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et de Cintré. C'est, on peut le dire, une loi naturelle chez les républiques qui succèdent à des monarchies. Le descendant, le membre quelconque d'une dynastie déchue, lorsqu'il brigue la première magistrature de la République, est légitimement soupçonné de n'aspirer au pouvoir exécutif que pour restaurer le trône qu'ont occupé ses aïeux. Il y a là une présomption légale des plus sages, bien que, comme toutes les présomptions, elle puisse parfois porter à faux.

VI.

Les Constitutions républicaines fixent en général le traitement des titulaires du pouvoir exécutif. Ainsi la Constitution de l'an III appliquait aux Directeurs (art. 173) le mode de calcul bizarre qu'elle avait adopté : « Le traitement de chacun d'eux est fixé, pour chaque année, à la valeur de cinquante mille myriagrammes de froment (dix mille deux cent vingt-deux quintaux)1». La Constitution de 1848 (art. 62) disait du Président : « Il est logé aux frais de la République et reçoit un traitement de six cent mille francs par an». Dans ces conditions ce traitement était constitutionnel il ne devait pas être augmenté, mais il ne pouvait pas surtout être diminué. Sans doute, conformément aux traditions de notre droit public, il devait être voté chaque année dans le budget annuel; mais le pouvoir législatif n'aurait pu refuser de le voter intégralement sans violer la Constitution.

D'autres Constitutions ont adopté un autre système. Elles ont laissé au législateur le soin de fixer le traitement du titulaire de l'exécutif, pensant qu'il n'était point sage de l'immobiliser dans une disposition constitutionnelle. Mais elles lui ont donné une certaine fixité en imposant au législateur l'obligation de l'arrêter pour une période plus ou moins longue. Ainsi, d'après la Constitution des États-Unis, le traitement du Président ne peut être ni augmenté ni diminué pendant la durée de ses fonctions'. De même, d'après le sénatus-consulte du 16 thermidor an X, « la loi

↑ L'art. 172 portait aussi : « Les membres du Directoire sont logés aux frais de l'État et dans un même édifice ».

Art. 2, sect. 1, clause 6: « Le Président, à des époques déterminées, recevra pour ses services une indemnité qui ne pourra être ni augmentée ni diminuée pendant la période pour laquelle il aura été élu, et il ne recevra aucun autre émolument des États-Unis ou d'aucun État particulier ». « Actuellement, dit M. Burgess (Political science, t. II, p. 244), cette indemnité,'telle qu'elle est fixée par la loi, est de 50.000 dollars par an, plus l'usage, comme résidence, de l'executive mansion et des meubles et fournitures qu'elle contient ».

fixait pour la vie de chaque premier consul l'état des dépenses du gouvernement» (art. 53).

Dans l'état actuel de notre droit, aucune disposition constitutionnelle ne fixe le traitement du Président de la République, et la détermination en est complètement laissée au pouvoir législatif; il n'y a pas même de loi générale sur ce point. Ce traitement est simplement inscrit dans la loi de finances annuelle: non seulement il doit être voté chaque année, mais légalement il peut être discuté lors du vote de chaque budget'. Le traitement proprement dit, ou dotation du Président, a été fixé à six cent mille francs par la loi de finances du 16 septembre 1871, et depuis lors il est toujours resté à ce chiffre. Mais de plus il lui est alloué des frais de maison qui ont été portés à trois cent mille francs en 1873; et depuis 1876, il reçoit, en outre, trois cent mille francs pour frais de voyage, de déplacement et de représentation.

1 Voyez séance de la Chambre des députés du 14 mars 1895 (Journal officiel du 15 mars, Débats parlementaires, p. 911).

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Avant d'étudier en détail les pouvoirs du Président de la République, il est utile de présenter deux observations.

I.

Quelle est la réalité, l'efficacité de ces pouvoirs? Ils paraissent très étendus. Nous avons vu déjà que certains les qualifient de pouvoirs monarchiques', et, si l'on ne consultait que divers textes constitutionnels, on serait tenté de leur donner raison. Dans ses Vues sur le gouvernement de la France, le duc de Broglie décrivait ainsi le Président de la République tel qu'il le rêvait « Un chef investi de tous les attributs de la royauté : l'initiative et le veto, l'exécution des lois, la direction de l'administration dans toutes les branches, la nomination à tous les emplois aux conditions légales, le commandement des armées de terre et de mer. Un chef roi, sauf le nom et la durée ». Quand on examine les divers pouvoirs que la Constitution de 1875 a conférés au Président, il semble qu'elle ait voulu exécuter à la lettre ce programme et constituer, par conséquent, un pouvoir exécutif très fort. Cependant il y a une première raison de se méfier de cette impression c'est que la plupart de ces pouvoirs présidentiels figuraient déjà dans la Constitution de 1848, comme nous le verrons en cours de route, et cette Constitution ne passe point pour avoir été animée d'un esprit monarchique. Il y en a une seconde, directe et décisive.

1 Ci-dessus, p. 569, note 3.

2 Ch. vi, p. 227.

Lorsqu'on compare le Président de la République française, tel que l'ont fait les lois constitutionnelles de 1875, à tel autre chef de République, au Président des États-Unis par exemple, on constate que le premier possède des droits qui n'appartiennent point à l'autre (droit de nomination à tous les emplois, droit de conclure librement certains traités, droit de dissoudre la Chambre des députés avec l'assentiment du Sénat, pour ne citer que les principaux) on est tenté d'en conclure que le premier a plus d'autorité réelle que le second. En réalité, c'est le contraire. Les pouvoirs du Président des États-Unis sont constitutionnellement plus restreints; mais dans la mesure où ils existent, il les exerce à lui seul en pleine indépendance, sans être gêné par l'action de ses ministres, sans même avoir besoin de les consulter, avec toute l'autorité morale que lui donne l'élection populaire dont il est sorti. La République française, au contraire, d'après la Constitution de 1875, est essentiellement une république parlementaire. C'est là son caractère distinctif et décisif : « Il y a trois mois, Messieurs, disait M. Laboulaye en présentant le projet de loi qui est devenu la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, vous avez fait une république parlementaire... Vous avez par cela même décidé que le Président gouvernerait avec des ministres, pris communément dans les deux Chambres, et qui, représentants du pouvoir devant le Parlement et représentants du Parlement devant le pouvoir, devraient se retirer quand l'accord serait rompu' ». Plus tard il disait encore: «Notre gouvernement nouveau, il est important de le répéter, est une république parlementaire, c'est-àdire une république où tout repose sur la responsabilité ministérielle. C'est bien là la définition de notre nouveau gouvernement ». M. Dufaure, de son côté, n'était pas moins explicite: J'ai été confondu d'entendre dire que la responsabilité ministé-rielle dans une monarchie pouvait être efficace, mais qu'elle n'était rien sous un Président qui avait nécessairement ses projets, sa volonté; qu'elle serait alors un mensonge qui ne garantirait rien. Elle aurait à mon avis une bien autre importance; elle serait bien moins un mensonge sous la République que sous la Monarchie. C'est sous la Monarchie, en présence de ce pouvoir que vous appelez divin, que les ministres sont exposés à faiblir et à perdre. toute autorité réelle. Mais sous la République, en présence d'un chef temporaire qui disparaîtra peut-être de la vie politique avant

1 Annales de l'Assemblée Nationale, Projet de loi, etc., p. 221. Annales de l'Assemblée Nationale, t. XL, p. 112, séance du 16 juillet 1875.

eux, pourquoi ne garderaient-ils pas leur ferme volonté, leur pleine indépendance, et pourquoi leur responsabilité deviendraitelle une illusion' »? Dans ce système, le Président de la République, quelque grands que soient les pouvoirs à lui conférés par la Constitution, ne peut rien par lui-même; il ne peut les exercer qu'avec le concours et l'assentiment d'un ministère qui dépend largement des Chambres, et la nature de sa propre élection, émanée du Corps législatif réuni en Assemblée Nationale, ne lui donne point la force morale nécessaire pour faire prédominer quand même, malgré les fictions et les conventions constitutionnelles, sa volonté personnelle. «On compare naturellement, dit M. Bryce, le Président des États-Unis au Président de la République française; mais ce dernier a un premier ministre et un Cabinet qui dépendent de la Chambre et qui à la fois l'assistent et l'éclipsent; en Amérique, le Cabinet du Président est une partie de lui-même et n'a rien à faire avec le Congrès».

C'est donc plutôt à un monarque parlementaire qu'il convient de comparer notre Président, quant à l'exercice de ses pouvoirs, et spécialement à celui de tous dont le Cabinet a pris le plus complètement la puissance effective, c'est-à-dire au roi d'Angleterre. Celui-ci, dans son effacement constitutionnel, a gardé une grande influence morale, qu'il doit ou à la longue durée de son règne, ou au prestige historique de la dynastie, si puissant chez nos voisins : c'est une force que ne saurait avoir un Président temporaire, un 'citoyen dont l'influence morale ne peut résulter que de son expérience, de sa sagesse et de son honorabilité propre. Mais, d'autre part, le roi d'Angleterre est complètement écarté, par des usages qui ont maintenant force de loi, de toute participation directe et personnelle aux actes de gouvernement : il ne préside pas le Conseil des ministres; il ne peut recevoir un ambassadeur étranger et s'entretenir avec lui sans qu'un de ses ministres soit présent à l'entrevue. Le Président de la République française, au contraire, participe activement au gouvernement dont il est le chef: il préside, comme on le verra plus loin, le Conseil des ministres, et aucun texte, pas plus que l'usage, ne lui interdit de donner audience personnelle aux ambassadeurs et ministres des puissances étrangères. Dans un discours prononcé à Bordeaux le 11 mai 1895, le Président du Conseil des ministres exposait en termes excellents

Séance du 7 juillet 1875, Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXIX, p. 475. 2 American commonwealth, t. I1, p. 62. Traduct. française, t. I, p. 105. 3 V. ci-dessus, p. 128 et s.

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