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Des âges, des tempéraments et des safsons.

La considération de l'àge, du tempérament et des saisons est encore très essentielle pour la fixation du régime. On ne nourrit point un poulain comme des chevaux faits, on n'en exige aucun travail, on ne l'expose point à toutes les rigueurs du temps; les aliments que l'on fait succéder au lait bien conditionné d'une mère tenue à une bonne nourriture sont des aliments tempérés et substantiels; on ne le panse point de la main jusqu'à ce qu'il ait acquis un certain degré de force, etc. Il en est de même du cheval formé et parvenu à son accroissement le régime qu'on lui fait observer doit différer de celui qu'on prescrit au cheval avancé en âge, soit par rapport au service dont celui-ci cesse peu à peu d'être çapable, soit par rapport au choix des choses qui peuvent fortifier son estomac souvent débilité, et de celles qui peuvent fournir une plus grande abondance de sucs nutritifs, etc.

Le cheval sanguin, dont l'habitude du corps est spongieuse et làche, sera nourri modérément. Le colérique, dont les fibres ténues ont une grande rigidité et en qui la marche du sang est impétueuse, ne sera point soumis à des exercices longs et violents, à des mouvements trop pénibles; on moderera, ainsi que nous l'avons dit, les effets du grain par un mélange d'aliments tempérés ; on l'abreuvera d'eau blanche; on n'usera jamais de rigueur envers lui: il est toujours dangereux de l'irriter. J'ai vu un cheval maltraité et estrapassé dans les piliers d'un manége refuser tout aliment solide pendant quelques jours; mis ensuite à une charrette, s'obstiner à demeurer comme immobile et y mourir accablé de coups. J'ai vu encore un cheval d'Espagne des plus nerveux, devenu si fort ennemi de l'homme ensuite des contrariétés qu'il avait éprouvées de la part de quelques enfants, que qui que ce soit ne pouvait l'aborder. On avait construit autour de lui une loge dans laquelle il était renfermé; il faisait mille efforts pour l'abattre à coups de pied dès le moment qu'il apercevait une personne. On jetait des chiens,

des moutons dans cette loge, auxquels il ne faisait aucun mal; on y faisait entrer, en reculant, des juments qu'i} servait avec ardeur et avec fruit; on descendait, par ut trou pratiqué au plafond, tous les aliments nécessaires à sa subsistance. Il parvint à détruire les planches épaisses . et fermement attachées qui formaient l'enceinte de l'espèce de prison à laquelle il avait été condamné : il parut tout à coup dans une cour, dont deux ou trois personnes, sur lesquelles il allait fondre et se jeter, se sauvèrent heureusement; et on se vit obligé, dans l'impossibilité où les gens les plus hardis étaient de l'arrêter et de le prendre, de le tuer à coups de fusil.

Le cheval triste et mélancolique ne doit point être tenu à des aliments propres à entretenir la ténacité et l'épaississement de son sang; les moins substantiels et ceux qui peuvent agiter la masse, aidés d'ailleurs de boissons humectantes et délayantes, sont les seuls qui lui conviennent, ainsi qu'un exercice successivement augmenté.

Le travail est nécessaire au phlegmatique naturellement engourdi, lent et paresseux. Il s'agit de hâter en lui la circulation, d'accroître la force et la tension des parties, de dissiper une sérosité trop abondante; et une nourriture capable de pareils résultats est celle qui est à préférer, etc.

Nous ne saurions parcourir ici toutes les différences plus ou moins sensibles qu'un praticien attentif doit rechercher dans les divers individus; mais nous dirons que, si l'art a été jusqu'à ce jour si fort au dessous de lui-même, c'est par le défaut de toute espèce d'observation, défaut auquel l'exercice le plus vanté, le plus multiplié et le plus étendu ne saurait suppléer quand il n'est accom pagné d'aucunes lumières. Le régime qu'on fait observe aux chevaux paraît, en général, varier trop peu, et n'admettre que de trop légères exceptions. On ne consulte ni la force, annoncée par le courage, par la facilité de s'accoutumer aux plus grands travaux et de les accomplir, par la vigueur avec laquelle le corps résiste à de certaines affections, par la quantité d'aliments pris et rendus sans la moindre incommodité, etc.; ni la faiblesse prouvée par des effets totalement contraires, ni les habitudes

contractées, ni les dispositions maladives dont on pourrait juger par les événements passés, ni les torts que ces mêmes événements ont pu faire à la machine, ni les traces inévitables qu'ils y ont laissées et qui peuvent dégénérer en d'autres maux, ni les résultats des divers médicaments donnés dans différentes circonstances, et même des mixtes qui forment la nourriture ordinaire de l'animal; on n'a égard ni à la dissipation sollicitée par les grandes chaleurs de l'été, ni au moins de propension que les fibres relâchées alors peuvent avoir à l'exécution des mouvements, ni à leur rigidité dans un hiver rigoureux, ni au resserrement et à la crispation des vaisseaux cutanés, ni à l'aisance plus grande avec laquelle la digestion peut être opérée dans cette saison; on n'a nulle attention au passage de cette même saison à celle qui la suit, ni aux vicissitudes fréquentes dans le printemps et dans l'automne, vicissitudes qui ne disposent pas moins les animaux que l'homme à des maladies ou particulières, ou épizootiques très dangereuses; ni au temps de la chute et du renouvellement des poils, ni à la mollesse qui accompagne cette chute et ce renouvellement ; et si quelques personnes, habituées à quelques remèdes préservatifs et à la saignée lors de l'arrivée du printemps, ont jugé à propos de faire ouvrir la jugulaire à leurs chevaux et de suivre annuellement cette méthode, elles n'ont pas prévu qu'elles s'asservissaient à une obligation d'autant plus indispensable, qu'il est certain que l'omission de l'ouverture de la veine dans une des années suivantes, suscite presque toujours les maux inséparables de la surcharge de la masse.

De la durée de la vie.

Les physiologistes et les naturalistes modernes ne sont ni les seuls ni les premiers qui aient mesuré, soit dans l'homme, soit dans les animaux, soit dans les plantes, la durée de la vie terminée naturellement et non par des maladies ou par d'autres événements quelconques, sur celle du temps de l'accroissement.

L'homme, qui est quatorze ans à croître, peut, dit-on,

vivre six ou sept fois autant de temps, c'est-à-dire qua-tre-vingt-dix ou cent ans; le cheval, dont l'accroissement. se fait en quatre années, peut en vivre vingt-cinq ou trente; presque aussitôt que l'éphémère naît, un instant lui suffit pour perpétuer son espèce, et il meurt ensuite; les poissons, qui croissent presque continuellement, ont aussi une très longue vie, etc.

Tous ces faits se concilient, d'ailleurs, avec les idées que nous nous formons des causes mécaniques de la vieil lesse et de la mort. Le terme de l'accroissement est l'époque où la force du cœur et la résistance des artères sont en quelque sorte en même raison; les solides l'emportent ensuite continuellement par un surplus ou une augmentation de puissance, et c'est cette résistance supérieure de leur part qui opère insensiblement la destruction de la machine: d'où il semble que l'on a eu raison de conclure que plus son accroissement est prompt, plus est prochaine la condition de sa ruine, c'est-à-dire la conversion du ciment visquens qui lie les fibres en de vrais éléments terrestres, la coalescence des petits vaisseaux, le desséchement, l'ossification des ligaments, des cartilages, de l'aorte, etc., changements qui, dans l'animal et dans l'homme morts de vieillesse, sont également évidents et sensibles.

Cependant, quelle objection que la longueur de la vie des hommes, depuis la création du monde jusqu'au déluge! que l'existence de Mathusalem pendant neuf cent soixante-neuf ans! que celle d'Abraham, qui, longtemps après l'inondation de la terre, fut portée à cent soixantequinze ans ! à moins qu'on n'admette dans les premiers âges du monde une autre conformation, un accroissement bien plus lent, ou un tout autre mécanisme; ou plutôt, à moins qu'on n'admire dans la Providence des vues fondées, d'abord sur la nécessité de peupler le globe, et ensuite sur celle de ne le pas surcharger d'habitants.

Quelle autre objection bien plus forte que la durée de la vie du cerf, du corbeau, du pigeon, etc., comparée au temps de leur accroissement! Il est vrai que la durée de la vie du premier, portée jusqu'à soixante, quatre-vingts, ou cent ans, est regardée comme une fable par ceux qui

nient formellement des vérités reconnues, quand elles contrarient leur imagination et qu'elles ne s'accordent pas a leur système (1).

Mais ce qu'il y a de plus certain et de plus admirable aux yeux du philosophe ou de l'homme qui contemple, c'est la conservation toujours constante d'un certain équilibre dans le nombre des animaux. la fixation invariable de la multiplication de chaque espèce à une quantité plus ou moins grande, la longueur de la vie des uns, dont la multiplication est lente, la brièveté de la vie des autres, dont la multiplication est plus ou moins considérable, selon leur plus ou moins grande utilité, la balance tenue entre la vie de ceux-ci et la mort de ceux-là; enfin, le passage d'une génération, et l'arrivée successive d'une autre qui remplace toujours celle qui périt.

Quoi qu'il en soit, et pour rentrer dans le véritable sens de la question, nous dirons qu'on peut arbitrer la vie commune du cheval à dix-huit ou vingt ans et jusqu'à trente, le nombre de ceux qui outrépassent ce terme étant très médiocre. Aristote a observé que les chevaux nourris dans des écuries vivent beaucoup moins que ceux qui sont en troupeaux (2); l'état d'esclavage et de domesticité est bien fait pour opérer quelques différences. Athénée et Pline prétendent qu'on en a vu vivre soixante-cinq et même soixante-dix ans (3). Augustinus Niphus, l'un des commentateurs d'Aristote, parle encore du cheval de Ferdinand 1, comme d'un cheval septuagénaire (4);

(4) Voyez Buffon, Histoire naturelle, 1756, in-4°, tome VI, page 93.1758, in-12, tome XI, page 127.

(2) Histoire des animaux, déjà citée, tome Ier, livre VI, chapitre XII, page 393 et suivantes.

(3) Banquet des Savants, traduit par M. Lefebvre de Villebrune. Paris, 1789, in-4°, tome III, livre VIII, chapitre XII, page 309.— Histoire naturelle, déjà citée, tome III, livre VIII, chapitre XLII, page 479.

(4) Buffon rapporte aussi l'exemple d'un cheval quí a vécu à Frescati, près Metz, jusqu'à cinquante ans. Histoire naturelle, supplément, 1777, in-4°, tome IV, page 409.-1778, in-12, tome VIII, page 140 et suivantes. On lit, dans l'Histoire de France de Mezerai, qu'un duc de Gascogne montait un cheval âgé de cent ans, qui était encore assez vigoureux. On a présenté, en 1824, à la Société d'Histoire

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