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PREFACE

DE LA QUATRIÈME ÉDITION

Voici, en dix ans, la quatrième édition de ce livre. D'édition en édition, il s'est peu à peu complété. Cette fois encore je ne l'ai pas seulement soumis à la révision qu'exigeaient les faits nouveaux et la littérature la plus récente. Certaines théories, comme celle de la représentation proportionnelle, ont passé de la seconde partie à la première, où se trouve leur place naturelle. J'ai repris certaines questions, particulièrement le droit de suffrage politique et le fonctionnement actuel du gouvernement parlementaire en Angleterre et en France. Les nations étrangères, sur lesquelles le lecteur trouvera surtout des détails nouveaux, sont les ÉtatsUnis et la Suisse.

La table analytique des deux éditions précédentes avait été dressée par M. Delpech, aujourd'hui professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université d'Aix-Marseille. Celle de la présente édition est due à M. Martini, avocat.

Paris, le 27 mai 1906.

OF THE

UNIVERSITY

OF

CALIFORNIA

INTRODUCTION

Le droit constitutionnel est, dans les pays civilisés, la partie fondamentale du droit public; toutes les autres branches de ce droit en supposent l'existence; le droit privé la suppose aussi, lorsqu'il se présente sous la forme de la loi écrite.

Le droit constitutionnel a un triple objet. Il détermine: 1o la forme de l'État; 2° la forme et les organes du gouvernement; 3o les limites des droits de l'État.

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L'État est la personnification juridique d'une nation : c'est le sujet et le support de l'autorité publique.

Ce qui constitue en droit une nation, c'est l'existence, dans cette société d'hommes, d'une autorité supérieure aux volontés individuelles. Cette autorité, qui naturellement ne reconnaît point de puissance supérieure ou concurrente quant aux rapports qu'elle régit, s'appelle la souveraineté. Elle a deux faces: la souveraineté intérieure, ou le droit de commander à tous les citoyens composant la nation, et même à tous ceux qui résident sur le territoire national; la souveraineté extérieure, ou le droit de représenter la nation et de l'engager dans ses rapports avec les autres nations.

Le fondement même du droit public consiste en ce qu'il donne à la souveraineté, en dehors et au-dessus des personnes qui l'exercent à tel ou tel moment, un sujet ou titulaire idéal et per

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manent, qui personnifie la nation entière : cette personne morale, c'est l'État, qui se confond ainsi avec la souveraineté ', celle-ci étant sa qualité essentielle. Mais cette abstraction puissante et féconde est un produit lentement dégagé de la civilisation: souvent et longtemps les hommes ont confondu la souveraineté avec le chef ou l'assemblée qui l'exerçait. Cependant l'antiquité classique s'était élevée déjà à la véritable conception de l'État ; les Romains en particulier, grâce peut-être au génie juridique qui les distingue, semblent l'avoir dégagée de très bonne heure et presque d'instinct'. Mais dans la décomposition lente, qui produisit la société féodale, cette idée disparut, subit une longue éclipse, et c'est par une nouvelle élaboration qu'elle a repris sa place dans le droit moderne3.

L'État est aussi la traduction juridique de l'idée de patrie : il résume tous les devoirs et tous les droits qui s'y rattachent. On ne saurait même établir autrement un rapport direct et précis entre le citoyen et sa patrie, sauf dans une monarchie absolue, où la patrie s'incarne et s'absorbe en quelque sorte dans le monarque.

L'État suppose nécessairement un territoire déterminé dans les limites duquel il exerce son autorité, à l'exclusion de toute autre, sur les personnes et sur les choses. Dans les monarchies issues de la féodalité occidentale, la souveraineté a même commencé par être exclusivement territoriale, dérivant du droit que le monarque avait sur le territoire et atteignait directement tous ceux qui l'habitaient. C'est l'idée que traduisait le titre : roi de France, roi d'Angleterre. Même là où, comme chez nous, la souveraineté est devenue nationale, sur les parties du territoire où tous les habitants n'ont pas acquis la qualité et les droits de citoyens français, la souveraineté territoriale produit intégralement ses anciens effets. C'est ainsi que dans certaines de nos colonies nous avons des sujets français à côté de citoyens français*.

De cette conception découlent deux conséquences capitales. 1° L'autorité publique, la souveraineté ne doit jamais être exer

1 Loyseau, Traité des seigneuries, ch. 11, no 6 : « La souveraineté est la forme qui donne l'estre à l'Estat, même l'Estat et la souveraineté prise in concreto sont synonymes: et l'Estat est ainsi appelé pour ce que la souveraineté est le comble et période de la puissance, où il faut que l'Estat s'arreste et establisse ». 2 Mommsen, Le droit public romain, trad. Girard, t. VI, 1 partie, p. 341 et suiv.

3 Sur ce point, voyez Gierke, Johannes Althusius und die Entwickelung der naturrechtlichen Staatstheorien, 1880, p. 135, 189 et suiv.

Sénatusconsulte du 14 juillet 1865. Voyez Arthur Girault, Principes de colonisation et de législation coloniale, 3e édit., t. I, p. 295 et suiv.

cée que dans l'intérêt de tous : c'est ce qu'on atteste en lui donnant pour sujet une personne fictive, distincte de tous les individus qui composent la nation, distincte des magistrats et des chefs aussi bien que des simples citoyens.

2o L'État, de sa nature, est perpétuel et son existence juridique n'admet aucune discontinuité. Personnifiant la nation, il est destiné à durer autant que la nation elle-même. Sans doute la forme de l'État, les personnes réelles en qui la souveraineté s'incarne momentanément, peuvent changer avec le temps et par l'effet des révolutions. Mais cela n'altère pas l'essence même de l'État, cela ne rompt pas la continuité de son existence, pas plus que la vie nationale ne se fractionne ou ne s'interrompt par le renouvellement des générations successives. De cette perpétuité découlent un certain nombre de conséquences secondaires'.

a) Les traités qui ont été conclus avec les puissances étrangères au nom de l'État, alors que celui-ci avait une certaine forme, demeurent valables et obligatoires, malgré les changements de forme qui peuvent l'affecter dans la suite.

b) Les lois, régulièrement édictées et promulguées au nom de l'État, sous une forme d'État déterminée, restent en vigueur, alors même que cette forme d'État vient à changer, à moins qu'elles ne soient abrogées ou qu'elles soient inconciliables avec les lois nouvelles, ce qui équivaut à une abrogation2. C'est ainsi qu'on appli

1 Au xvi siècle encore, dans l'ancienne monarchie française, on considérait que la souveraineté était fragmentaire, cessant et s'interrompant à la mort du roi, qui en était le titulaire et avec lequel elle se confondait. De là, on tirait trois séries de conséquences directement inverses de celles qui sont indiquées au texte comme découlant de la perpétuité de l'État; mais on avait déjà, par divers détours, écarté dans la pratique les plus choquantes de ces conséquences. Voyez Bodin, Les six livres de la République, édition Genève, 1629, l. I, ch. vin, p. 131, 132; I. IV, ch. iv, p. 598, 601, 606; 1. III, ch. 1, p. 371, 385; 1. V, ch. vi, p. 327; 1. VI, ch. Iv, p. 959; 1. IV, ch. vii, p. 159. Bodin ne trouvait de souveraineté perpétuelle que dans la démocratie ou l'aristocratie, lorsqu'elle résidait dans le corps ou dans une classe de la nation, qui ne mourait jamais, l. I, ch. vii, p. 126. En ce qui concerne l'Angleterre, voyez mon étude: Une survivance qui disparaît (The demise of the Crown Act du 2 juillet 1901), dans les Annales des sciences politiques, 15 janvier 1903, p. 97.

On trouve pourtant des décisions constitutionnelles ou législatives, qui, lors d'un changement dans la forme de l'Etat, maintiennent expressément en vigueur les lois antérieures : Décret de la Convention des 21-22 septembre 1792; Constitution du 14 janvier 1852, art. 56. Mais on ne peut tirer de ces textes la conséquence qu'ils dérogent à un principe contraire. Dans la séance du 21 septembre 1792, lorsqu'un membre de la Convention, dont le Moniteur ne donne pas le nom, demanda que l'on décrétât « que toutes les lois non abrogées continueraient à être exécutées comme par le passé ». Chénier répondit : « Celles qui ne sont pas abrogées subsistent par le fait sans qu'il soit besoin d'aucune déclaration». Prieur ajouta : « La conservation provisoire des autorités et des lois actuellement existantes est sans doute de droit; mais il faut garantir les dépar

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