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juges? Pour ce qu'on appelle l'arbitraire dans ces jugemens, on ne peut en voir que dans la graduation des peines; mais cette graduation, même aux assises, est étrangère aux jurés : elle est déjà laissée à la conscience du juge (car c'est le mot propre). Vous n'oublierez pas d'ailleurs, Messieurs, que les peines sont fixées par la loi, dans leur minimum et leur maximum; ce qui repousse l'expression d'arbitraire, et tout rapprochement avec la chambre étoilée ou antre commission despotique.

■ C'est, dira-t-on, une première attaque faite au jury. Loin de croire que l'autorité du jury se soit accrue depuis cette nouvelle attribution des délits de la presse, je pense que rien ne discrédite cette institution comme de la voir exposée à nous donner en spectacle, tantôt le peu de zèle des citoyens pour des sessions du jury dont on double la durée, tantôt le peu d'aptitude de quelquesuns pour apprécier les questions les plus délicates, les plus subtiles, et trop souvent de scandaleuses absolutions.

Ici l'honorable rapporteur fait sentir la difficulté, pour la plupart des jurés, de juger sainement du venin caché d'un ouvrage qu'il faut lire et méditer tout entier. --ll affirme qu'ils ne sont plus que des juges sous l'influence de l'opinion et de l'esprit de parti, incapables de se défendre des sophismes, des raisonnemens captienx, des séductions dont on les entoure. Il espère enfin qu'il ne s'agit pas d'ôter aux jurés le droit de juger des crimes de la presse, ce en quoi on s'écarterait du droit commun, parce qu'alors le crime a quelque chose de matériel, tandis que les simples délits, qui souvent ne se rattachent pas à un évéuement, sont plus difficiles à démêler, demandent des esprits exercés à l'étude, la pénétration de magistrats habitués à juger les questions épineuses de dol et de faux. Ainsi la commission propose d'attribuer aux cours royales, en audience solennelle, la connaissance des délits de la presse.

Dans tout le reste, la commission approuve le projet de l'ancien ministère, ou n'y propose que des modifications peu importantes; et le rapporteur en développe les avantages de manière à exciter souvent l'improbation et les murmures de la gauche. Jamais l'opposition n'avait paru plus décidée et plus violente : quarantequatre de ses meilleurs orateurs se firent inscrire contre la loi. Des débats orageux s'élevèrent ensuite sur l'ouverture de la discussion, que le ministère voulait accélérer, et que l'opposition voulait différer. Au fait, tous les partis y étaient bien préparés. Elle fut fixée au samedi suivant.

CHAPITRE II.

Discussion du projet de loi sur les délits de la presse, dans la chambre des députés.

(19 janvier.) M. DE CORCELLES ouvre la discussion par un discours où il tonne contre « la faction aristocratique », contre le projet qu'il lui attribuait de vouloir la contre-révolution, et contre la confiscation de la presse, qui précédait, suivant lui, toutes les autres. Mais, après en avoir développé les funestes conséquences, il prédit que «< la nouvelle terreur qu'on veut organiser ne durera pas plus que celle de 1793 et de 1815», et vote contre la loi.

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Dans un esprit tout opposé, et avec la même chaleur d'opinion, M. Duplessis Grenedan expose la nécessité de réprimer les délits de la presse, de faire respecter la religion, l'autorité monarchique et les classifications sociales. Il voudrait « une différence plus marquée entre les insultes faites à la religion qui est la seule vraie, qui est la religion de la France, dont la foi s'est conservée pure « sur le trône, depuis Clovis jusqu'à Louis XVIII. » Il voudrait entre les insultes faites à la vérité et à l'erreur, une autre différence que celle de quelque mille francs d'amende; et repoussant de toutes ses forces des théories pernicieuses à la société, il cherche à prouver que « la nature a fait naître l'homme dans la dépendance, et que la liberté n'est pas le but du gouvernement. » M. Étienne, lui succédant à la tribune, s'élève contre le système actuel; il y aperçoit une conspiration permanente contre la Charte.

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« Il nous restait deux institutions qui peuvent au moins consoler de la perte des autres, dit-il; deux planches de salut dans le naufrage des autres libertés constitutionnelles, la publicité et le jury. Le dernier ministère les avait corrompus, le nouveau ministère les détruit... Deux amendemens ont suffi pour bouleverser tout le systeme de nos institutions. L'ancienne loi sur les délits de la presse punissait les outrages contre l'autorité constitutionnelle du Roi: on élimine constitutionnelle, et le retranchement d'une seule épithète est presque une révolution tout entière. L'abolition du jury révèle le fond de la pensée du ministère. Ce seul dessein l'a trahi. Il annonce ce qu'il veut être et ce qu'il sera.

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Je m'explique : Qu'est-ce que le jury? c'est la société elle-même, c'est l'expression de ses vœux, de sa pensée. C'est surtout en délits de la presse que son intervention est indispensable dans les querelles du pouvoir.

- Abandonné à lui-même, celui-ci est toujours inauvais juge de questions qui le touchent jusqu'au vif. Il est l'ennemi né de la liberté de la presse, attendu qu'il est exercé par des hommes, et qu'il est de la tendance humaine de s'affranchir de tout lien qui gêne, de tout obstacle qui arrête. Les juges eux-mêmes sout justiciables de la liberté des opinions leurs arrêts, s'ils s'écartent des lois, leurs actes, peuvent être soumis à l'examen; dans quelques bornes qu'ils se renferment, ils s'en irriteront toujours. L'amour-propre offensé est mauvais jage de ses offenses: en supposant qu'il les supporte, il n'attend que l'occasion de les venger; et si d'abord l'orgueil ne condamne pas, plus tard c'est la rancune qui punit.

Les tribunaux, tels qu'ils sont institués, sont indépendans de droit et dépendans de fait. Des changemens forcés de résidence ne peuvent-ils pas changer lear sort? et quand il vaque une haute magistrature, un siège à la cour de cassation, un fauteuil au conseil d'état, une préfecture de police; quand les sceaux même de l'État paraissent incertains dans les mains qui les tiennent, tout juge ne peut-il pas être ambitieux? et s'il résiste à l'espoir de la faveur, pourrait-il résister à la faveur obtenue?

La reconnaissance est une vertu si douce, qu'on croit n'être pas injuste quand on n'est pas ingrat......

Sous un gouvernement représentatif, il y a toujours deux partis; ils en sont l'indispensable condition. Faire juger l'opposition par le parti dominant, c'est la condamner d'avance, parce que l'esprit de parti est de sa nature passionné, parce qu'il regarde toujours comme funestes, comme subversives les opinions da parti contraire. Aussi les juges, même les plus scrupuleux en matière civile, sont beaucoup moins conscientieux en matière d'opinion. Ils se regardent alors comme des hommes politiques.

Si le jury n'est autre que l'expression de la pensée publique, le ministère, le jour où il en réclame la destruction, fait donc le plus terrible aveu qui puisse échapper au pouvoir: il reconnaît que la société lui est hostile, ou plutôt qu'il est hostile à la société. Un instinct secret l'avertit qu'il ne peut plus compter sur elle, parce qu'elle ne peut plus compter sur lui. Il la repousse, parce qu'il en est repoussé; alors toutes les défiances s'éveillent, tous les cœurs se ressèrent; voilà, disous-le hautement, voilà la cause de la crise actuelle. La charte était le point d'appui de tous les intérêts; à mesure qu'on l'a violée, on s'est retiré de la nation. Pour appuyer un système fallacieux, on a seuti le besoin de se former une société factice: telle fut la marche du dernier ministère. Gouvernant par des lois d'exception, un jury d'exception lui était indispensable. Seul il pouvait lui offrir des garanties qu'il n'aurait plus trouvées dans un jury impartial. Eh bien! l'institution faussée, réduite à n'être qu'un instrument, ne rassure pas même le nouveau ministère; il la redoute, il la brise, parce que, tout façonné qu'il soit aux volontés du pouvoir, le jury d'exception ne plie pas encore assez; parce qu'il ose quelquefois obrir à sa conviction; parce qu'étant malgré tout, une émanation de la société, il lui cède à son insu; qu'il est reglé par son mouvement, et que ne pouvant fermer les yeux à toutes les clartés qui l'environnent, il ne consent pas toujours à frapper en avengle.

C'est donc la compétence de la raison publique que le ministère décline; et il manifeste ainsi qu'il ne gouverne pas dans les intérêts réels de la société. Il a le sentiment intime qu'elle est mécontente. Elle le sera plus encore, Messieurs; les peines qu'il faudra chaque jour ajouter à des peines, ne parviendront pas

à reconquérir son amour; car, ne vous y trompez pas, des sévérités appellent toujours des sévérités nouvelles; elles redoublent la défiance'; et, à mesure que l'irritation augmente, il faut augmenter les lois pénales. C'est ainsi qu'un gouvernement qui a su mal étudier le pays, est conduit de la fausseté à l'arbitraire, de l'arbitraire à la violence, de la violence à la tyrannie. C'est une suite inévitable des lois de l'accélération. Croyez-vous que les hommes qui, à de sinistres époques, ont couvert la France de deuil, soient arrivés tout à coup aux excès dont ils l'ont épouvantée? Ils commencèrent par les suspects; et après avoir peuplé les prisons, ils dressèrent les échafauds... »

Après d'autres considérations sur les vices, sur les rigueurs de la loi, sur la protection qu'elle accorde aux agens les plus subalternes de l'autorité, sur l'inconvénient de relever des ordres sous le nom de classes, de soulever l'orgueil des classes inférieures, et. « de donner des armes à l'impiété dans un temps où la religion est réellement en honneur et ses ministres respectés », M. Étienne revient à sa première proposition, que « la guerre est déclarée à la Charte »; et il rejette la loi dont il a signalé les dangers.

(22 janvier.) A ces allégations, à ces reproches de MM. de Corcelles et Étienne, M. Revelière répond que des lois, soit répressives, soit permanentes, soit transitoires, peuvent être comprises dans la Charte; et M. le général Sébastiani ajoute de nouveaux développemens sur le danger qui résulte d'une loi qui lui paraît uniquement destinée à devenir un instrument de parti :

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Tel est le vrai caractère du projet, dit-il; la religion, la royanté, l'ordre, toutes ces nobles et grandes institutions ne sont là que comme un voile néces saire.

«

Dans tous les gouvernemens représentatifs qui n'ont pas été faussés, on peut s'affranchir de la domination d'un parti par la dissolution et le renouvellement de la chambre. Cette solution légale s'opère sans secousse, et tout vient se résoudre dans cette mesure politique et constitutiounelle. Depuis le nouveau système électoral, tout est factice et mensonger dans l'élection des députés; le pouvoir, sous toutes ses formes, et à tous ses degrés, est entièrement dans les mains d'un parti on près d'y tomber. Par les élections, ce parti envahit les chambres; par les chambres, il saisit le ministère; par le ministère, il possède toute l'administration.

« Ainsi la société, ou, si l'on veut, tout ce qui dans la société n'est pas de ce parti, se trouve complétement hors du pouvoir, dénué de tout moyen d'influence sur le gouvernement.

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Que pourrait-il rester à la société, la liberté de la presse et le jury se soutenant réciproquement? Cette garantie enlevée, le parti n'a plus rien à redouter... An dedans les chambres ne seront plus que l'instrument de ces derniers. Il fera des lois pour détruire les intérêts nouveaux, comme la révolution en a fait pour détruire les intérêts anciens. La législation entière deviendra une

euvre de parti. Hors des Chambres le complet envahissement de fonctions publiques; c'est pour le parti le moyen le plus facile de réparer ses pertes...Je n'ose développer toutes les conséquences de cet envahissement.

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La latte de l'ordre ancien et de l'ordre nouveau est universelle; elle peut avoir beaucoup de vicissitudes, mais elle est définitivement engagée. .......La France, qui a obtenu les institutions, objets de cette lutte, est dans une situation admirable, non-seulement pour rester calme au milieu de l'agitation européenne, mais pour profiter de toutes les chances que de si grands événemens ne sauraient manquer d'offrir à son industrie, à son commerce, à son importance et à sa considération politique. Elle n'a besoin de s'engager irré. vocablement dans aucun système; rien ne l'oblige à subir les conditions d'aucune alliance. Elle peut, selon les circonstances, se porter partout protecteur, modérateur, médiateur. Comme elle a tenu le sceptre de la guerre, elle peut tenir le sceptre de la paix.

Tous ces avantages de son état actuel, elle les perdra dès que le parti de l'ancien régime, pleinement affranchi de la société par la servitude de la presse, pourra se livrer à son système et suivre ses penchans. Il aura partout des agens, non pour mettre à profit dans l'intérêt de la France les événemens de tout genre, mais pour servir partout ses propres intérêts, ses propres passions. Il vivra dans la préoccupation de lui-même, dans l'ignorance de tout le reste. En un mot, il mettra la France à la suite d'une cause, et d'une cause partout impopulaire; tandis que la France est maintenant appelée à dominer toutes les causes et à recueillir quelque fruit de toutes les fautes qui seront commises autour de nous, soit par les peuples, soit par les gouvernemens.

Et qu'on ne m'accuse pas d'exagérer les conséquences du projet que nous discutons. Ce n'est point à ce projet seul que je ies attribue, mais au système dont il fait partie. Il est aisé de s'arrêter à chaque pas pour soutenir qu'on n'est point arrivé. Ce que je soutiens, c'est que nous marchons à la domination d'un parti de l'ancien régime, et que dans cette route le projet de loi est un grand progres; progrès déplorable comme tous les autres; car le résultat en serait fatal, et perdrait ceux qui le secondent après avoir inutilement vaincu ceux qui s'y opposent. C'est dans l'intérêt de la monarchie légitime et constitutionnelle que je vote le rejet du projet de loi. »

Dans la même séance aussi, M. Pavée de Vandœuvre combattit le projet, défendu d'un autre côté par MM. Reveillère, le général Partouneau et de Castelbajac, sous le rapport de la nécessité de réprimer la licence de la presse, et du droit de le faire conformément au projet, «sans qu'on puisse y voir une violation de la Charte, ou même de la liberté de la presse, dont les délits ne devaient être jugés que par les tribunaux. >>

M. Royer-Collard montant à la tribune après M. de Castelbajac, prit la question de plus haut, et la traita plus largement.

La loi proposée, dit-il, contient un grand nombre de dispositions, et telle. est leur diversité, qu'on peut dire que chaque article est une loi qui a ses motifs, son but particulier. Les amendemens inattendus de la commission sont encore d'autres lois qui dépassent singulièrement le projet auquel elles s'appliAnnuaire hist. pour 1822.

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