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celle-ci : « Plus le service rendu par l'État à l'individu est important, moins l'individu peut l'exiger ». Ainsi il n'est guère de service plus important que celui de la défense contre les faits de guerre. C'est peut-être la nécessité de la défense militaire qui a été la plus grande cause historique de la formation des États. Et cependant l'individu n'a pas d'action juridique pour se faire protéger par les armes. Il n'a pas non plus de moyens juridiques pour se faire indemniser des préjudices qu'il a soufferts, lorsqu'il n'a pas été défendu soit dans sa personne, soit dans ses biens. Il y a eu des lois d'indemnité dans plusieurs hypothèses, mais elles ont toujours protesté que c'était pure gracieuseté de la part de l'État. Au contraire, prenons un service important sans doute, mais enfin très secondaire, celui des postes. Nul doute qu'on n'ait, dans de nombreux cas, le moyen de faire valoir son droit, il y a des textes.

La formule donnée, bien que d'apparence paradoxale, est donc exacte. Bien mieux, elle se justifie, non pas comme on l'a dit, parce que quand il s'agit de remplir les services très importants, c'est la souveraineté de l'État qui est en jeu, ou tout au moins la puissance publique; ce sont un peu des mots; mais parce que l'État ne peut pas toujours rendre ces services sans s'exposer lui-même à de grands périls extérieurs ou intérieurs, périls de guerre ou périls de politique. Si l'existence, ou simplement la tranquillité de l'État sont mises en jeu, on comprend que l'intérêt particulier doive être sacrifié. Dans ces limites la formule est juste, voyons comment elle est appliquée. L'État rend aux individus trois grands services: législation, justice, administration.

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Législation. Pas de moyen juridique pour les particuliers qui attendent une loi, rien que le droit de pétition; c'est raisonnable, la loi a une telle répercussion sur le corps social tout entier, que l'État doit être maître de choisir son heure.

Justice. Ici le droit des particuliers est en partie sauvegardé. Toutes les fois que l'individu lui-même peut introduire l'instance, mettre en mouvement l'action, le juge est obligé de juger sous peine de déni de justice. Mais quand l'action publique est réservée au ministère public, pas de moyen sûr de le forcer à agir, ce qui est regrettable. Quant aux erreurs judiciaires, pas de moyen de réparation, ce qui est également très regrettable.

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Administration.z. Services de police. Défense contre les faits de guerre; nous avons déjà vu la solution.

mais l'agent le sera. Si la faute a été légère, l'agent ne sera plus responsable, mais l'État le sera. Seulement, jamais les deux ne seront responsables å la fois.

Défense contre les dangers intérieurs par les mesures de police. Mesures contre les attentats à la personne, contre les attentats à la propriété. Mesures d'hygiène et de salubrité, etc. La règle ici encore est l'irresponsabilité de l'État. Les règlements de police peuvent être insuffisants, imprudents, ne pas prévoir les accidents ou même les provoquer. Les agents de la police peuvent refuser leur protection ou même l'exercer d'une façon maladroite, la responsabilité de l'État n'est pas engagée. La législation n'est pas la même pour les communes, nous allons le voir. On justifie cette irresponsabilité de l'État en disant que les mesures de police sont des actes de la puissance publique. C'est une pure tautologie. Il faut dire plutôt que l'ordre étant quelque chose de très collectif, l'État doit être libre de le maintenir à sa guise sur tel ou tel point. Cependant il n'est pas démontré qu'il n'y ait pas de progrès à accomplir du côté de la responsabilité.

B. Services domaniaux. — Ce sont tous les services qui ont un contre-coup direct dans le patrimoine de l'État, que l'État accomplit en gérant son propre patrimoine. Dans ces matières, la responsabilité est beaucoup plus largement admise.

D'abord pour la gestion du patrimoine privé, ce qui va de soi, l'État étant assimilé alors à un simple particulier; la règle s'applique aux chemins de fer de l'État (L. 15 juillet 1845, art. 22).

Même pour la gestion du patrimoine public, pour certaines matières où il y a des lois spéciales. Ainsi pour les postes (L. 24 juillet 1793, art. 37; 5 nivôse an V, art. 14 et 15). Pour les télégraphes (L. 29 novembre 1850; 4 juillet 1868; décret 25 mai 1870). Tantôt ces lois stipulent qu'il n'y a pas responsabilité du tout (lettres et télégrammes ordinaires), tantôt elles fixent à forfait le montant de l'indemnité (lettres et objets recommandés), tantôt elles fixent l'indemnité au montant des valeurs perdues (valeurs déclarées et mandats télégraphiques), etc. En dehors des matières où il y a des textes, le conseil d'État reconnaît la responsabilité pécuniaire de l'État, à la condition toujours qu'il n'y ait pas de fonctionnaire ayant commis de faute personnelle. Cette responsabilité a été appliquée en matière maritime en cas d'accidents arrivés par la faute d'officiers du port; en matière d'exercices militaires mal réglés; en matière d'abordages causés par les navires de l'État (l'art. 407 C. com. est applicable); d'accidents survenus dans les ateliers ou manufactures de l'État; d'accidents occasionnés aux personnes par des travaux publics. Dans ces matières, la juridiction compétente est tantôt la juridiction ordinaire, tantôt la juridiction administrative; notamment, dans la dernière hypothèse, on assimile aux dommages causés aux propriétés et on attribue compétence au conseil de préfecture.

c) Dommages causés par l'exercice d'un droit de puissance publique. Renvoi au no 298.

13. II. Poursuites directes contre les communes.

Responsabilité civile des communes. a) Cas de faute précise d'un agent. Ici le conseil d'État, écartant les restrictions qu'on accumule quand il s'agit de l'État, déclare que l'art. 1384 du Code civil est pleinement applicable (Arr. 7 mars 1874). Il en résulte que la compétence judiciaire est de règle à moins qu'il n'y ait un acte administratif à interpréter. Il devrait en résulter aussi la responsabilité pour les fautes personnelles de l'agent, aussi bien que pour ses fautes administratives, mais il y a tendance en ce point à établir la même règle que pour l'État.

ments.

b) Cas de service mal assuré, dommages causés par les attroupeLa commune est responsable en principe lorsque ses services municipaux sont mal assurés par la faute de son maire et de son conseil municipal. Ainsi il a été décidé que les mesures de police prises au moment d'un incendie en vue d'organiser des secours engagent la responsabilité de la commune (Cass. 15 janvier 1866, 3 janvier 1883). De même, le défaut de barrières autour d'une tranchée (Cass. 15 février 1868). Le défaut de précautions à propos d'un feu d'artifice (Paris, 15 juillet 1891).

Le cas le plus saillant de responsabilité civile de la commune est celui qui est prévu par les art. 106 et suivants de la loi municipale substitués aux dispositions de la loi du 10 vendémiaire an IV, c'est la responsabilité en cas de dommages causés par des attroupements. <«< Les communes sont civilement responsables des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis à force ouverte ou par violence sur leur territoire par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit envers les personnes, soit contre les propriétés publiques ou privées. Les dommages, dont la commune est responsable, sont répartis entre tous les habitants domiciliés dans ladite commune, en vertu d'un rôle spécial comprenant les quatre contributions directes » (Art. 106. L. 5 avril 1884).

a) Conditions de la responsabilité. 10 Dégâts et dommages, même moraux, pourvu qu'ils soient appréciables, envers les personnes ou les propriétés publiques et privées, résultant de crimes ou délits commis à force ouverte ou par violence; 2o sur le territoire de la commune ; 3° par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés. Il s'agit de dégâts causés par des mouvements spontanés de la population; si celle-ci est dirigée par les autorités, c'est une autre question. Peu importe le motif du mouvement; aurait-il un motif politique, cela ne décharge pas

la commune de sa responsabilité, et c'est le bon moyen d'arrêter dès le début les émeutes; 4o si les attroupements ou rassemblements ont été formés d'habitants de plusieurs communes, chacune d'elles est responsable des dégâts et dommages causés, dans la proportion qui sera fixée par les tribunaux (art. 107).

Dans ce cas, une commune peut être responsable de dégâts qui n'ont pas été commis sur son territoire. Il y a solidarité.

B) Nature de la responsabilité. Responsabilité purement pécuniaire, fixée par les tribunaux, à moins qu'il n'y ait transaction, car la transaction est reconnue possible par la majorité des auteurs. La somme est recouvrée sur tous les habitants domiciliés, en vertu d'un rôle spécial comprenant les quatre contributions directes. Chaque cotisation est recouvrable en une fois.

Y) Durée de la responsabilité.

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L'action en responsabilité contre la commune est liée, quant à sa durée, aux actions criminelles ou correctionnelles dirigées contre les auteurs des crimes ou des délits; par conséquent, prescription de trois ou de dix ans.

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8) Compétence. Les tribunaux civils sont compétents.

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e) Exception au principe de la responsabilité. « Les dispositions des art. 106 et 107 ne sont pas applicables: 1° lorsque la commune peut prouver que toutes les mesures qui étaient en son pouvoir ont été prises, à l'effet de prévenir les attroupements ou rassemblements et d'en faire connaître les auteurs; 2o dans les communes où la municipalité n'a pas la disposition de la police locale ou de la force armée ; 3° lorsque les dommages causés sont le résultat d'un fait de guerre » (Art. 108).

Ces trois exceptions sont fondées sur la même idée que là où il n'y a pas faute de la commune, il ne saurait y avoir responsabilité.

« La commune déclarée responsable peut exercer son recours contre les auteurs ou complices du désordre » (Art. 109).

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DES ÉVÉNEMENTS QUI SUSPENDENT OU PARALYSENT LES
GARANTIES DES DROITS INDIVIDUELS

Ces événements sont au nombre de trois principaux d'une valeur bien inégale : 1° l'ouverture d'une instruction criminelle; 2o certaines nécessités de gouvernement.; 3° l'état de siège.

14. A. Ouverture d'une instruction criminelle. L'instruction préparatoire d'un crime ne peut pas être faite sans que quelques libertés individuelles ne soient violées. Arrestation provisoire de la personne, violation du domicile, perquisitions, saisies, non seulement chez le délinquant, mais chez des tiers, violation du secret

1. Paris et Lyon sont d'une façon permanente dans cette situation; les autres communes peuvent s'y trouver temporairement en cas d'état de siège.

des lettres, toutes ces mesures deviennent légitimes. Il faut bien s'y résigner, mais à la condition qu'elles se rattachent réellement à une instruction ouverte, et qu'elles soient faites suivant les formes judiciaires.

Ces conditions sont réalisées, lorsque l'instruction est dirigée selon la voie normale par le juge d'instruction sur la réquisition écrite du ministère public. On est sûr, ici, que l'acte violateur du droit se rattache à une instruction, car on a la réquisition écrite du procureur nécessairement antérieure en date. La division des pouvoirs entre les deux hommes est d'ailleurs une garantie sérieuse. Malheureusement, il y a au Code d'instruction criminelle un certain article 10 qui, sous couvert d'instruction criminelle, permet à l'arbitraire administratif de s'exercer. Le préfet de police à Paris, et les préfets des départements peuvent, non seulement mettre en mouvement le juge d'instruction, mais se faire eux-mêmes juges d'instruction, et cela spontanément, sans que rien vienne révéler à l'examen à quel moment, à propos de quels crimes ils s'y sont résolus (Arrêt célèbre de cass. 21 mars 1853). Ils peuvent donc procéder par leurs agents, à des arrestations, à des perquisitions domiciliaires et à des saisies de papiers, à des violations de lettres, sauf plus tard, s'ils sont poursuivis pour ces faits, à invoquer une instruction criminelle. C'est une tentation dangereuse. L'art. 10 devrait disparaître. Le projet de réforme de l'instruction criminelle en maintient la disposition uniquement pour le préfet de police, c'est encore beaucoup.

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15. B. Certaines nécessités de gouvernement. Actes de gouvernement. a un certain nombre d'actes qui peuvent entraîner des violations de droits individuels, et qui ne donnent lieu à aucun recours, parce qu'ils se justifient par la raison d'État. La raison d'État est assimilable ici à un cas de force majeure, elle détruit la responsabilité.

Si des poursuites sont exercées ou des recours intentés à l'occasion de ces actes, ils seront arrêtés par la procédure du conflit. Et ici le conflit sera élevé, chose remarquable, non seulement devant les tribunaux judiciaires, mais encore devant les tribunaux administratifs. L'acte doit échapper à toute juridiction.

C'est à cette hypothèse qu'est relatifl'art. 26 de la loi du 24 mai 1872: « Les ministres ont le droit de revendiquer devant le tribunal des conflits les affaires portées à la section du contentieux administratif, etc. » (V. déjà art. 47, L. 3 mars 1849). La liste des actes de gouvernement sera donnée en droit administratif, à propos des actes d'administration (V. infrà, no 71).

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