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De plus, le contentieux administratif a pour résultat de dépouiller en partie l'État de son aspect de puissance publique en l'amenant devant un juge; et ce fait est, au point de vue des progrès du droit, d'une très grande valeur : il fait apparaître d'une façon sensible aux yeux de tous, que l'État peut être soumis à des règles de droit analogues à celles auxquelles sont soumis les particuliers, puisqu'il est astreint comme eux à un juge. Aussi est-ce par le contentieux que le droit administratif s'est formé, et, plus que tous les autres droits, celuilà sort-il de la procédure.

Dans les pays où le contentieux administratif n'est pas développé, il peut y avoir de bonnes pratiques d'administration, mais il n'y a pas de droit administratif. Le contentieux administratif remonte jusqu'au droit romain, et sous l'ancien régime, à la veille de la Révolution, il était très considérable.

L'étude du contentieux administratif doit logiquement comprendre les trois objets suivants :

1o Les actions ou recours; 2o les juridictions et la compétence; 3° la procédure.

CHAPITRE PREMIER

LES ACTIONS OU RECOURS

540. Le contentieux administratif doit se préoccuper des actions ou recours intentés par les particuliers contre les personnes administratives ou contre leurs actes, c'est-à-dire, des actions intentées par les particuliers à titre de demandeur; mais il doit se préoccuper aussi des actions intentées par les personnes administratives à titre de demandeur, car les personnes administratives peuvent, elles aussi, avoir des droits à faire valoir contre les particuliers, ou bien l'une contre l'autre.

A la vérité, vis-à-vis des particuliers, les personnes administratives sont rarement demandeur; en général, c'est le particulier qui est obligé d'attaquer. Cela tient à ce que les personnes administratives ont un certain nombre de droits de puissance publique, grâce auxquels, dans la plupart des cas, elles réalisent leur droit extrajudiciairement jusqu'à l'extrême limite, et mettent leur adversaire dans la nécessité d'attaquer. Il est clair, par exemple, que quand l'État procède lui-même à la délimitation de son domaine public, il met le voisin qui se croit lésé dans l'obligation de prendre le rôle de demandeur. De même, quand l'État liquide lui-même ses dettes envers ses fournisseurs. Cela n'empêche pas cependant, que quelquefois l'État et les autres personnes administratives ne soient obligés de se porter demandeur.

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DES ACTIONS OU RECOURS INTENTÉS PAR LES PARTICULIERS

Des cas où le particulier peut attaquer.

541. De la façon de créer le contentieux. — Un particulier lésé par l'administration ne peut pas toujours attaquer, il faut qu'il y ait, suivant l'expression consacrée, droit litigieux ou contentieux créé.

Or, la question de savoir quand il y a contentieux créé est délicate. Il faut distinguer suivant que la personne administrative a agi à itre de puissance publique où à titre de personne privée.

a) Cas où la personne administrative agit à titre de puissance publique. Dans cette hypothèse, il faut partir de cette idée fondamentale, que le particulier attaque beaucoup moins une personne administrative qu'un acte d'administration par lequel il a été lésé. Ce qu'il intente, c'est un recours contre l'acte, bien plutôt qu'une action contre la personne. Sans doute, en cours d'instance, la personne administrative sera mise en cause, mais au début, c'est l'acte lui-même qui est poursuivi. On dirait que la personne administrative ne veut pas s'engager tout entière dans la défense de son acte.

La conséquence est que toutes les fois qu'une personne administrative agit à titre de puissance publique, le contentieux, en principe, ne peut être créé que par un acte d'administration.

Il faut donc que le particulier puisse citer l'acte d'administration par lequel il a été lésé, c'est-à-dire une décision exécutoire prise par une autorité administrative et à lui opposable.

Il est des cas où cet acte d'administration sera intervenu spontanément, sur l'initiative de l'administration elle-même, par exemple, dans l'hypothèse d'un décret de délimitation du domaine public, d'un décret liquidant la pension d'un fonctionnaire, mais il est d'autres cas où le particulier sera obligé de provoquer l'acte d'administration pour créer le contentieux.

Cela peut arriver à l'occasion de l'exécution des opérations de puissance publique, notamment des marchés de travaux publics ou des marchés de fournitures de l'État. L'entrepreneur ou le fournisseur peut s'apercevoir, en cours d'exécution du marché, qu'il est lésé par les agissements d'un fonctionnaire inférieur sans pourvoirs propres, agissements qui ne constituent pas des actes d'administration au sens juridique du mot. Il est obligé alors de former devant le ministre un recours gracieux, afin de provoquer une décision sur recours gracieux, qui, elle, sera un acte d'administration, et qui pourra être attaquée par la voie contentieuse. Il créera donc le contentieux en employant la voie préalable du recours gracieux '.

1. On pourrait voir une contradiction apparente entre la règle que nous formulons ici, et d'où il résulte que quelquefois le recours gracieux est le préalable obligé du recours contentieux, avec une autre règle que nous avons formulée, p. 210, et d'où il résulte au contraire que le recours gracieux n'est pas le préalable obligé du recours contentieux.

:

Les hypothèses sont complètement différentes ici il n'y a pas de décision administrative et il s'agit d'en provoquer une, le recours gracieux est le seul moyen. A la page 210, nous nous placions dans l'hypothèse où il y a déjà une décision d'une autorité administrative inférieure, et la doctrine de l'arrêt Bansais, que nous reproduisions, décide qu'il n'y a pas lieu alors de passer

Cette obligation se trouve inscrite dans le cahier des clauses et conditions générales des ponts et chaussées, art. 51. Elle est reproduite dans tous les autres cahiers pour tous les travaux publics de l'État, et s'applique par conséquent aux réclamations formulées par l'entrepreneur.

Il en est de même pour les marchés de fournitures 'de l'État, les réclamations du fournisseur doivent être d'abord soumises au ministre avant d'être portées au Conseil d'État.

Il faut voir dans cette règle un privilège de plus qui appartient aux personnes administratives agissant à titre de puissance publique ; cette nécessité où la partie lésée est de provoquer une décision, permet à l'administration supérieure d'étudier l'affaire, elle entraîne des délais et des lenteurs qui peuvent être fort utiles. Pendant longtemps même, il fut admis qu'il suffisait au ministre de ne pas répondre au recours gracieux, pour empêcher indéfiniment la partie de former son recours contentieux. Cet abus n'est plus possible depuis la disposition du décret du 2 novembre 1864, qui assimile à une décision de rejet le silence gardé par le ministre pendant quatre mois depuis la réception du recours. Il n'en est pas moins vrai qu'il y a là un privilège exorbitant du droit commun, qui doit être restreint autant que possible. Dans les marchés de travaux publics, il s'impose aux entrepreneurs parce qu'il est expressément stipulé au cahier des charges, mais on ne saurait admettre qu'il soit opposable aux tiers qui se trouveraient lésés par une opération de travaux publics sans avoir traité avec l'administration. Par exemple, dans l'hypothèse de dommages permanents causés à la propriété, le propriétaire lésé peut de plano poursuivre la personne administrative devant le conseil de préfecture.

b) Cas où la personne administrative agit à titre de personne privée. Dans cette hypothèse, la personne administrative peut être actionnée directement elle-même; ce n'est pas un recours contre l'acte qu'on intente, mais une action ordinaire contre la personne; il n'est donc point besoin de provoquer d'acte d'administration.

Cela se présente dans les contestations sur la propriété ou sur la possession, quand il s'agit du domaine privé.

Cela se présente aussi pour l'exécution de ceux des contrats qui sont opérations de personne privée.

Et cependant, même dans ces cas, nous allons voir un peu plus loin que la personne administrative doit être prévenue de l'action intentée, par le dépôt préable d'un mémoire.

par l'intermédiaire d'une décision ministérielle, puisqu'il y a déjà une décision. La conciliation est donc facile.

No 1. Des recours contentieux contre l'acte.

542. Ces recours sont au nombre de deux, le recours contentieux ordinaire, et le recours pour excès de pouvoir.

a) Le recours contentieux ordinaire est une action qui donne au juge un pouvoir de pleine juridiction, qui lui soumet en entier la situation créée par la décision incriminée, lui permet d'annuler ou réformer la décision et de statuer sur les conséquences, notamment de condamner à des dommages-intérêts.

Le recours contentieux ordinaire répond à la situation suivante : un droit a été violé par l'administration, mais ce droit n'est pas quelconque, il avait été reconnu par la loi aux citoyens justement à l'occasion de l'opération administrative au cours de laquelle il a été violé. Par exemple, en matière d'impôts directs où il existe des recours contentieux, le droit reconnu aux citoyens par la loi et qui peut avoir été violé est le droit de ne pas être imposé à tort ni surtaxé ; en matière de pensions civiles où il y a également des recours contentieux une fois que le fonctionnaire a été admis à faire valoir ses droits à la retraite, le droit reconnu au fonctionnaire est le droit à une pension liquidée suivant certaines règles, etc... Il y a donc corrélation intime entre le droit violé et l'acte qui le viole. Aussi qualifie-t-on souvent de décisions administratives contentieuses, les actes d'administration qui interviennent en de pareilles matières; ces décisions sont contentieuses en ce sens qu'elles se heurtent sûrement à des droits, qu'un contentieux peut sûrement en naître, que si le recours ne réussit pas toujours, dans tous les cas il est toujours recevable.

b) Le recours pour excès de pouvoir est une voie de nullité spéciale qui donne seulement au juge un pouvoir d'annulation de l'acte, sans lui donner le pouvoir de réformer, ni de statuer sur les conséquences de l'annulation.

Le recours pour excès de pouvoir, qui, depuis le D. 2 nov. 1864, a absorbé tout le contentieux de l'annulation, répond à deux situations bien différentes de la précédente et bien différentes entre elles :

1o Un droit reconnu par une loi ou un règlement a été violé, mais ce droit n'avait aucune corrélation avec l'acte d'administration par lequel il a été violé; c'est un droit individuel quelconque. Voici par exemple une opération de délimitation du rivage de la mer; aucun texte de loi spécial n'a protégé les riverains contre les emprises de terrain que le décret de délimitation peut entraîner, aucun droit spécial ne leur est reconnu; par suite, aucun recours contentieux ordinaire contre le décret ; mais le droit de propriété d'une façon générale est

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