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Il est à remarquer que la très-majeure partie de ces fragmens basaltiques contiennent beaucoup de points blancs épars ou disséminés, comme de petites taches qui se rendent sensibles surtout à l'extérieur par l'effet de l'opacité complète que leur fait prendre alors sans doute une espèce d'effleurissement. La substance qui forme ces points me parut d'abord être de la chaux carbonatée, vu qu'elle ressemble parfaitement à de la chaux carbonatée véritable que j'avois déjà remarquée dans une autre sorte de basalte dont il sera question plus loin; et je m'assurois d'autant plus dans cette idée que Saussure (§ 1525, à la p. 322) dit, qu'on voit aussi dans les basaltes de Beaulieu quelques points et quelques taches blanches qui se dissolvent avec effervescence dans les acides; mais ayant voulu dernièrement répéter cette épreuve sur l'échantillon que j'avois rapporté, j'ai trouvé que ces points blancs dont il est parsemé, ne font aucune effervescence, et que d'ailleurs ils sont difficiles à rayer avec la pointe d'acier. C'est donc là bien probablement ce que Joinville (no 2 du Catalogue susdit) avoit appelé lave porphyritique. « La pâte » en est la même, dit-il, que celle de la précédente (le basalte ordiaire), mais elle est parsemée de quelques taches blanches, » dont plusieurs sont rhomboïdales et ne different des feld-spaths » qui sont dans les porphyres que par leur tissu serré, uni et »terne, tandis que dans ces roches primitives le feld-spath est » lamelleux et luisant..... » Cet état des taches blanches, à l'exception de la figure rhomboïdale que je n'y ai pas remarquée, est parfaitement conforme à ce que j'ai vu, et je pense que ce ne sont point des cristaux, mais des portions épurées de la base même du basalte, ce qui fait que je n'appellerois pas ce basalte, porphyritique, mais seulement et au plus porphyroïde. Du reste Joinville reprend : « Cette lave est attirable à l'aimant, » se décompose de la même manière que la précédente (la basaltique), et se trouve placée pêle-mêle avec la suivante (la granitique). »

Ici procédons pas à pas. Ces derniers mots de Joinville nous annoncent un objet aussi rare qu'intéressant et qui va nous retenir long-temps dans la descente que nous allons commencer du côté de la Durance. Comme cette observation est la plus importante qui se trouve à faire sur Beaulieu, et que c'est celle qui m'a déterminé principalement à entreprendre ce Mémoire, on voudra bien me permettre de la rapporter avec tous les détails que je crois nécessaires et dont je vais au reste emprunter la majeure partie de mes habiles prédécesseurs.

En visitant ainsi la pente de la butte, depuis son sommet jusqu'à une certaine distance, à droite et à gauche, toujours au regard de la Durance, je commençai à apercevoir des dif férences assez sensibles dans la texture et même dans le ton de couleur de toutes ces pierres basaltiques, et que je ne pouvois néanmoins cesser de regarder comme appartenant à une même espèce. Tandis que celles du sommet m'offroient le basalte ordinaire et parfait, comme je l'ai dit, d'autres présentoient des variétés grenues ou même lamellaires plutôt que compactes, brillantes à proportion et moins noires que brunâtres. Si je n'eusse vu d'abord que les plus disparates, j'aurois douté de leur identité spécifique et que tout cela pût être réellement du basalte, au lieu que par les nuances intermédiaires, j'étois toujours amené, sans hésiter même, à la conviction de cette identité. Enfin, de proche en proche, et par des passages bien ménagés, à ce qu'il me sembla du moins, je vis s'enchaîner dans cette série trapéenne, et formant comme le terme opposé au basalte le plus absolu, une roche si différente en apparence que, malgré le témoignage de mes yeux, j'aurois pu conserver encore des doutes sur la vérité de ce rapprochement, s'il n'étoit confirmé par l'autorité du grand géognoste M. Werner. Cette roche est ce qu'il a appelé grunstein secondaire (1), dans la persuasion où il étoit que ce n'étoit en effet qu'une répétition secondaire du grunstein primitif qui est un assemblage de feld-spath et d'amphibole cristallisés confusément et entrelacés. Mais le grunstein secondaire prétendu, celui de Beaulieu du moins, est, comme nous l'allons voir, composé de pyroxène, uni au feldspath, en place d'amphibole; avec des grains de péridot qu'on ne voit pas non plus dans les trapps primitifs, et des particules de fer oxidulé qui ne sont pas sensibles à la vue simple, mais qui exercent une action très-marquée sur le barreau aimanté. Ce magnétisme, la tendance singulière et caractéristique pour se décomposer en boules testacées, qu'il montre aussi d'une manière

(1) M. d'Aubuisson dans son Mémoire sur les basaltes de la Saxe (p. 59-65 ou S 30; et pag. 137, dans le courant de la note 6), prouve bien l'identité de cette roche avec le basalte, quoiqu'il se soit d'ailleurs fort mal-à-propos étayé du témoignage de Dolomieu et de Desmarets sur le basalte antique qui ne peut être regardé tout au plus que comme un grunstein primitif.

Les variétés intermédiaires du basalte au grunstein sont ce que M. Faujas nomme proprement trapp. On voit à Beaulieu des trapps absolunient semblables à ceux de Martenstein, de Kirn, etc.

non équivoque, etc. confirment parfaitement la nature basaltique de ce faux grunstein qu'on peut appeler ainsi basalte grenu et basalte cristallin, quoiqu'il se montre ici à plus gros élémens peut-être que partout ailleurs et qu'il ait tout-à-fait l'apparence granitoïde.

Ce granitoïde secondaire est rare dans la nature et à peine connu parmi nous. M. Faujas, un des minéralogistes français qui aient le plus voyagé, et celui du moins qui a vu le plus de trapps, dit ne l'avoir jamais rencontré qu'une seule fois ailleurs qu'à Beaulieu, et c'étoit précisément sur le Mont Meisner dans le pays de Hesse-Cassel où il est cité par les Allemands. Encore ce Français n'a-t-il reconnu cette roche ni ici ni là pour ce qu'elle est aux yeux des Allemands. Il dit que celle du Meisner qui d'ailleurs est un peu plus striée et beaucoup plus poreuse Essais de Géologie, tome II, 2e partie, pag. 642), a sa base incontestablement vitrifiée, tandis que le feld-spath n'y a éprouvé qu'une foible altération; il pense que cette base peut être une tourmaline mise en fusion; et sur ces principes, il: la classe même parmi les verres volcaniques et les obsidiennes (classification systématique des produits volcaniques au tome V des Annales du Muséum d'Histoire naturelle, pag. 325); il compare à la roche de Hesse une espèce de porphyre recueilli sur notre Mont-d'Or, par le comte Marzari, qui, dans son voyage (Corsa pel Bacino del Rodano, etc., pag. 139) rappelle aussi, d'après M. Faujas sans doute, les mêmes comparaisons, quoique pour son compte d'ailleurs il pense que le grunstein de Beaulieu peut n'être qu'un tuff. Ces rapprochemens donneroient lieu de douter de la réalité de l'analogie entre la roche du Meisner et celle de Beaulieu, si l'on ne voyoit que le schorl qui existe dans celle-ci a été pris aussi pour de la tourmaline (voyez Marzari); mais dans tous les cas, la nôtre est pour le moins aussi sûrement que l'autre, grunstein secondaire de Werner. Le grunstein du Meisner ne se trouve, d'après M. Faujas, qu'en gros blocs arrondis et isolés, au-dessus d'autres laves terreuses, sur le plateau le plus élevé de la montagne. M. d'Aubuisson ne l'indique guère mieux (Mém. basalt. Saxe, note 6, Notice sur le Mont-Meisner). Nous allons voir qu'à Beaulieu cette roche curieuse existe continuement, et en place, dans une grande étendus.

M. Faujas a cru en avoir fait la découverte, mais il s'est trompé; car, d'abord elle a été très-bien vuc par M. de Joinville.

C'est ce que cet observateur attentif et exact appelle lave granitique (au no 3 de son Catalogue):

« Les matières qui la composent, dit-il, sont le feld-spath; » le schorl et le mica, peut-être aussi le quartz, mais il n'y » paroît point distinctement. » Je n'ai pas vu le mica, quoique MM. d'Albertas m'eussent dit aussi qu'il se trouvoit dans cette roche. Joinville après avoir énoncé plus loin que ce mica est noir et luisant et qu'il laisse apercevoir sa figure hexagone, ajoute lui-même que ce pourroit être des lamelles de schorl.. Ce mélange en offre de telles en effet, très singulières et disposées souvent d'une manière remarquable, soit parallèlement, soit en sens divers. Notre auteur ne parle d'une quatrième substance, le quartz, que d'après le rapport qu'il croyoit être entre cette roche et le vrai granit; mais nous pouvons substituer au quartz qui n'existe sûrement pas en effet, le péridot granuliforme dont la cassure et l'éclat vitreux ont quelqu'analogie. Ce péridot paroît même si abondant au premier coup d'œil, qu'on diroit que c'est lui qui fait la base de la roche; mais en y regardant mieux, on voit que ce n'est qu'une illusion résultante de ce que le feld-spath, qui est d'ailleurs aussi, demi-transparent et brillant, a été, par l'oxidation du fer probablement, en partie teint d'une assez belle couleur de topaze. Joinville continue « Toutes » ces matières.... ne présentent aucun signe de vitrification. » Ce qui aura pu tromper MM. Faujas et Marzari, c'est que le pyroxene montre ici le plus souvent une cassure conchoïde, lisse et luisante qui le fait ressembler parfaitement à de l'obsidienne, et mieux encore à du bitume solide. Il paroît aussi en grains plutôt que cristallisé et se rapproche ainsi de la variété qu'on avoit nommée coccolithe (1).Joinville continue encore:

La roche entière a l'aspect d'un granit.... légèrement percillé » de petites cavités tortueuses qui different par là des cellules » rondes et unies des laves poreuses. » Cette observation est. juste et bien exprimée; l'auteur auroit dû pourtant y ajouter, ce que j'ai vu, que le percillement n'a lieu que lorsque la roche est plus ou moins altérée; ce qui est au reste le cas le plus

(1) Je pense que c'est un pareil accident de pyroxène qui a été observé et signalé plusieurs fois dans le basalte du mont Heulenberg à 8 myriamètres, par l'est, de Freyberg (Mémoire sur les basaltes de la Saxe, par J.-F. d'Aubuisson, pag. 40-41); et aussi dans celui du mont Lichtewalde, à 3 myriamètres au sud-sud-est de la même ville (idem., ibid., pag. 29).

ordinaire

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ordinaire, et qu'il paroît provenir de la destruction d'une des substances, le péridot, peut-être. Notre auteur reprend plus loin « Les feld-spaths sont cristallisés le plus souvent en ai» guilles qui forment des prismes quadrangulaires. Lorsqu'une » des faces est dégagée, elle présente une troncature oblique » et donne le cristal décrit dans la Cristallographie (de Roméde-Lisle), pag. 459, tome II, et représenté par la figure 83, A, » pl. 1. Ces feld-spaths sont aussi cristallisés en lames rhomboi »dales très-minces; ils sont tous blancs. Les schorls sont presque » tous gris, très-peu noirs. Ils sont tous (tous, c'est sûrement beaucoup trop dire) cristallisés en aiguilles prismatiques à six » pans, et lorsqu'on en peut distinguer le sommet, on voit qu'il » est terminé par une pyramide dièdre. Ils appartiennent à la » variété 6, pag. 389, tome II de la Cristallographie. >> Ajoutez pl. IV, fig. 99. Ce seroit l'amphibole équi-différent de M. Hauy (Trait. Min. tome III, pag. 61, et pl. iv, fig. 134), d'après la synonymie qu'en donne M. Haüy lui-même. L'amphibole quoique moins répandu dans les terrains volcaniques qu'on ne le croit communément, n'y est pourtant pas étranger, et il n'y a rien d'impossible à ce qu'il s'en trouve aussi dans le grunstein même de Beaulieu; cependant je soupçonne fort que M. de Joinville a pu commettre ici une erreur facile, et je crois plus volontiers à sa seconde version sur les schorls dont il s'agit, lorsqu'il ajoute : « Peut-être y en a-t-il aussi de la variété 9, pag. 399; mais ils » ne sont pas assez déterminés pour pouvoir les y placer. » Cette variété 9 est le pyroxène que M. Haüy a nommé triunitaire (Trait. Min., tome III, pag. 84 et fig. 147), et qu'on sait être très-abondant, comme le dit Romé-de-Lisle, parmi les matières volcaniques, au Vésuve et à l'Etna, ainsi que dans l'Auvergne et le Vivarais.

Puisque la roche granitoïde ainsi constituée par le pyroxène au lieu de l'amphibole, passe parfaitement au trapp proprement dit, et celui-ci au basalte, il est bien présumable que ce trapp et ce basalte sont dans le même cas de composition (1).

(1) C'est aussi ce qui résulte du Mémoire lu dernièrement à l'Institut, par M. Cordier, touchant la composition des laves et des pierres analogues. D'après le même Mémoire, et d'ailleurs cela se voit souvent à l'évidence, les roches que M. Werner appelle trapps primitifs, et peut-être aussi ceux de transition sont pourtant constitués par l'amphibole véritablement. Si ceux-ci doivent retenir le nom de trapp, les flotz-trapps, qui sont d'une autre espèce, ne peuvent donc plus leur être assimilés, ni être considérés comme de vrais Tome LXXXII, FÉVRIER an 1816,

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