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dessous, deux de ses branches se sont enracinées et ont donné naissance à

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deux nouveaux individus d'une végétation assez vigoureuse. D'après le mesurage que nous avons fait, l'arbre principal a une hauteur de 13 à 14 mètres y compris la cime; les deux arbres provenant du marcottage ont environ 6 à 7 m. de hauteur; la circonférence, à un mètre du sol, est : pour le premier de 1 m. 96 c., et pour les deux autres, de 0 m. 33 et 0 m. 36. Quant aux deux branches couchées, la plus grande a une circonférence de 0 m. 30,pénètre dans le sol à une distance de 0 m. 90 de la tige-mère, et forme un arc élevé de 0,70 et long de 1 m. 45. Elles sont dépourvues de rameaux, mais portent les traces de quelques rameaux anciens. En mettant à découvert par quelques entailles le liber et l'aubier, on peut se convaincre que la circulation des fluides de la végétation n'y est point arrêtée, et que par conséquent ces branches ont conservé leur vitalité.

Il est admis, en physiologie végétale, que toutes les parties de la tige d'un arbre peuvent développer des racines quand elles rencontrent les circonstances dans lesquelles sont ordinairement placées celles-ci. Il a donc fallu que les deux branches dont il s'agit, après avoir, par une cause quelconque, dévié de leur direction normale, aient été, pendant un laps de temps assez long, recouvertes suffisamment, de manière à se trouver placées dans un milieu humide et abrité contre la lumière; cette circonstance, toutefois, semblerait n'expliquer qu'imparfaitement la réussite

du marcottage. En effet, dans le marcottage artificiel tel qu'on le pratique ordinairement, la réussite dépend d'un assez grand nombre de conditions essentielles; ainsi on ne doit marcotter que des tiges d'une souche vigourense et âgées de moins de deux ans; après avoir couché et assujetti ces tiges dans de petites fossettes à une profondeur de 0,25 environ, et dans un sol convenablement ameubli, il faut redresser la partie destinée à former un nouveau sujet, la fixer avec un tuteur et la recéper à une hauteur d'un ou deux décimètres ; il convient, en outre, de supprimer, autant que possible, sur la souche mère toutes les tiges montantes qui ne sont pas destinées à être marcottées, et même de recouvrir temporairement de terre la souche elle-même afin d'y arrêter l'ascension de la sève et de la déterminer à porter son action sur la production des racines. Enfin, lorsque les branches marcottees se sont suffisamment enracinées, il est nécessaire de les sevrer de la souche, ce qu'on fait en les coupant un peu en avant du point où elles ont développé des racines. Or, ces diverses conditions ne se sont pas trouvées réunies dans le cas dont il s'agit. Il semble permis de s'étonner, notamment, que la sève qui a une tendance bien plus grande à s'élever verticalement qu'à suivre une direction horizontale, ait eu assez de force, bien que le tronc principal soit resté debout et pourvu de toutes ses branches montantes, pour déterminer la production des racines à une distance de 1 m. 45. Il semble remarquable, enfin, que les trois frênes aient tout à la fois une existence indépendante par leurs racines et commune par les branches qui les réunissent. Il est à présumer que le mouvement des fluides nutritifs est moins actif dans les branches couchées que dans les nouveaux individus auxquels l'enracinement a donné naissance, puisqu'elles ont aujourd'hui une circonférence inférieure à celle des deux arbres : mais ce mouvement existe; de quelle manière s'opèret-il? la sève est-elle puisée dans les racines du tronc principal seulement, ou dans les deux troncs à la fois? Les deux branches étant dépourvues de feuilles, organes jugés indispensables à l'élaboration du cambium, comment se forment les nouvelles couches de liber et d'aubier? Enfin, peut-t-il y avoir acroissement en longueur? Ces questions ne sont peutpas faciles à résoudre.

être

Ce frêne ne paraît pas susceptible d'être rangé dans la variété du frêne commun, dit frêne horizontal, car les autres branches de cet arbre, et celles des divers frênes qu'offre la localité, n'affectent point une direction horizontale. La déviation des branches doit donc être, selon toute apparence, attribuée à une cause accidentelle. Peut-être un chablis est-il tombé de manière à peser sur les deux branches dont il s'agit pendant un certain laps de temps, et a-t-il été, à raison de la pente du terrain, entraîné plus tard au bas de la montagne? Peut-être le marcottage s'est-il produit à la suite de quelque éboulement? On ne peut évidemment former à ce sujet que des conjectures; mais ce qui est certain c'est que la main de

l'homme n'y a pas contribué, car le bois dans lequel croît ce frêne, et qui est situé dans un pays escarpé, dépourvu de voies de transport, éloigné de plusieurs lieues de tout village, n'offre aucune trace d'exploitation et de culture, et, comme les autres bois épars dans ces âpres et vastes solitudes, il paraît être, depuis une époque sans doute très-reculée, abandonné au. seuls efforts de la nature.

C. MAISON, Inspecteur des forêts.

RESSOURCES FORESTIÈRES DE L'ALGÉRIE.
Province de Constantine, vallée de la Bathna.

Les Annales ont été les premières à appeler l'attention de la France sur les ressources forestières de l'Algérie. Les articles que nous avons pu bliés sur ce sujet n'ont pas seulement rencontré des incrédules; ils ont provoqué des dénégations; tant était fort le préjugé qui refusait à nos possessions africaines toute richesse en forêts ou en bois dont on pût tirer parti. Des hommes qui n'avaient vu de l'Afrique que les environs d'Alger, et qui jugeaient sur cet échantillon l'Algérie entière, apportaient le renfort de leur prétendu témoignage aux affirmations dogmatiques de certains géographes sédentaires, qui ne se représentant l'Afrique que sous l'image de Sahara, la déshéritaient impitoyablement de toute végétation forestière, et lui refusaient même assez de bois pour fournir à nos soldats de quoi faire cuire leurs aliments. Il n'a fallu rien moins, pour combattre ces préventions vulgaires et erronées, que les excellents documents recueillis avec une infatigable activité par un agent dont on ne saurait assez déplorer la perte prématurée. Les explorations de M. Renou, et le compte si détaillé qu'il en a rendu dans les Annales 1; le rapport de M. l'ingénieur de le marine, Kerris, chargé d'aller reconnaître quelles ressources les forêts de Bone pouvaient offrir à nos constructions navales, ont déjà donné une idée plus exacte de l'étendue du sol forestier de cette contrée, et des avantages que la France peut en retirer.

Depuis M. Renou, les rapports adressés par M. de Klopstein, qui le remplaça provisoirement, ceux de M. Galmiche, qui a dirigé pendant deux ans le service forestier en Algérie, ont notamment agrandi l'étendue du sol forestier de cette contrée. Grâce à leurs bienveillantes communications, grâce aux publications et aux comptes rendus du ministère de la guerre, nous avons en notre possession assez de documents authentiques pour pouvoir tracer le tableau général des richesses forestières de

1 Voir Annales forestières, tom. 1, p. 415 et 480, liv. d'août et septembre 1842, 2 Voir Annales forestières, tom. 2, p. 32, liv. de janvier 1843.

notre conquête. Ce tableau trouvera place dans une de nos prochaines livraisons.

Mais, si l'existence de nos forêts d'Afrique n'est plus contestée aujourd'hui, elle se trouve malheureusement chaque jour compromise par la manière déplorable dont elles sont traitées, et par les dangers de toute sorte qui les menacent.

Aux dévastations des Arabes se joignent maintenant les dévastations de nos soldats et de nos colons; à la menace des incendies des indigènes, se joint la menace non moins redoutable de la hache des spéculateurs européens, qui assiégent, à l'heure qu'il est, les bureaux du ministre de la guerre pour en obtenir, sous différents titres, et sous différents prétextes, des concessions qui ameneront infailliblement la ruine du sol forestier, si les exploitations qui en seront la conséquence ne sont pas dirigées et surveillées par une administration forestière nombreuse et puissante, qui en permettant d'user des ressources du présent, oblige à ménager celles de l'avenir.

Malheureusement le personnel forestier en Algérie est complétement insuffisant pour atteindre un semblable résultat, et l'exiguité des crédits affectés à ses travaux le rend incapable des services qu'on aurait justement droit d'en attendre. Les hommes et l'argent manquent à la fois pour les exploitations qui pourraient fournir à nos soldats et à nos constructions les bois dont ils ont besoin. En présence de vastes forêts, nous faisons venir à grands frais du continent les bois de feu et de charpente nécessaires à notre armée; chaque année il en coûte pour cela au trésor quelques millions de plus, tandis qu'en consacrant une fois pour toutes la moitié de cette dépense annuelle à préparer les moyens d'exploiter les forêts de l'Algérie, on serait, avant deux ans, en mesure de fournir à la consommation locale tous les approvisionnements, et d'économiser ainsi les millions dont nous payons bénévolement le tribut à l'étranger depuis bientôt quinze ans.

Il est donc plus que temps d'y aviser. Aussi dit on que le ministre de la guerre s'en préoccupe, et qu'avant peu l'administration forestière de l'Algérie sera mise sur un pied tel, qu'elle pourra enfin suffire à toutes les exigences de son service. En attendant, le zèle de quelques chefs, amis du bien public, et cette justesse de coup d'œil qui caractérise l'esprit français et lui tient lieu quelquefois de connaissances spéciales et d'expérience acquise, luttent contre le mal et la destruction, et préparent la voie à l'action d'une administration régulière. Ainsi, pendant que le général Randon, aux mesures intelligentes et salutaires duquel nous avons eu plus d'une fois occasion de rendre hommage, met, par ses sages dispositions, les forêts de l'Édough à l'abri des incendies qui les dévastent 1,

1 Voir dans la chronique, p. 431, l'extrait d'un journal d'Afrique sur ce sujet.

dans le camp de Bathna, un capitaine d'artillerie qui sort d'une famille où les goûts forestiers et la science sylvicole sont héréditaires, consacre ses loisirs et son activité à reconnaître les bois qui se trouvent dans les limites de son cantonnement, à les protéger contre l'esprit d'imprévoyance et de dévastation, à propager parmi les chefs de corps les notions forestières auxquelles leur état les rend étrangers et qui leur seraient cependant utiles dans la position exceptionnelle qu'ils occupent en Afrique.

Sa correspondance avec un de ses parents, aux soins éclairés duquel est confiée l'une des plus belles forêts de la France, aborde fréquemment ce sujet favori pour tous deux. Ce dernier, qui porte aux Annales un intérêt dont nous lui sommes vivement reconnaissants, a bien voulu nous communiquer cette correspondance, en nous autorisant à y prendre les renseignements que nous penserions devoir intéresser les lecteurs des Annales.

Les citations qui vont suivre sont empruntées textuellement à ces lettres. Nous avons pensé que le ton d'abandon et le laisser aller d'une conversation qui n'était pas destinée à la publicité, donnerait plus d'intérêt et d'authenticité aux documents et aux détails que nous allons reproduire.

« Le camp de Bathna, autour duquel se formera sans doute par la suite une ville, qui n'est encore qu'à l'état d'assez pauvre village, fut fondé le 21 juin 1844 par le 61° de ligne, sous la direction de monseigneur le duc d'Aumale, au milieu d'une vallée qui s'étend dans la direction du SudOuest au Nord-Est, depuis El Kanthara sur la limite Nord du Sahara, jusqu'aux environs de Constantine. La largeur moyenne de cette vallée varie à peu près entre 6 à 8 kilomètres. Elle suit une pente douce et à peu près uniforme depuis El Kantara jusqu'à 7 ou 8 lieues au delà de Bathna; là les montagnes qu'elle sépare, et qui jusqu'alors avaient suivi des directions à peu près parallèles, tournent brusquement à droite et à gauche vers le S.-E. et le N.-O. et la vallée s'épanouit dans la vaste plaine de Mila, où elle débouche en séparant deux lacs salés dont les noms arabes signifient le mâle et la femelle, parce que le mâle étant plus élevé que la femelle, y déverse ses eaux après les crues. A la hauteur de Bathna, la chaîne droite tourne brusquement à droite et forme un vaste entonnoir d'environ 12 kilomètres de profondeur. C'est là que se trouvent les magnifiques ruines de l'ancienne ville romaine de Lambresa, fondée par la 3o légion, comme le prouve une foule d'inscriptions parfaitement conservées, et dont la population, au temps de sa prospérité, s'élevait à 40,000 habitants au dire de Probus.

» Cette prospérité est justifiée par les avantages qu'offre cette position, qui a sur celle de Bathna le mérite d'être garantie par les montagnes voisines du siroco, et des vents du Sud-Ouest qui s'engouffrent dans la

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