dans le cas où les dunes seraient la propriété des particuliers ou des » communes, les plans devront être publiés ou affichés dans la forme » prescrite par la loi du 8 mars 1810, et si les particuliers ou les com» munes se trouvent hors d'état d'exécuter les travaux commandés ou s'y refusent, l'administration publique pourra être autorisée à pourvoir » à la plantation à ses frais; alors elle conservera la jouissance des dunes » et recueillera les fruits des coupes qui pourront être faites jusqu'à l'en>> tier recouvrement des dépenses qu'elle aura été dans le cas de faire et » des intérêts; après quoi lesdites dunes retourneront aux propriétaires, » à la charge d'entretenir convenablement les plantations. >>

Il a été impossible de ne pas reconnaître tout d'abord que le boisement des montagnes ne pouvait être comparé à celui des dunes, et qu'il y avait une grande différence entre la nature de ces deux propriétés. En effet, les terrains des dunes sont frappés d'une stérilité absolue à laquelle il n'y a d'autres remèdes que le boisement, et leurs propriétaires ne peuvent que se féliciter d'être dépossédés par l'État avec condition de rendre, soit à eux, soit à leurs ayants droit, des terrains productifs, au lieu de terres infertiles, sans aucun sacrifice, sans aucune perte de revenus. Quel que soit dans l'avenir l'éloignement de la rentrée en possession, elle aura lieu avec avantage, puisque le terrain pris par l'État n'eut donné dans tous les cas aucun produit pendant le temps de la dépossession. Il n'en est pas de même pour les propriétaires de la montagne; ils retirent du sol un produit

quelconque; et si l'Etat s'en empare pour le boiser avec promesse de restitution, lorsqu'il sera rentré dans l'avance des capitaux engagés et de leurs intérêts, il condamne à un sacrifice complet des revenus plusieurs générations; et dût le terrain acquérir par le boisement une plusvalue considérable, cette plus-value est dans un avenir, si éloigné que le propriétaire actuel ne doit pas en espérer jamais la jouissance pour lui, ́et ne peut pas même l'espérer pour ses enfants.

Il y aurait un moyen meilleur pour le propriétaire et qui rendrait plusfacile l'exécution de la loi, ce serait la location par l'Etat et pour un très-long bail, avec restitution du terrain, à l'échéance du terme fixé, soit au propriétaire, soit à ses ayants droit. La durée du bail serait calculée de manière à faire rentrer l'État dans le remboursement des capitaux et intérêts, ce qui arriverait assez rapidement dans les dernières années de jouissance, époque où les produits seraient considérables. Le prix du bail serait fixé sur le revenu du terrain dans son état actuel et d'après les rôles du cadastre. De cette manière le propriétaire ne ferait pas le sacrifice de son revenu et ses ayants droit trouveraient, à la fin du bail, une belle propriété au lieu d'un terrain presque sans valeur.

Il y a un dernier moyen qui est évidemment le plus simple; c'est celui de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il assurerait, d'une manière irrévocable, la culture en bois des terrains dont on prendrait possession; il permettrait à l'administration forestière de tirer tel parti qu'elle jugerait convenable des semis et plantations qu'elle aurait exécutés; il dispenserait de l'évaluation assez difficile de la durée d'un bail, durée qui devrait être calculée de manière à ne rendre le terrain au propriétaire qu'à l'époque où l'Etat serait couvert de ses avances; enfin les propriétaires ne pourraient réclamer, puisqu'on leur donnerait un capital égal à la valeur de la propriété dont ils seraient dépossédés.

Création de Commissions.

Pour donner aux communes et établissements publics et aux propriétaires toute garantie contre l'arbitraire et être bien assuré qu'on agira partout de manière à concilier l'intérêt général avec l'intérêt privé, il a paru indispensable d'ordonner, par un article de la loi, la création de commissions spéciales, chargées pour chaque pays de s'occuper du boisement des montagnes dans les termes que cette loi aura prescrits.

Ces commissions seraient divisées en deux juridictions, les commissions d'arrondissement d'abord, puis celles de département.

La commission de l'arrondissement se composerait :

Du sous-préfet;

De l'agent forestier du grade le plus élevé;

De l'ingénieur des ponts-et-chaussées et de deux conseillers d'arrondissement.

OCTOBRE 1846, — II.

T. V. 32

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