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« Cependant, de ce côté des Pyrénées, les organes du parti dominateur, dans les feuilles ministérielles, et même à cette tribune, ne parlent que de calamités prêtes à fondre sur l'Espagne ; ils vous montrent à l'avance le roi Ferdinand égorgé par des révoltés. (Une voix à droite : C'est à craindre.)

« Ce sont là, Messieurs, des prévisions bien inconsidérées, je dirai même coupables. Ne savent-ils donc pas, ceux qui s'y livrent avec complaissuce, que rien ne familiarise avec un crime à commettre comme d'en annoncer sans cesse la probabilité? Eh quoi les factions spéculeraient-elles encore sur des événemens atroces pour les faire tourner à leur profit? Aurait-on calculé, par analogie avec ce qui s'est passé en 1820, que l'assassinat d'un roi, que ce qui doit faire frémir tout homme d'honneur, serait un prétexte excellent pour nous enlever le peu de liberté qui nous reste, pour donner aux électeurs du privilége un triple, un quadruple vote, pour achever l'exclusion des électeurs de la Charte, et pour briser cette tribune consolatrice des opprimés et vengeresse des droits du peuple ?.......

A la fin de ce discours, dont l'impression fut rejetée, le général Foy conclut à diminuer le budget de 406,500 fr., pour le réduire à ce qu'il était en 1819.

M. le ministre des affaires étrangères prenant alors la parole. pour répondre aux objections et aux reproches de l'opposition, s'attache d'abord au discours de M. Bignon, dont S. Exc. combat la théorie sur l'intervention des Chambres dans les relations extérieures. « D'après les exemples mêmes que l'orateur a cités, et d'après sa doctrine générale, prise dans le sens le plus étendu, l'investigation des Chambres ne s'applique qu'à ce qui appartient au passé, et nullement à ce qui se fait actuellement. »

Passant de l'application du principe à la justification des faits, S. Exc. expose que les négociations entamées avec les États-Unis sont conduites par un homme connu pour l'un des plus loyaux et l'un des plus fidèles serviteurs de la monarchie constitutionnelle (M. Hyde de Neuville), sur des principes et avec des procédés approuvés des Américains, amis de l'équité, avec toute l'activité, tous les soins et tous les égards, tous les besoins de rapprochement que doivent inspirer les souvenirs des services et de la reconnaissance entre deux pays faits pour être éternellement amis.

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Quant à nos rapports avec Saint-Domingue, dit S. Exc., cette question n'appartient pas seulement à la diplomatie, elle comprend encore les anciens droits d'une métropole et les intérêts de beaucoup de propriétaires, si malheureusement dépouillés. Enfin, les intérêts de notre commerce et les rap

ports les plus importans de la haute administration. Vous ne pouvez pas douter que le gouvernement du Roi ne s'en occupe; vous le blâmeriez vousmêmes, s'il venait vous déclarer de quelle manière il s'en occupe.

Touchant les rapports avec les diverses parties de l'Amérique méridionale, avec les colonies espagnoles, rien n'est plus délicat, d'après les égards et la fidélité due à des alliés, que nous ne saurions blesser sans qu'il s'élevat des mêmes bancs les plus vives réclamatious. Je pourrais opposer des dénégations formelles à plusieurs assertions des honorables orateurs : les États réunis de l'Amérique, qui pourraient avoir tant d'intérêt, et moins de considérations delicates à ménager, n'ont pas encore reconnu les nouveaux États. Aucune puissance européenne n'y a envoyé d'agens connus; aucun fait semblable n'a été même prononcé à la Chambre des Communes. Quant aux débouchés nouveaux, les commerçans plus ou moins encouragés, peuvent s'occuper de leurs propres intérêts et de ceux de leur patrie; une des nations la plus active en ce genre a pu s'efforcer de fertiliser de tels canaux; mais je n'ai aucune raisen de croire que nos commercans aient éprouvé des obstacles aux nouveaux debouchés qu'il auraient voulu s'ouvrir de ce côté. Nous sommes disposés à encourager leurs entreprises par tous les moyens légitimes... »

Répondant ensuite aux critiques faites sur les dépenses de son ministère, S. Exc. observe que la comparaison des traitemens de 1786 avec ceux de l'époque actuelle, offre une diminution de plus de 50,000 fr.; que, la différence de 2,500,000 fr., observée à l'époque de la révolution, vient de ce qu'alors les consulats appartenaient à la marine, d'où ils ont été transférés en 1793; que dans cette dépense les éventualités se multiplient, que la situation nécessairement mobile de l'Europe, et les changemens que des événemens inattendus peuvent amener, ne permettent point de fixer avec une entière certitude des limites aux dépenses; que la dignité du Roi et l'honneur du nom français exigent que les personnes destinées à représenter l'un et l'autre, soient dans une position qui ne soit pas inférieure à celle des diplomates étrangers; que cependant nos agens consulaires surtout sont infiniment moins rétribués que ceux de la plupart des autres puissances avec lesquelles la France a toujours été accoutumée à marcher de pair; et qu'enfin la somme demandée, loin d'être susceptible de réduction, serait plutôt insuf fisante.

- Je n'ai pas été peu étonné, ajoute S. Exc., d'entendre dire au préopinant que les Francais étaient les feudataires d'autres puissances, parce qu'ils envoyaient des plénipotentiaires aux congrès où se réunissaient les ambassadeurs des grandes puissances. Il me semble que ce reproche est facile à retourner contre celui-là mème qui l'a fait. Effectivement, si, lorsque les puissances se réunis. Annuaire hist. pour 1822.

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sent pour traiter de quelques grands intérêts, la France ne faisait pas partie de cette réunion, ce serait alors qu'il serait plus juste de dire qu'elle est étrangère aux grands intérêts diplomatiques... J'espère, Messieurs, que le temps, justifiant notre politique conforme en tout au système de droiture et de loyauté que le ministère veut suivre dans toutes les parties de l'administration, amènera les résultats les plus irréprochables, les plus dignes de l'approbation de la Chambre et de la France, les plus dignes d'un Roi dont la vie entière nous garantit que, dans cette noble partie des affaires publiques, plus particulièrement soumise à ses regards, il ne laissera jamais compromettre la dignité de son nom, de son regne et de ses peuples. »>>

M. le général Sébastiani, succédant à S. Exc. à la tribune, fait observer qu'il ne peut pas répondre au ministre, parce qu'il a laissé dans une obscurité profonde tout ce qui se rapporte soit à la politique de la France à l'égard de l'étranger, soit à la politique intérieure; et, reprenant la question déjà traitée de l'influence que la diplomatie française devrait exercer à l'extérieur, il parcourt rapidement les événemens qui se sont passés en Espagne depuis. 1814. Il pense que dans la dernière révolution, après que le roi eut été forcé de subir la constitution de Cadix et les dangers d'une assemblée unique, la politique française pouvait intervenir encore pour tempérer l'effervescence naturelle et inévitable que cette révolution devait traîner à sa suite. Mais au lieu d'une attitude équivoque et presque hostile, il fallait se montrer favorable à l'établissement des institutions constitutionnelles; inspirer par-là de la confiance à la nation et aux cortès. « Tel était le parti que nous devions prendre alors, que nous devons prendre aujourd'hui : parti utile au roi d'Espagne, à la nation espagnole; conforme à la justice et aux in* térêts de la France. »>

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Ici le général orateur aborde une question dont il ne se dissimule ni l'étendue ni la gravité sur les affaires de l'Orient. Il rap pelle que le partage de la Turquie européenne entre les puissances de l'Europe n'est pas nouveau; et que lui-même appelé, il y a quatorze ans, à traiter cette importante question (le général était alors ambassadeur à Constantinople), son opinion avait été pour la négative. Mais alors les circonstances justifiaient son opinion. L'empire ottoman joui sait de la tranquillité dont il est susceptible, et les Grecs n'avaient montré ni la volonté, ni l'énergie, ni le courage

qui assurent l'indépendance; ils ne s'étaient pas encore exposés à la vengeance de leurs farouches oppresseurs; tout était renfermé dans le cercle de la politique et de l'ambition des grandes puissances, qui devaient être appelées à ce partage. Aujourd'hui les circonstances lui paraissent différentes; la chute de l'empire ottoman, prévue depuis tant d'années, n'offre dans l'insurrection des Grecs qu'un symptôme de sa ruine: il en trouve la cause et le germe dans son organisation sociale, dans ses divisions intérieures, dans son état de confusion et de désordre.

Si cet empire ne périt pas sous les efforts des Grecs ou des ennemis extérieurs, dit le général Sébastiani, il périra sans doute par ses dissensions intestines et par une dislocation inévitable. A la veille de semblables bouleversemens, la France doit prendre rang parmi les grandes puissances.

La défense ou la conquête de la Turquie européenne exige, par son concours, l'établissement d'une nouvelle puissance, ou le partage de ses vastes provinces doit lui offrir les avantages qui seuls peuvent assurer son indépendance. Je ne désire pas que nous cherchions ces avantages dans des possessions éloignées qui, dans aucun cas, ne sauraient nous couvenir, mais dans un système plus complet de nos froutières défensives.

• L'indépendance d'une nation est toujours relative. Nos voisins ne peuvent s'agrandir sans que nous ne nous trouvions affaiblis. La France ne saurait voir sans inquiétude l'Italie occupée par l'Autriche; et elle doit faire ses efforts poar que cette presqu'ile retrouve son indépendance. Ne nous trainons plus tnisérablement à la suite d'aucune cause; soyons en Europe, et dans le monde entier, la nation française. »

Le lecteur a pu observer qu'au milieu de ces attaques, la politique de l'ancien ministère n'était pas plus ménagée que celle du nouveau. M. Laîné entreprit de justifier l'une et l'autre. D'abord l'orateur exposant en homme d'état les rapports de la France avec les États-Unis d'Amérique, fait voir comment les surtaxes invoquées par le commerce français ont amené la querelle, provoqué l'augmentation des droits de tonnage, équivalente à la prohibition, et enfin les représailles de la France.

« Ces actes respectifs, dit M. Laîné, ne pouvaient avoir l'effet d'altérer l'amitié qui unit les deux peuples: ils avaient pour but de hâter une négociation qui ne repose que sur des calculs d'intérêt commercial. L'Amérique demande la réciprocité entière pour les surtaxes; la France, répondant que cette réciprocité apparente dans les chiffres ne serait pas réelle en fait, propose la réciprocité dans les avantages de la navigation... L'administration est à l'abri de la critique, pour ne pas avoir suivi l'exemple des États maritimes du nord de l'Europe et de l'Angleterre, qui se sont, dit-on, empressés d'adopter la

réciprocité entière avec les États-Unis. Sans rechercher si ces puissances n'ont pas eu elles-mêmes, par leur commerce, des compensations qu'il n'est pas donné à la France d'avoir; il suffit de se rappeler la remarque qui a été faite depuis long-temps sur la navigation française; c'est qu'à raison de ses habitudes nées du riche et facile commerce avec les Antilles, à raison de ses lois, de ses règlemens sur la marine, de la cherté des approvisionnemens maritimes, la navigation française est la plus chère de toutes. L'Angleterre a pu consentir à la réciprocité ailleurs qu'avec ses colonies. Cette circonstance fait un devoir à l'administration d'être plus exigeante, puisque les Américains jouissent depuis long-temps, dans nos colonies, d'avantages plus grands que celui de la réciprocité. »

Après ces détails importans pour l'intelligence du traité qui fut bientôt conclu (Voy. l'Appendice), M. Laîné, au sujet des affaires des colonies espagnoles, déplore qu'en 1814 le gouvernement espagnol, profitant des leçons de l'histoire et du malheur, n'ait pas accordé par justice, par reconnaissance, par intérêt, ce qui devait, ce qui doit être conquis par la force des choses. Et il déclare que le ministère français n'a pas négligé des conseils semblables à ceux qui attirent ici des éloges à d'autres.

« Il m'est donné, dit-il, de savoir que le chef du ministère (M. le duc de Richelieu), à l'époque d'un congrès célèbre (d'Aix-la-Chapelle), trouvant les affaires d'Amérique aussi importantes à la paix et à la prospérité du monde que les affaires de l'Europe, désira que celles-là aussi fussent réglées par l'intervention de toutes les puissances, sur les bases indiquées par les intérêts et par les droits de l'Amérique et de l'Espagne. La voix de ce ministre ne fut pas écoutée. Quant à la conduite qu'il fallait tenir envers ces États, on ne voudrait pas sans doute que l'administration française, en se vantant d'avoir rempli le devoir d'alliée fidéle, eût pourtant démenti sa loyauté par une conduite propre à découvrir que, sous ce beau voile, elle n'agissait que selon l'intérêt mercantile.

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« La France aussi peut avouer ses vœux, ses conseils, les démarches qu'elle a faites. La marine royale a, depuis plusieurs années, montré le pavillon de France sur toutes les côtes de l'Amérique méridionnale; et, sous son abri, le commerce s'est ouvert des communications que l'Espagne n'interdit pas et qui peuvent préparer de plus grandes, de plus utiles liaisons.... >>

Avant de parler de Saint-Domingue, qu'il trouve le point le plus difficile à traiter dans une séance publique, l'honorable orateur retrace vivement le tableau de ses calamités, et la difficulté d'une question pleine de dangers.: mais dans tous les cas, quelles que doivent être un jour les résolutions du gouvernement sur Saint-Domingue, il ne se résoudra jamais à partager l'opinion qui aurait voulu qu'on s'en emparât à force ouverte.

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