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CHAPITRE III

L'ÉTAT ET L'ORGANISME INTERNATIONAL

L'organisme international. — Les relations que les hommes nouent entre eux, sans se préoccuper de l'État, ne s'arrêtent pas aux frontières, elles les franchissent. Il y a entre nationaux des différents États des relations de parenté, d'affection, d'intérêt, des communautés de croyance qui établissent une véritable solidarité. A l'époque contemporaine, cette solidarité s'accroît avec rapidité. La facilité des communications, les chemins de fer et les télégraphes, en ont été la cause immédiate; mais, si l'on voulait remonter dans l'histoire, on trouverait bien des événement qui l'ont préparée, notamment les grandes guerres qui, en dépit d'animosités passagères, amènent le contact et le mélange des peuples.

Outre l'organisme national, il existe donc un organisme international en effet, ce tissu de relations créées entre nationaux des différents pays fait qu'en certaines occasions tous ces nationaux, secoués par les mêmes tressaillements, se sentent, dans une certaine mesure, sous la dépendance les uns des autres. La banque est internationale et les fluctuations des valeurs monétaires se font sentir d'un bout du monde à l'autre. La production économique tout entière est internationale, car, si chaque État n'établissait pas à sa frontière des barrières factices, la valeur de chaque produit serait à chaque instant modifiée par des faits économiques survenus dans les parties du monde les plus lointaines.

Cet organisme international a son âme, l'idée internationale, et c'est ce qui fait sa force, car c'est l'idée qui agit. La religion est internationale, la science est internationale, l'art et la littérature le deviennent, l'idée démocratique est internationale, il en est de même de l'idée socialiste.

Le rôle de l'État vis-à-vis de l'organisme international. La concurrence et la lutte pour la vie règnent, dans l'organisme international, d'une façon plus violente encore que dans l'organisme national. Le devoir de l'État est de protéger ses nationaux par sa diplomatie pendant la paix, et au besoin par la guerre.

Ce n'est pas seulement l'organisme national, dont il a la direction,

que

l'État a le devoir de défendre; il doit se défendre lui-même dans sa propre existence, et, pour ainsi dire, dans sa notion. Il ne faut pas se dissimuler, en effet, que, dans l'idée internationale, il y a un principe de dissolution des États nationaux, tels qu'ils sont organisés. Toutes les fois que les groupes humains s'agrandissent, ils modifient leur type. La tribu est déjà un autre type que la famille; la cité antique, un autre type que la tribu; l'État moderne qui suppose un groupement plus nombreux, est un autre type que la cité antique. L'organisme international, encore à l'état rudimentaire, mais qui semble annoncer un groupement d'hommes encore plus nombreux, porte en gestation un type d'organisation sociale probablement très différent de l'État national moderne.

L'État doit donc se défendre en même temps qu'il défend ses nationaux, car c'est encore indirectement protéger ceux-ci. Il faut, si, dans des temps lointains, il se prépare un groupement nouveau que les nationaux de chaque État y aient la place la meilleure possible.

C'est là ce qui légitime, au point de vue politique, non seulement la lutte d'État à État, mais aussi les moyens de défense que tous les États emploient contre l'Église. Car l'Église, en tant qu'elle incarne l'idée internationale, est un dissolvant puissant des États nationaux. Il pourrait se faire que, pour les mêmes motifs, les États eussent à se défendre un jour contre l'idée socialiste.

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Le droit international. Le droit domine la lutte internationale comme il domine la lutte nationale. Il règle les rapports d'État à État, soit dans la guerre, soit dans la paix. On l'appelle alors le droit international public. Il règle aussi les rapports des nationaux appartenant à des États différents en donnant le moyen de résoudre le conflit des législations diverses: on l'appelle, dans cet office, le droit international privé. Là, comme partout, fidèle à son principe, le droit traite les États et les individus comme des êtres libres qui contractent sur pied d'égalité.

L'État et les Églises

Les Églises. Les Églises sont des groupements d'hommes qui se rapp: ochent des États plutôt que des associations privées, en ce sens qu'ils se produisent à la façon d'un phénomène naturel et que ceux qui en font partie y sont, pour la plupart, en vertu d'un quasi-contrat plutôt que d'un contrat. Elles ont, d'ailleurs, une véritable organisation politique, un gouvernement centralisé ou décentralisé, et, à certaines époques, elles ont rendu des services qui semblaient réservés aux États; témoin, au moyen âge, l'extension aux matières civiles de la législation canonique.

Elles ont certainement une personnalité morale et juridique, bien que les États ne la reconnaissent pas toujours et à tous les points de

vue.

Rapports de l'État avec les Églises. - Les États religieux ont forcément des rapports avec l'État laïque, parce qu'ils font sentir leur gouvernement sur le territoire et sur les nationaux de celui-ci. Et il serait puéril de dire que les conflits sont impossibles parce que le but de l'action des Églises est la préparation à la vie future; la préparation à la vie future se fait justement dans la vie terrestre, et c'est bien sur cette vie que les Églises exercent leur action, tout comme les États politiques. Il y a donc à se préoccuper de régler les rapports des deux pouvoirs en présence.

Deux systèmes opposés se conçoivent : ou bien l'État politique juge à propos de reconnaître le caractère d'État religieux qu'ont les Églises, c'est-à-dire le caractère social de la religion, et alors il s'établit un modus vivendi entre les deux gouvernements; ou bien l'État préfère ignorer les Églises comme États religieux, il considère le besoin religieux de ses nationaux comme individuel, et il les laisse libres d'y pourvoir par des moyens individuels. Le premier système peut s'appeler celui de l'union de l'Église et de l'État, le second s'appelle la séparation de l'Église et de l'État.

Les États ont surtout jusqu'ici pratiqué le premier système. L'union de l'Église et de l'État a successivement revêtu plusieurs formes. Ç'a été pendant longtemps un modus vivendi établi sans contrat formel, ou du moins sans contrat solennel, et tantôt, comme sous l'empire romain, l'État a essayé de dominer l'Église, tantôt, comme au moyen åge, l'Église a essayé de dominer l'État. Actuellement, on en est généralement à l'ère des concordats, c'est-à-dire des contrats solennels, revêtant, au moins avec l'Église romaine, la forme de traités diplomatiques et réglant expressément toutes les questions importantes.

En France, le premier concordat a été signé par François Ier et Léon X (1516) et a réglé les rapports de la monarchie française et du saint-siège jusqu'à la Révolution. Le second date de 1801 (26 messidor an IX, complété par les articles organiques, L. 18 germinal an X) et nous régit encore. Partant de ce principe que l'Église est une puissance étrangère, qui exerce à l'intérieur de l'État une certaine autorité, il s'attache à limiter son action.

1° Il surveille la législation, la mesure dans laquelle les ordonnances pontificales ou bulles peuvent être promulguées dans l'intérieur de l'État (Droit d'exequaturou d'annexe, art. 1er, L. 18 germinal an X).

2° Il surveille le clergé, qui est le personnel administratif de l'Église, son recrutement et ses agissements. La grosse question est celle du

recrutement; on est arrivé, par un système très rationnel, à ce que, malgré le caractère cosmopolite de l'Église, malgré que le chef de cette Église réside à l'étranger, le clergé soit national. Ce résultat est obtenu au moyen de la distinction entre la nomination au poste et l'institution canonique; la première appartient à l'État, au moins pour les évêques et les curés de canton, la seconde à l'Église. Ce système force l'État à s'occuper de l'éducation et de la préparation des membres du clergé, à faire à ceux-ci une situation spéciale si elle est nécessitée par leur caractère, à pourvoir à leurs besoins, à leur fournir les édifices du culte, etc.

Enfin, comme le concordat reconnaît l'autorité de l'Église, il faut prévoir les conflits entre l'autorité ecclésiastique et l'autorité administrative. Ces conflits, d'une nature toute particulière, sont réglés par une institution d'ordre contentieux appelée appel comme d'abus. Il sera traité de cette institution dans la partie du contentieux. (Pour les cultes protestants, V. L. 18 germinal an X, D. 26 mars 1852, L. 1er août 1879. Pour le culte israélite, O. 25 mai 1844, D. 29 août 1862, D. 11 novembre 1870.)

On peut se demander si l'ère des concordats durera longtemps, ou si elle ne fera pas place à la séparation de l'Église et de l'État. Dans le cas où la séparation se réaliserait, il faut bien entendre le régime. Ce n'est pas : « l'Église libre dans l'État libre », comme on l'a dit, car l'État ne pourrait pas reconnaître la personnalité de l'Église, ni des subdivisions administratives de celle-ci (diocèses, paroisses, etc.). L'État ignorerait l'Église comme puissance, seulement il reconnaîtrait des associations qui géreraient les intérêts religieux, à titre purement individuel, fabriques, etc., en surveillant, bien entendu, les biens de mainmorte. Quant au recrutement national du clergé, le patriotisme des fidèles suffirait sans doute à l'assurer.

HISTOIRE

DE LA

FORMATION DU DROIT ADMINISTRATIF FRANÇAIS

DEPUIS L'AN VIII'

Comme toutes les créations sociales douées de vie, le droit administratif français a été le produit de l'activité de beaucoup de volontés inconscientes. Nous entendons par là que, parmi ceux qui l'ont fondé au lendemain de la Révolution, administrateurs, auditeurs, maîtres des requêtes, conseillers d'État, beaucoup, allant au plus pressé, se décidaient d'après les besoins de l'administration et d'après un certain instinct; que quelques-uns seulement réfléchissaient sur l'origine, la valeur, la portée des règles qu'ils élaboraient.

Ce qui est vraiment frappant, c'est que, dans la pensée de tous, ce droit était complètement nouveau, qu'il ne procédait en rien de l'ancien régime, et qu'il se développait d'une façon tout originale.

Cette opinion, qui, chez la plupart, était latente, est exprimée, dès le début, par de Gérando, Cormenin, et plus tard par Boulatignier. On la formulait d'une façon très plausible et qui devait lui donner beaucoup de crédit. On faisait remarquer que le droit administratif ne pouvait exister à part et se distinguer du droit ordinaire, que si les juridictions chargées de l'appliquer étaient elles-mêmes séparées des juridictions ordinaires; en d'autres termes, qu'il ne pouvait y avoir de droit administratif sans séparation des pouvoirs. Or le principe de la séparation des pouvoirs n'avait été introduit que par l'Assemblée constituante; le

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1. V. Boulatignier, Revue étrangère et française, année 1839, De l'origine, des progrès et de l'enseignement du droit administratif en France. De Cormenin, Droit administratif, 5e édition, 1840, préface. R., de Mohl, Die Geschischte und Literatur der Staats wissenschaften, 1858, 3° volume, p. 192-290. F. Laferrière, De l'enseignement administratif dans les Facultés de Droit et d'une école spéciale d'administration ; Revue de Législation, t. XXXIV; Tables de la Thémis, etc., préface, 1860. Aucoc, Le Conseil d'État, 1876. E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative, 1887.

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