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des deux Conseils. Pour être électeur du second degré, il fallait, comme en 1791, avoir vingt-cinq ans et justifier d'une certaine propriété, usufruit, fermage ou loyer (art. 35). Somme toute, c'était le système électoral de l'Assemblée constituante qui, avec quelques retouches plus apparentes que réelles, avait été repris par la Constitution de l'an III, et, sauf l'interruption produite en 1793, le droit électoral de la Révolution présentait jusque-là une même suite d'idées.

Avec le 18 Brumaire et le Consulat il allait prendre une direction nouvelle. Elle lui fut donnée, on le sait, par deux hommes: Siéyès, pour la théorie, et Napoléon, pour la pratique. Cette phase, d'ailleurs, comme toujours en histoire, se relie étroitement à la précédente et s'explique par elle. Depuis 1789 le grand ressort politique avait été le principe électif; on l'avait introduit partout, non seulement dans le gouvernement, mais aussi dans l'administration, dans l'organisation judiciaire, et momentanément même dans l'armée. Dans la lutte ardente des partis, il avait été bientôt faussé et énervé, et, par une réaction presque fatale, il allait maintenant faire place à l'action d'un pouvoir exécutif indépendant et très fort, nommé d'abord à long terme, puis à titre héréditaire. Cependant, et cela en vertu même des lois de l'évolution, le principe électif subsistait en apparence, recouvrant, comme une simple étiquette, les formes du gouvernement, de même que le pouvoir exécutif paraissait tirer de lui son origine.

C'était le suffrage universel qui, cette fois, était établi à la base. Était, en effet, citoyen français, citoyen actif, d'après la Constitution du 22 frimaire an VIII (art. 2), tout homme né et résidant en France, qui, âgé de vingt et un ans accomplis, s'était fait inscrire sur le registre de son arrondissement communal et qui avait demeuré depuis un an sur le territoire de la République. Toute condition de cens ou de capacité était supprimée, et quant aux cas d'incapacité ou d'indignité qui faisaient perdre le droit électoral ou en suspendaient l'exercice (art. 4, 5), ils étaient reproduits de la Constitution de l'an III; « l'état de domestique à gages, attaché au service de la personne ou du ménage » figurait toujours sur la liste.

Mais ce large droit de suffrage à la base avait peu d'importance; il n'était que d'une apparence; car ces électeurs ne faisaient plus des élus, des députés. Ils ne nommaient même plus des électeurs du second degré; ils présentaient seulement des listes de candidats sur lesquels le Sénat ou le premier Consul faisait les choix

véritables et définitifs1. Ces présentations elles-mêmes étaient indirectes à plusieurs degrés, on plutôt résultaient d'une série de sélections graduées qu'opéraient successivement parmi leurs membres les diverses assemblées dites électorales. La Constitution décidait, en effet, art. 18 et suiv. : « Les citoyens de chaque arrondissement communal désignent par leurs suffrages ceux d'entre eux qu'ils croient les plus propres à gérer leurs affaires publiques. Il en résulte une liste de confiance, contenant un nombre de noms égal au dixième du nombre des citoyens ayant droit d'y coopérer. C'est dans cette première liste communale que doivent être pris les fonctionaires publics de l'arrondissement. - Les citoyens compris dans les listes communales d'un département désignent également un dixième d'entre eux. Il en résulte une seconde liste, dite départementale, dans laquelle doivent être pris les fonctionnaires publics du département. -Les citoyens portés dans la liste départementale désignent pareillement un dixième d'entre eux; il en résulte une troisième liste qui comprend les citoyens de ce département éligibles aux fonctions publiques nationales ». Toutes les listes, ainsi faites dans les départements, étaient adressées au Sénat, et réunies, formaient la liste nationale (art. 19). Le Sénat élisait sur cette liste (art. 20) les législateurs (membres du Corps législatif), les tribuns (membres du Tribunat), les consuls, les juges de cassation et les commissaires de la comptabilité 3. Tous les trois ans les listes étaient revisées par ceux qui avaient droit de coopérer à leur formation (art. 10 et suiv.); et ceux-ci non seulement comblaient alors les vides qui s'étaient produits, mais encore pouvaient rayer, à la majorité absolue, de la liste d'éligibles ceux qui y étaient précédemment portés. Dans cette combinaison harmoniquement construite, dans ces rouages si bien engrenés les uns aux autres, on reconnaît la main habile de Siéyès; on retrouve

1 Mémoires du chancelier Pasquier, t. I, p. 145 : « On fut également d'accord pour restreindre les élections populaires; on ne pouvait rien imaginer de mieux pour atteindre ce but que les assemblées primaires, les assemblées de canton, les collèges de département et d'arrondissement qui n'avaient d'autre pouvoir que de désigner des candidats entre lesquels choisissait le Sénat conservateur ».

2 Sauf pour les candidats aux fonctions publiques de l'arrondissement lui

même.

3 Pour le Sénat, la majorité en avait été nommée d'abord (art. 24) par Siéyès et Roger Ducos, ses premiers membres désignés par la Constitution elle-même et réunis aux trois Consuls. Il s'était ensuite complété par cooptation. A l'avenir il devait nommer ses membres sur une liste de trois noms présentés, l'un par le Corps législatif, l'autre par le Tribunat, le troisième par le premier Consul (art. 16); si le même candidat était présenté à la fois par ces trois autorités, le Sénat était tenu de l'admettre.

aussi ses conceptions si dénuées de sens pratique, dès qu'il s'agissait non de juger les hommes, mais de réglementer les institutions. En même temps on avait touché à l'extrême décadence du principe électif, au point le plus bas qu'il devait atteindre depuis 1789 jusqu'à nos jours'. Avec le Consulat à vie, il eut plutôt un léger relèvement. Dans le sénatus-consulte du 16 thermidor an X, Napoléon se garda bien de renoncer à ce qui faisait la force pratique du système, c'est-à-dire à la nomination par le Sénat des membres du Tribunat et du Corps législatif; mais il rejeta le procédé compliqué et presque puéril des listes de confiance et d'éligibilité superposées. Il ne rendit point l'élection aux citoyens actifs, mais il leur donna, avec mille précautions, un véritable droit de présentation.

Le sénatus-consulte du 16 thermidor an X organisait trois sortes d'assemblées électorales. Les unes, assemblées primaires de canton, comprenaient sans condition de cens tous les Français domiciliés dans le canton et qui y jouissaient des droits de citoyens : ces assemblées cantonales élisaient des collèges d'arrondissement et de département qui présentaient les candidats entre lesquels le Sénat devait choisir les membres des assemblées représentatives. En apparence, c'était le suffrage à deux degrés réduit au droit de présentation; en réalité, c'était un système différent, plus complexe et moins libéral encore.

En premier lieu, en effet, les membres élus par les assemblées cantonales pour composer les collèges électoraux d'arrondissement et de département étaient à vie (art. 20). Ils ne pouvaient être révoqués que dans des cas très rares, et aux trois quarts des voix (art. 21), par le collège cantonal dont ils faisaient partie. Le premier Consul pouvait leur adjoindre, suivant les cas, dix ou vingt membres (art. 27), pris par lui dans certaines catégories de citoyens. Enfin, les assemblées cantonales ne pouvaient choisir

Le système électoral établi par la Constitution de l'an VIII fonctionna à peine une fois. En effet, avant qu'aucune des listes de confiance ne fût dressée, dès les premiers jours de nivôse an VIII, le Sénat, formé le premier, nomma directement les membres du Tribunat et ceux du Corps législatif. Mais la Constitution décidait que le premier renouvellement du Tribunat et du Corps législatif (qui se renouvelaient l'un et l'autre par cinquième) aurait lieu en l'an X (art. 38); elle avait prescrit, d'autre part (art. 14), que les premières listes de confiance seraient formées au cours de l'an X. Il en résulta qu'en ventôse an X, le Sénat, procédant par voie d'élection, choisit les quatre cinquièmes des membres du Tribunat et du Corps législatif, les autorisant à continuer leurs fonctions; il élimina ainsi tous les autres et choisit sur la liste nationale ceux qui devaient les remplacer; voyez Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution française, t. XXVIII, p. 308, 397 et s.

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ceux qu'elles élisaient au collège électoral de département que parmi (art. 25) « les six cents citoyens plus imposés du département aux rôles des contributions foncières, mobilières et somptuaires, et aux rôles des patentes ».

Les collèges électoraux d'arrondissement et de département avaient des fonctions distinctes et des fonctions communes. Chaque collège d'arrondissement (art. 29) présentait à chaque réunion « deux citoyens pour faire partie de la liste sur laquelle devaient être pris les membres du Tribunat ». Chaque collège de dépar tement présentait, à chaque réunion (art. 31), « deux citoyens pour former la liste sur laquelle devaient être pris les membres du Sénat ». Enfin les collèges d'arrondissement et de département présentaient chacun (art. 32) « deux citoyens, domicilies dans le département, pour former la liste sur laquelle devaient être nommés les membres de la députation au Corps législatif »; et des précautions étaient prises pour empêcher qu'en s'entendant sur les mêmes candidats les divers collèges du département ne dictassent, presque à coup sûr, le choix du Sénat'.

Le premier Empire conserva ce système avec de très légères additions la plus importante consista en ce que les membres de la Légion d'honneur furent membres de droit, selon leur grade, des collèges électoraux d'arrondissement ou de département. Le Sénat qui continuait à élire les membres du Corps législatif et ceux du Tribunat (tant que le Tribunat subsista) était lui-même recruté d'une manière nouvelle. Outre les princes français et les grands dignitaires de l'Empire, il comprenait quatre-vingts mem

1 Entre le système électoral de l'an VIII et celui de l'an X il y avait, sur un point, une différence assez profonde quant à la composition du corps législatif. Étant donnée la base de la liste nationale, dans laquelle venaient se confondre les notables de tous les départements et sur laquelle le Sénat choisissait en principe librement, il n'y avait plus en réalité de représentation distincte des divers départements. Cela était absolument vrai pour le Tribunat; quant au Corps législatif, l'art. 31 de la Constitution de l'an VIII portait qu'il devait toujours s'y trouver un citoyen au moins de chaque département de la République ». Dans le système de l'an X, au contraire, les membres du Corps législatif sont répartis entre les départements à rafson de leur importance, et c'est seulement pour la nomination des députés du département que les collèges d'arrondissement et de département font des présentations. Dès lors le Corps législatif put prendre le nom qu'on lui donna dans la suite : Chambre des députés des départements. Voici d'ailleurs comment le définissait un article officiel, célèbre en son temps, inséré au Moniteur du 15 décembre 1808 : « Le Corps législatif, improprement appelé de ce nom, devrait être appelé Conseil législatif, puisqu'il n'a pas la faculté de faire des lois, n'en ayant pas la proposition. Le Conseil législatif est donc la réunion des mandataires des collèges électoraux. On les appelle députés des départements parce qu'ils sont nommés par les départements ».

2 Sénatus-consulte du 28 floréal an XII, art. 99.

bres représentant l'ancien fonds, nommés par le Sénat lui-même sur la présentation de candidats choisis par l'Empereur sur les listes formées par les collèges électoraux du département », et tous les citoyens que l'Empereur jugeait convenable d'élever à la dignité de sénateur1».

Tel fut le système électoral du Consulat et du premier Empire. Ce sont les circonstances historiques, les désillusions et l'indifférence quant à la liberté politique, qui lui ont permis de naître et de végéter; mais une autre cause, une cause première, contribua peut-être à ce résultat, à savoir le système de suffrage à deux degrés qu'avait établi l'Assemblée constituante et que la Convention avait repris en l'an III. Les électeurs du second degré formaient dans chaque département un véritable corps politique, et l'on s'habituait ainsi par avance à voir les représentants choisis par un autre corps que le corps électoral.

Avec la Restauration et par la Charte de 1814, une double transformation s'accomplit. D'un côté, le droit de suffrage politique fut restreint étroitement; d'autre part, il redevint effectif pour l'élection de la Chambre des députés. La comédie électorale, qui se jouait depuis l'an VIII, cessa: les électeurs élurent directement les députés. Cela n'était cependant point formellement dit dans la Charte. Mais cela fut décidé par la loi du 5 février 18173. Pour étre électeur il fallait, d'après la Charte (art. 40), payer un cens très élevé, une contribution directe de trois cents francs, et avoir trente ans d'âge. Le cens d'éligibilité était porté à mille francs de contribution directe (art. 39), et il fallait avoir quarante ans pour être élu député. Cependant, si dans un département il y avait moins de cinquante personnes de quarante ans payant cette contribution, les plus imposés après elles étaient ajoutés à la liste jusqu'au chiffre de cinquante (art. 40), et ils devenaient alors éligibles. C'était une nouvelle orientation du suffrage politique : on voulait le mettre exclusivement entre les mains des classes riches, et spécialement des grands propriétaires fonciers. La première

Ibidem, art. 57.

L'art. 35 disait simplement : « La Chambre des députés sera composée des députés élus par des collèges électoraux dont l'organisation sera déterminée par des lois ». L'art. 40 déterminait les électeurs censitaires « qui concourent à la nomination des députés ». Aussi la Restauration conserva-t-elle d'abord les collèges électoraux de l'Empire, en augmentant leurs pouvoirs les collèges d'arrondissement présentaient des candidats parmi lesquels les collèges de département élisaient les députés.

Art. 7: « Il n'y a dans chaque département qu'un seul collège électoral, il est composé de tous les électeurs du département dont il nomme directement les députés à la Chambre ».

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