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DE PHYSIQUE,

DE CHIMIE

ET D'HISTOIRE NATURÉLLE.

FÉVRIER AN 1816.

MÉMOIRE

SUR LES LEMNA, ou LENTILLES D'EAU,

SUR LEUR FRUCTIFICATION

ET SUR LA GERMINATION DE LEURS GRAINES,

Lu à la Classe des Sciences Physiques et Mathématiques de l'Institut, dans sa Séance du 11 septembre 1815;

PAR M. PALISOT DE BEauvois,

Ancien Conseiller Titulaire de l'Université de France, Membre de l'Institut, de plusieurs Sociétés savantes regnicoles et étrangères, Chevalier de la Légion d'Honneur, etc., etc.

LES lentilles d'eau couvrent la surface de presque toutes les mares et celle des divers amas d'eaux, ou stagnantes, ou dont le cours est peu rapide. Ces plantes sont très-communes et connues de tout le monde; on en rencontre dans tous les pays, sous Tome LXXXII. FÉVRI ER an 1816.

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tous les climats; les eaux chaudes ou thermales n'en sont pas exemptes (1); mais jusqu'à présent on a peu ou mal connu leurs fleurs, leur fructification et en aucune manière la germination de leurs graines; ce point important a échappé aux recherches et aux tentatives des observateurs les plus zélés et les plus laborieux.

Le 28 octobre dernier, j'ai annoncé à la Classe que dans mes excursions botaniques, j'avois été assez heureux pour trouver la lemna gibba L. en fructification: que j'en avois recueilli des graines parfaitement mûres, et que j'étois parvenu à les faire germer; mais comme à cette époque il me restoit beaucoup d'autres observations à faire, je me bornai à cette simple communication et à faire parapher le dessin par un de MM. les secrétaires; je le reproduis aujourd'hui, augmenté de quelques faits nouveaux observés depuis, et qui me permettent de donner l'histoire, autant complète que possible, de ce genre de plantes.

Les graines, germées à l'époque de cette communication, ont été conservées tout l'hiver, et jusqu'à ce moment. J'en ai suivi tous les progrès; je les ai vu se développer, fleurir, porter graines, et ces nouvelles graines ont germé à leur tour.

C'est le résultat de ces diverses observations que je présente aujourd'hui à la Classe, et en quelque sorte l'histoire de ces plantes; elle pourra servir à éclaircir quelques doutes et à fixer la vraie place que les lemna doivent occuper, soit dans les systèmes, soit dans les méthodes naturelles.

Afin de mettre plus d'ordre et plus de clarté dans l'exposition des faits, je diviserai ce Mémoire en trois paragraphes, savoir:

S Ier. De la nomenclature des lentilles d'eau; de leurs usages et de leurs propriétés.

§ II. De leur manière d'être et de croître; de leurs fleurs et de leur fructification.

(1) J'ai rapporté des États-Unis d'Amérique, une espèce de lemna, fig. 23, de la planche jointe à ce Mémoire; elle est voisine de la lemna polyrhiza, mais elle me paroît très-différente, 1° par sa couleur, constamment plus glauque et d'un vert moins intense; 2° par ses nervures moins nombreuses; par la forme des feuilles moins arrondies, et terminées par une petite pointe saillante, qui est le prolongement de la nervure principale. Elle croît dans l'Etat de Virginie à la surface des eaux chaudes dont la température ordinaire, dans les premiers jours de mars, a fait mouter le thermomètre de Réaumur au-delà de 35°, ou 110° de Fahreneith.

S III. De la germination de leurs graines, observée depuis l'origine jusqu'au parfait et entier développement des nouveaux individus.

Je terminerai par un résumé servant de conclusion, et par l'exposé des caractères des espèces dont le genre se compose. S Ier.

De la Nomenclature des Lemna ou Lentilles d'eau; de leurs Usages et de leurs Propriétés.

Théophraste, l'élève et le successeur d'Aristote, Dioscoride et leurs commentateurs parlent des lentilles d'eau qu'ils nomment φακὸς ὁ ἐπὶ τῶν τελμάτων, ou lens sive lenticula palustris, seu muscus scilicet lenticulæ similis... muscus quidam viridis est minimis foliis, circinnate rotunditate, lentis magnitudine, è quorum medio inferiore parte tenuissimæ fibræ, capillorum instar dependunt, quasi ipsis radicum loco sunt; et ils ajoutent, caule et fructu caret.

On trouve la même définition dans Pline, dans Dodonée, Daléchamps, les deux Bauhins et dans presque tous les ouvrages des botanistes, jusqu'à Micheli.

Caspard Bauhin, dans son Pinax, comprend sous la dénomination générale, lens sive lenticula palustris, parmi les véritables lentilles d'eau, des plantes très-différentes, telles que la lenticula palustris quadrifolia (lemma de Théophraste); la lenticula palustris latifolia punctata, et la lenticula palustris Egyptiaca, dont Linné et quelques auteurs modernes ont formé les genres particuliers marfilea, salvinia et pistia.

Au rapport de Morison, des auteurs anciens ont nommé les lentilles d'eau hydrophaos, quia, dit-il, aquis vivant. Il est vraisemblable qu'il y a erreur dans cette nomenclature : on devroit lire hydrophacos de paxos, lens, et non pas hydrophaos qui signifieroit lumière d'eau, de paos lumen.

Tournefort comprend les lentilles d'eau dans son ouvrage sur les environs de Paris, mais il n'en fait nulle mention dans ses institutions.

Micheli, que j'aurai occasion de citer plusieurs fois dans le cours de ce Mémoire, décrit plusieurs espèces de lentilles d'eau, dont il fait deux genres, lenticula et lenticularia.

Buxbaum en parlant de la salvinia natans, dont il donne une très-médiocre figure, la rapporte, d'après C. Bauhin, aux lenticula; il la nomme hydrophace; nom qu'Halla a donné depuis aux véritables lentilles d'eau; mais cette dénomination n'a pas été adoptée.

Linné, en cherchant sans doute à se rapprocher de la nomenclature de Théophraste, appelle les lentilles d'eau lemna, et non pas lemma, comme le botaniste grec qui consacre ce nom à une autre plante que Linné désigne par marsilea; la plupart des botanistes se sont fixés à cette nomenclature de

Linné.

Cependant M. de Jussieu a cru devoir relever cette erreur du réformateur de la botanique; il a rendu à la marsilea de Linné le nom de lemma, consacré par Théophraste, et aux lentilles d'eau celui de lenticula, ainsi qu'Adanson l'avoit fait avant lui; mais les ouvrages de Linné étoient si généralement suivis, ils avoient acquis une telle autorité, que ses innovations ont prévalu; on a pensé qu'il y auroit plus d'inconvéniens à adopter la nouvelle réforme proposée par Adanson et par M. de Jussieu, quelque juste qu'il pût être de recourir aux noms donnés par les anciens. Je persiste à croire, comme je l'ai dit dans mon Essai d'Agrostographie, que pour l'avantage et les progrès de la science, il est nécessaire de fixer une époque ou point de départ, au-delà duquel il ne faut pas remonter, pour les noms génériques et spécifiques des plantes. Or je ne pense pas qu'on puisse en choisir une plus favorable que celle de la dernière édition des ouvrages de Linné; sauf à n'appliquer le principe de la restitution des noms anciens qu'aux nouveaux genres et aux nouvelles espèces proposés depuis la mort de ce grand botaniste, et auxquels il paroît convenable de conserver les noms donnés par l'auteur, qui, le premier, les a fait connoître, en exceplant toutefois les noms absolument inadmissibles, trop durs et trop barbares. Ainsi il paroît convenable de laisser aux lentilles d'eau le nom de lemna que leur avoit donné Linné, et qui est généralement adopté.

Quant aux propriétés des lentilles d'eau, elles sont aussi anciennement connues que les plantes elles-mêmes. On lit dans tous les auteurs qui viennent d'être cités, tous à peu près d'accord sur ce point, qu'elles servent de pâture aux oies, aux canards, aux divers oiseaux aquatiques et probablement aux poissons; que les poules même en sont très-friandes, si on les

leur mêle avec du son; qu'elles sont réfrigérantes, qu'on les emploie avec succès dans tous les cas d'inflammation, et surtout contre la goutte, soit qu'on l'applique seule, soit qu'on la mélange avec de la farine d'orge, ou tout autre gruau (polenta). In aquâ non fluente muscus lenticulæ similis invenitur, refrigeratoriæ naturæ : propter quod convenienter collectionibus, igni sacro, et podagris illinitur per se et cum polentá : glutinat et procidentia puerorum interanea. Diosc.

Lens refrigerantis temperiei est, et adversùs podagræ dolores, ac inflammationes sedendas adhibetur. Moris.

Vaillant attribue à la lemna trisulca, la propriété de dissoudre le sang caillé à la suite de quelque chute, en la faisant infuser dans du vin blanc. Morison indique le même remède contre la jaunisse, en désignant indistinctement toutes les espèces de lemna.

Enfin Adanson assure que les lemna, comme les racines et les baies desséchées de l'arum et du dracunculus, qu'il range dans la même famille, s'applique pour la goutte et la fracture des os; mais soit que ces propriétés soient tombées en désuétude, soit que depuis on ait trouvé des remèdes plus efficaces, il n'est nullement fait mention des propriétés des lemna dans les Dispensaires ni dans les Pharmacopées modernes.

§ II.

De la manière d'être et de croître des Lentilles d'eau; de leurs Fleurs et de leur Fructification.

Les lentilles d'eau sont à l'extérieur d'une simplicité très-remarquable; privées de tiges et de rameaux, elles ne se composent que, suivant l'espèce, de deux, trois ou quatre feuilles qui se succèdent et meurent à mesure qu'elles sont remplacées par d'autres feuilles, soumises à leur tour aux mêmes lois. Si parfois il s'en trouve une cinquième, la plus ancienne est déjà jaune, flétrie, et ne tarde pas à se détacher. Quelquefois aussi on n'en voit qu'une seule séparée des autres par quelqu'accident, cela n'empêche pas la plante de végéter et de produire de nouvelles feuilles.

Ces feuilles portent de chaque côté, à leur base, une fissure, espèce de poche ou gousset (fig. 12, a), d'où sort une autre feuille, attachée par un onglet (fig. 20-22, a), visible seu

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