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Cette situation des congrégations non reconnues qui a été rappelée par les décrets du 29 mars 1880, résulte des lois suivantes : les décrets du 13 février 1790 et du 28 août 1792, qui déclarent éteintes et supprimées toutes les corporations religieuses et congrégations séculières d'hommes et de femmes, ecclésiastiques ou laïques; la loi du 18 germinal an X qui, après avoir autorisé le rétablissement des chapitres et séminaires ajoute: «... tous autres établissements ecclésiastiques sont supprimés... »; le décret du 3 messidor an XII, qui dissout une congrégation qui avait tenté de se reformer et établit le principe de l'autorisation préalable du gouvernement.

C. Associations de travailleurs. - Syndicats professionnels. Les maîtrises et jurandes de l'ancien régime avaient laissé un tel souvenir que, pendant longtemps, les associations de travailleurs de toute espèce ont été prohibées comme portant atteinte à la liberté du travail, et cela quel que fût le nombre de leurs membres (L. 17 juin 1791; art. 416, C. P.). Cependant la force des choses avait amené depuis longtemps en fait la création de chambres syndicales ou de syndicats, et le gouvernement les avait tolérés. Une loi du 24 mars 1884 est venue régulariser cette situation.

Cette loi déclare entièrement libre la formation des syndicats professionnels sans limitation de chiffre pour les membres; par conséquent, non seulement elle abroge les lois plus haut indiquées, mais encore elle déclare inapplicables les art. 291 et suiv. du Code pénal et la loi du 10 avril 1834.

Il y a syndicat professionnel aux deux conditions suivantes :

1° Lorsque les syndiqués exercent la même profession, ou des métiers similaires, ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés. Bien que la loi ait été faite principalement en vue des corporations ouvrières, elle paraît devoir être étendue à toutes les professions, même à celles dites libérales 1. Elle n'exclut que les fonctionnaires; les fonctionnaires ne peuvent point former de syndicat parce que la force qu'ils puiseraient dans ce groupement volontaire serait hostile à la discipline et amènerait la désorganisation de l'administration. Lorsque l'État juge lui-même qu'il a intérêt à grouper quelques-uns de ses fonctionnaires, il les

1. En ce sens, tribunal de la Seine, 10 mars 1890; Cour d'appel de Paris, 4 juillet 1890 (syndicat de professeurs libres). La jurisprudence de la Cour de cassation est en sens contraire; elle ne considère comme licites que les syndicats se rattachant à l'industrie, au commerce et à l'agriculture (Cass. 17 juin 1885); mais il est à prévoir qu'appelée à nouveau à se prononcer, lorsque le temps écoulé aura fait perdre de leur actualité aux circonstances qui ont entouré le vote de la loi, la cour suprême modifiera sa manière de voir.

organise d'autorité en compagnies ou corporations dont il établit les règlements (Facultés de l'enseignement supérieur).

2o Lorsque le syndicat a pour objet l'étude et la défense des intérêts professionnels, c'est-à-dire des intérêts économiques ou techniques du groupe, qui peuvent prendre le caractère d'intérêts industriels, commerciaux, agricoles ou tout autre (art. 2 et 3).

Les syndicats professionnels ont la personnalité civile (art. 6 et 8) '. Ils peuvent se concerter entre eux (art. 5).

54. Les associations. Les associations sont des individus fictifs qu'il faut ranger à côté des individus réels, parce que l'activité qu'elles déploient n'est qu'un mode de l'activité privée.

L'association est par essence un groupe d'hommes qui agissent en commun d'une façon permanente. L'action en commun prolongée fait le fond de l'association. L'association se forme par un fait volontaire,

un contrat.

Une fois formée, l'association se conduit comme un être fictif. Il y a un élément spirituel dans cet être, et c'est la volonté des associés. Tous les associés mettent en commun une certaine volonté, tous la même; ce faisceau de volontés particulières, identiques entre elles, se comporte comme une volonté unique, elle se détache des associés et vit de sa propre vie. Il y a aussi un élément matériel, le groupe même des associés avec l'organisation qu'il a pu se donner.

Il est naturel que cet être fictif soit doué de personnalité juridique. L'État ne reconnaît pas toujours cette personnalité, ainsi que nous le verrons plus loin, mais quand il la reconnaît, ce n'est pas une concession qu'il fait, c'est un fait existant qu'il constate.

Les associations se classent, d'après leur but, en intéressées et désintéressées. Les associations intéressées sont celles qui poursuivent un but d'intérêt privé, un bénéfice pécuniaire; telles sont : l'association conjugale, les sociétés civiles, les sociétés commerciales.

Les associations désintéressées sont celles qui poursuivent un but d'intérêt général, sans pensée de lucre; telles sont les syndicats professionnels, les sociétés de secours mutuels, les associations d'enseignement, les sociétés savantes, les congrégations religieuses, etc.

Les associations désintéressées sont des personnes morales privées tout comme celles qui sont intéressées. C'est un point qui a été contesté. Certains auteurs les appellent personnes morales publiques,

2. D'après un avis du conseil d'État du 30 juillet 1891, les droits conférés aux syndicats sont limitativement énumérés par la loi du 21 mars 1884; par suite, ils n'ont pas le droit de recevoir des libéralités.

et veulent les transporter du côté de l'État. C'est là une erreur ou une confusion de termes fâcheuse; il n'y a et il ne peut y avoir d'autres personnes morales publiques que l'État et les membres de l'État: départements, communes, établissements publics; et cela pour une bonne raison, c'est que, par définition, l'activité publique, la vie publique, le droit public, sont l'activité de l'État, la vie de l'État, le droit relatif à l'État; les termes chose publique et chose de l'État sont synonymes. Que si on entend dire seulement par là que ces sociétés poursuivent des buts d'intérêt général, on a tort de croire qu'elles cessent pour cela d'être des personnes morales privées. Il est parfaitement loisible aux particuliers de se préoccuper de l'intérêt général. La charité privée s'en occupe assurément, et cependant elle s'appelle charité privée. Nous avons combattu dans notre théorie de l'État cette idée que l'État se confondrait avec l'intérêt général; l'État n'est qu'un des moyens de servir l'intérêt général, le moyen politique, mais il y en a d'autres.

L'État se montre en

55. Condition des associations. général beaucoup moins libéral envers les associations qu'envers les individus, il leur reconnaît moins de droits. Comme leur action est plus puissante que celle des individus isolés, à cause surtout des richesses qu'elles accumulent, et que cependant elles poursuivent souvent des buts individuels, il redoute avec quelque raison qu'elles ne lui soient nuisibles. Il ne leur reconnaît pas de droits politiques. On pourrait imaginer cependant telle constitution où les associations ou corporations auraient des droits politiques. Sous l'ancien régime, les corporations avaient des privilèges, et dans quelques pays modernes certaines d'entre elles ont des droits électoraux (Espagne, élection du Sénat). L'État ne reconnaît même pas aux associations toutes les libertés qu'elles pourraient avoir, pas même complètement la liberté de l'être. S'il reconnaissait ces libertés, voici en un tableau idéal quelle serait la situation:

1o Les associations se formeraient librement;

2o Une fois formées, elles auraient de plein droit la personnalité civile et la jouissance de tous les droits qui peuvent leur être nécessaires pour atteindre leur but particulier; elles pourraient, par exemple, au moins les sociétés désintéressées, acquérir librement à titre gratuit meubles et immeubles;

3o Comme, parmi les associations, il y en a qui poursuivent des buts d'intérêt général et qui en cela travaillent dans le même sens que l'État, quoique en dehors de lui, on comprendrait qu'une entente s'établit entre les plus utiles de ces associations et l'État. Une

sorte de traité d'alliance se conclurait qui, sans faire de l'association une personne morale publique, c'est-à-dire un membre d'État, la mettrait dans une situation intermédiaire en lui assurant des avantages particuliers. Cette situation serait celle qu'occupent déjà la Banque de France, le Comptoir d'Escompte, le Crédit Foncier, qui tout en étant dans leur fond des sociétés privées et même commerciales, sont cependant liées à l'État par des traités qui leur assurent à elles des privilèges, et assurent à l'État un contrôle sur leur direction. Ces associations, intermédiaire nécessaire entre les personnes morales privées et les personnes morales publiques, seraient le signe de la collaboration qui doit exister entre l'État et les particuliers dans l'œuvre de l'intérêt général. Elles seraient peut-être destinées à devenir plus tard des établissements publics; en attendant on les appellerait établissements d'utilité publique.

Cette législation idéale est loin de la législation positive dont voici les principales dispositions:

1o Les associations ne se forment pas toutes librement. (V. suprà p. 154).

2o Une fois les associations formées, elles n'ont pas de plein droit la personnalité juridique.

La loi a reconnu en bloc et d'avance la personnalité d'associations appartenant à certaines catégories: sociétés commerciales, syndicats professionnels; pour les autres, la reconnaissance de la personnalité résulte d'un acte tout gracieux de la part de l'État, qui intervient à titre individuel, et qu'on appelle reconnaissance d'utilité publique. La jouissance des droits s'en suit normalement.

3o La classe des établissements d'utilité publique existe bien, il y a même beaucoup d'établissements de ce genre, seulement la notion en a été faussée. Au lieu de comprendre toutes les associations qui rendent des services importants et de ne comprendre que celles-là, elle comprend des associations dont les services sont minuscules, comme certaines petites sociétés d'antiquaires, et à l'inverse, elle ne comprend pas des établissements de première importance, comme la Banque de France ou le Crédit foncier. La raison de cette anomalie est que la classe des établissements d'utilité publique comprend toutes les associations qui ont eu besoin, pour arriver à la personnalité juridique, de demander la reconnaissance d'utilité publique, parce que c'était le seul moyen, et qu'elle ne comprend que celles-là. Or, la Banque de France, le Crédit foncier, étant sociétés commerciales, avaient de plein droit la personnalité juridique. L'utilité publique, au grand détriment de la méthode, est ainsi devenue une pure fiction destinée à faire acquérir la personnalité.

Il est clair que dans ce système actuel, dont on peut expliquer historiquement la formation, il y a quelque chose de boiteux, tant au point de vue de la concession de la personnalité juridique, qu'au point de vue de la formation même des associations: 1° Pour la question de la personnalité, le droit romain et notre ancien droit étaient plus logiques, ils n'admettaient pas la formation de l'association sans autorisation, mais une fois formée, ils reconnaissaient que la personnalité en découlait. Ce serait un progrès de revenir à cette idée simple. La loi a toute intérêt à reconnaître ce qu'elle ne peut pas empêcher. La suppression de la personnalité juridique n'a pas empêché les associations de fonctionner ni d'amasser des richesses, elle n'a fait que créer des complications juridiques; 2° Non seulement il faut reconnaître la personnalité des associations formées, mais encore il faut les laisser librement se former; ici encore la répression est impuissante, l'association que l'on empêche de se former au grand jour se forme secrètement. Le vrai péril des associations consistant dans l'accumulation en leurs mains de biens et de richesses, dans ce qu'on appelle les biens de mainmorte, la vraie mesure de précaution pour l'État est de prévenir cette accumulation, soit par des incapacité d'acquérir, soit par des droits fiscaux bien combinés.

SECTION III. LIBRE JOUISSANCE OU LIBRE PROPRIÉTÉ
INDIVIDUELLE.

56. Inviolabilité de la propriété mobilière et immobilière. Déclaration des droits de l'homme, art. 17: « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique légalement constatée l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. >>

Il s'agit de la propriété individuelle. Lorsque la Constituante la proclame un droit sacré, elle est dans le vrai au point de vue de l'évolution historique. La propriété collective est une institution des temps primitifs; le progrès social est lié à l'extension de la propriété individuelle. Cela n'a rien de surprenant; le progrès social est dans le développement de la solidarité mais de la solidarité d'ètres libres, il suppose donc le développement de l'autonomie de l'individu; or la propriété individuelle est la condition même de cette autonomie. Le désir de la propriété est le stimulant puissant de l'activité individuelle, la propriété acquise est la garantie de l'indépendance individuelle.

Les réformes sociales devront toujours tenir compte de cette vérité

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