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définition des délits et l'aggravation des peines, il serait superflu d'en rappeler les motifs, qui se reproduiront.

Mais le dernier ministère avait conservé dans son projet le jugement par jury dans les délits les plus graves de la presse; et comme cette disposition si importante a été vivement attaquée par la commission, et définitivement rayée du projet de loi, il n'est pas inutile de revenir sur l'opinion alors émise par le dernier garde des sceaux (M. de Serre). Il rappelait les motifs qui avaient fait désirer l'intervention du jury avant que le gouvernement prît l'initiative de cette mesure :

« C'était, disait S. G., 1° ce vague inhérent à toutes les répressions des abus de la presse, qui délègue en quelque sorte l'arbitraire aux hommes chargés de déclarer la culpabilité; 2o la nature des délits qui consistent dans l'abus d'un droit public, celui de discuter publiquement les intérêts du pays, et, par suite, les actes du pouvoir. Sous ces deux aspects, les jurés étaient invoqués comme des juges temporaires, et dès-lors plus propres à user sans danger de l'arbitraire, comme des juges étrangers au maniement habituel du pouvoir. On ajoutait que les jugemens des délits de la presse sont, pour la plupart, de véritables jugemens publics, et que, dans le système constitutionnel, il importait que les citoyens intervinssent dans le gouvernement et l'administration, s'associant, se formant ainsi à la défense des intérêts publics. Enfin, et il ne faut pas l'oublier, on appelait encore le jury en attestant l'impuissance des tribunaux... Le gouvernement a enfin proposé cette attribution dans la session de 1818 (voyez Annuaire pour 1818, p. 18-53); elle a été adoptée après une discussion solennelle et à une très-grande majorité des deux chambres; elle est en pleine vigueur depuis bientôt trois années. Il faudrait, pour révoquer une telle concession, qu'elle eût produit constamment de fàcheux effets, et qu'il en fût résulté la presque impunité des abus de la presse, ou que nous fussions dans une de ces crises violentes dans lesquelles la Charte suppose que l'on peut suspendre le cours ordinaire des jugemens. Il n'en est heureusement point ainsi. Nous avons, depuis 1819, traversé des momens plus difficiles sans doute que ne l'est le moment actuel; et, depuis cette époque, la répression des délits de la presse par les arrêts rendus sur la déclaration du jury a été proportionnellement égale à la répression dans le même temps de tous les autres crimes ou délits : elle est même devenue beaucoup plus efficace depuis la loi de 1819. Mais voici ce qui doit surtout être remarqué, c'est que cette nouvelle attribution donnée au jury a plutôt accru qu'affaibli son autorité morale. Cette autorité s'accroîtra dans la même mesure que s'améliorent notre esprit et nos mœurs publics.

« Toutefois il est utile de restreindre l'intervention du jury aux seuls cas qui intéressent vraiment la liberté de la presse. Ainsi l'article 14 propose de faire, dans tous les cas, poursuivre correctionnellement et d'office l'outrage et l'injure contre les corps ou personnes publics. Il en est de même de ces cris ou actes séditieux qui sont des faits matériels, dont plusieurs se commettent dans l'ivresse; ils sont indignes de la solennité des assises, et appartiennent tout-àfait à la police correctionnelle.

En terminant son exposé, M. le garde des sceaux abordait la ques

tion de la liberté de la presse périodique. Nous ne reviendrons pas sur les motifs qu'il faisait valoir pour la prorogation de la censure jusqu'en 1826. C'était une cause déjà perdue dans l'opinion des deux côtés opposés de la chambre. On a vu le résultat de leur accord.

Dans cette position, il entrait dans les vues du ministère nouveau de faire discuter la loi générale de répression avant celle qu'il venait de proposer pour la presse périodique, dont il se réservait de modifier les articles suivant que l'autre lui offrirait plus de garantie. Il importait de la finir avant l'expiration du terme assigné à la censure (5 février); mais telle était la complication des questions qui s'y rattachaient, qu'elle resta six semaines dans le sein de la commission (1).

(14 janvier.) Le rapport fait par M. Chifflet n'offre, pour le premier titre du projet, que des amendemens peu importans. Il augmente le maximum des amendes, en cas d'outrage à la religion de l'État et à la dignité royale, et maintient celui du projet pour outrage contre toute autre religion reconnue légalement: il ajoute à l'article 4, sur le délit d'exciter à la haine ou au mépris du gouvernement du Roi, une clause portant que cette disposition ne peut pas porter atteinte au droit de discussion et de censure des actes des ministres; et à l'article 7, sur l'interdiction aux journaux de rendre compte des débats législatifs ou judiciaires, qu'elle pourra être ordonnée pour un temps limité, ou pour toujours... Mais à l'article 14, qui, sauf les cas d'injure déférés à la police correctionnelle, et ceux prévus par les articles 6, 8 et 10 du projet, conservait l'intervention du jury dans le jugement des délits de la presse, la commission en substituait quatre autres, d'après lesquels le jugement des délits de la presse était attribué aux cours royales, en audience solennelle de deux chambres. C'est le changement le plus important à remarquer dans le projet... Voici comme, après avoir fait sentir la

(1) La commission était composée de MM. Chilhaud de la Rigaudie, Chifflet, Bonnet, le chevalier Meynard, de Peyronnet, Pardessus, de Pommerol, Préveraud de la Boutresse, le comte de Kergorlay (Florian).

difficulté de préciser, de définir et de graduer les délits en question, l'honorable rapporteur justifiait successivement les modifications proposées au projet de l'ancien ministère, où la commission avait vu trop de réserve :

« En examinant l'article 1o, dit M. Chifflet, votre commission a cherché à se pénétrer de l'esprit qui dirigeait le législateur lorsqu'il a octroyé la Charte à ses peuples. Il assure liberté de religion à chacun, et la même protection pour son culte; cependant, dit-il, la religion catholique est la religion de l'état. Cette distinction expresse dans un article particulier, et indiquée par le mot cependant à la suite de la protection promise à chacun, annonce une protection spéciale, des avantages particuliers...

«

Tel est le motif qui a fait élever le maximum de l'amende pour outrage fait à la religion de l'état...

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Après son Dieu, le Roi est tout pour un Français: lui être fidèle fait son bonheur; la France et son Koi s'identifient dans le cœur du Français; ils deviennent un seul objet de son amour. La répression de l'outrage fait au Roi doit donc suivre immédiatement dans la loi la répression des outrages à la religion. On n'a pas cru devoir séparer la dignité du Roi, ses droits, son autorité, l'inviolabilité de sa personne; tous ses droits lui sont inhérens. Sans donte son autorité constitutionnelle sera protégée; mais cette épithète constitutionnelle de l'ancienne loi ne doit pas être employée comme pour la restreindre. Son autorité n'était-elle pas entière dans sa personne sacrée, avant qu'il nous eût donné la Charte, puisque nous ne la tenons que de sa volonté royale ? La dignité de sa couronne, la successibilité an trône par ordre de primogéniture, 'les principes de cette monarchie de quatorze siècles, n'ont-ils pas des droits à être protégés, et des droits qui ne datent pas de quelques années? C'est donc avec raison que le projet de loi supprime ce mot, et prévient par là les prétextes captieux qu'il fournissait pour soustraire les coupables aux condamnations...

L'article 4 du projet punit celui qui aurait excité à la haine ou au mépris du gouvernement du Roi. Ces expressions, bien approfondies, ne paraissent présenter aucune équivoque : il s'agit des formes du gouvernement du Roi, de ses divers modes d'action. Cette expression générale se trouve employée par la Charte dans ce sens; et ce serait un blasphème politique que d'isoler le gouvernement de la personne du Roi, d'oser dire que le gouvernement marche ou ne marche pas en harmonie avec le Roi, comme si le gouvernement n'était que dans le ministère. Cependant, pour calmer les esprits plus inquiets, votre commission vous propose d'ajouter cet article : « La présente disposition ne peut pas << porter atteinte au droit de discussion et de censure des actes des ministres. » Tonte censure qui a le bien public pour objet sait rester respectueuse. La loi ne veut atteindre que l'artisan de troubles, qui commence par jeter sur le gouvernement la haine ou le mépris, pour soulever ensuite et l'attaquer ouver

tement... »

M. le rapporteur, poursuivant l'examen des autres dispositions, arrive à l'article 9, dirigé contre ceux qui chercheraient à troubler le paix publique, en excitant le mépris ou la haine contre une classe de personnes.

« D'abord, il est à remarquer que ce n'est que dans le cas où la paix publique est menacée. Mais cette expression classe choque quelques personnes : classe, corps, ordre, corporation, toutes ces expressions collectives leur sont odieuses.

Cependant les ministres de la religion auxquels la Charte assure un traitement, les nobles que la Charte reconnaît, ne forment-ils pas des classes particulières dans la société. »

(Une foule de voix : Ni les prêtres ni les nobles ne font une classe à part... La loi ne reconnait pas de corporations...)

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La nécessité réunit les hommes de même profession pour leurs intérêts communs, reprend M. Chifflet lorsque le calme est rétabli; cet intérêt les réuairait, malgré les lois. Il ne faut pas que le législateur s'y trompe; il ne dépend pas de lui d'empêcher d'exister ce qui est dans la nature des choses: il peut détruire; mais l'établissement nécessaire se reproduit.

Enfin ces classes, quand elles existent légalement dans la société, ont droit à être protégées par elle. Fandra-t-il encore entendre ces cris: A bas les prêtres! à bas les nobles!...

L'esprit destructeur de l'anarchie nivelle, individualise, redoute l'esprit de corps; le despote divise pour dominer plus sûrement; le gouvernement paternel d'un roi cherche, pour les protéger, les intérêts communs, et groupe autour d'eux les individus. C'est dans cette vue toute monarchique que votre commission n'a pas hésité à adopter l'article proposé.

Quant à l'accroissement des amendes à infliger aux journalistes, la commission, frappée de l'insuffisance des peines prononcées contre leurs délits, avait pensé que ces entreprises étant principalement une affaire de spéculation c'était dans la source même de leurs bénéfices qu'elles pouvaient être atteintes, et qu'une suspension pour un temps les frapperait d'une manière plus sensible que des amendes. D'ailleurs, il est dans l'esprit de la monarchie de ne pas craindre de laisser aux juges une certaine latitude dans les peines; c'est le plus sur moyen qu'ils soient justes.

- Un journaliste, en prenant une couleur), n'a quelquefois consulté que son intérêt. Souvent aussi il parle de conviction; il est attaché à son système, il en développe les principes, il cherche à lui gagner des partisans. S'il est le soutien des véritables doctrines, que faut-il craindre de la justice? Mais, si le parti qu'il a adopté est subversif des principes religieux et monarchiques, une simple suspension ne ferait alors que retarder l'attaque dirigée contre la société. Le journal, dans ce cas, doit être supprimé. >>

Ici l'honorable rapporteur, prévenant des objections faites contre la suppression des journaux, assimilée à une confiscation, compare cette propriété à l'arme qu'un furieux a entre les mains, et dont il importe à la société de lui ôter l'usage.

Ainsi, au titre II (de la poursuite), il examine la question de savoir si l'on pouvait placer ailleurs que dans les chambres où dans les tribunaux la répression des offenses dirigées contre eux ou contre leurs membres, et le soin de juger de l'infidélité ou de la mauvaise foi des comptes rendus de leurs séances: tout lui paraît avoir été sagement prévu dans le projet.

Mais la commission avait pensé autrement que l'ancien ministère sur une question de compétence, c'est-à-dire sur l'intervention du

jury dans le jugement des délits de la presse. A cet égard, la loi du 26 mai 1819 lui avait paru sortir du droit commun, être une loi d'exception:

La distinction des délits et des crimes n'est point arbitraire, dit le rappor teur, elle est basée sur la gravité des faits; elle entraîne une distinction dans la nature et la durée des peines. Cette gravité, plus ou moins grande dans la criminalité de fait et dans la pénalité, justifie l'attribution à des tribunaux différens. Lorsque, par une peine infamante, l'honneur de l'accusé est compromis, on a voulu lui donner une plus grande garantie; on l'a cherchée dans l'institution du jury. Cette distinction des délits et des peines, des tribunaux différens, qui doivent en connaître, date de 1791; elle est conservée dans la législation de 1795 et dans le Code de 1818.

Cette distinction est politique et morale : l'atteinte que lui porte la loi du 26 ínai est fâcheuse sous ce point de vue de moralité. Le peuple, qui était accoutumé à ne voir sur le banc des assises que des gens accusés de crimes, perd ce repoussement que l'idée du crime inspire à l'homme, en voyant sur ce même banc des gens coupables de simples délits, des gens de lettres estimables sous plusieurs rapports. Le peuple, qui n'est frappé que par les sens, au lieu de regards d'effroi qu'il jetait sur ce banc, considère avec plus d'indifférence et les crimes et les délits qu'on lui présente alternativement. A ce sujet, je ne sais pas ce que l'homme de lettres a gagné à changer le banc du tribunal correctionnel pour celui des assises. Il en serait autrement aux audiences solennelles, comme le propose la commission.

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Une autre considération politique me paraît importante. Quelle est la tendance contre laquelle la société a à lutter? Quel est l'esprit qui dirige les mécontens, les personnes inquiètes, ou plutôt leurs chefs? Il faut le dire franchement, c'est encore dans plusieurs une tendance républicaine dégnisée, il est vrai, sous les formes et le langage constitutionnels. Je concevrais que si nous avions à craindre aujourd'hui la force arbitraire d'un despote, ou l'influence trop marquée d'une aristocratie quelconque, je concevrais qu'il faudrait renforcer ce qui peut devenir contre-poids. Mais ne sentez-vous pas tons, Messieurs, que c'est l'autorité royale qui est encore sourdement menacée, et que nous devons l'appuyer de toutes nos forces loin d'en fournir à ses adversaires? On va repousser l'idée d'une tendance républicaine, et se renfermer dans le régime constitutionnel. Respectez donc ses institutions: elles établissent le jury pour les crimes seulement; laissez les délits aux tribunaux auxquels elles les renvoient. On a objecté que les délits de la presse sont un abus du droit public, du droit de critiquer les actes du pouvoir; on en conclut que ce sont des jugemens publics, et que les citoyens doivent y intervenir pour s'y former à la défense des intérêts publics. S'il y a abus du droit public, si cet abus devient fréquent, je pense que l'on doit en conclure qu'il fant contenir, avec plus de soin et plus de force, les citoyens dans les droits que les lois leur attribuent; ce n'est pas le moment d'en étendre les limites: les renfermer dans un usage légitime de leurs droits publics, c'est la vraie manière de les former à une juste défense des intérêts publics.

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« On dit qu'il y a nécessairement du vague, de l'arbitraire dans le jugement de ce genre de délits. Ce n'est pas une raison pour en conclure qu'il faut retirer ces jugemens des mains des magistrats, pour les livrer aux simples citoyens. Ce vague dont on parle tient à la difficulté de saisir l'esprit d'un écrit, le but caché d'un auteur; les simples citoyens en sont-ils plus capables que les

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