Page images
PDF
EPUB

et de 1830'. Il paraît bien aussi que, sous la Constitution de l'an III, l'ajournement des deux Conseils ne pouvait être prononcé que par une délibération identique de part et d'autre.

Mais la règle ne s'applique qu'aux fonctions et attributions qui sont communes aux deux Chambres. Si l'une d'elles a en outre des fonctions propres, qui n'appartiennent point à l'autre (comme c'est le cas pour le Sénat, chez nous), il est naturel qu'elle puisse siéger isolément pour les exercer. C'est encore l'application de la règle, bien que la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 présente ces hypothèses comme des exceptions. Elle en indique deux. La première est celle étudiée plus haut dans laquelle la présidence de la République devient vacante après une dissolution de la Chambre des députés : le Sénat, la seule Assemblée existante, se réunit alors de plein droit', mais « il est entendu que le Sénat n'a qu'un pouvoir d'intérim et qu'il ne peut faire aucun acte de législateur ». L'autre cas est celui visé déjà dans la Charte de 1830, « celui où le Sénat est réuni en cour de justice; dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires ».

III.

« Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant l'expiration légale de son mandat ». C'est là un droit dont l'origine, la raison d'être et la portée nous sont déjà connues'. Il figurait aussi bien

'Charte de 1814, art. 26: « Toute assemblée de la Chambre des pairs, qui serait tenue hors de la session de la Chambre des députés ou qui ne serait pas ordonnée par le roi, est illicite et nulle de plein droit ». - Charte de 1830, art. 22: «Toute assemblée de la Chambre des pairs, qui serait tenue hors du temps de la session de la Chambre des députés, est illicite et nulle de plein droit, sauf le cas où elle est réunie comme cour de justice, et alors elle ne peut exercer que des fonctions judiciaires ».

[ocr errors]

2 En effet, l'article 59 disait que le Corps législatif pouvait s'ajourner à des termes qu'il désignait. Cela visait, le corps en son entier et non chaque Conseil isolément. La Constitution des États-Unis décide (art. 1, sect. 5, clause 4) que, pendant la session du Congrès, aucune des deux Chambres ne peut s'ajourner pour plus de trois jours sans le consentement de l'autre. Elle décide aussi (art. 2, sect. 3) que, si les deux Chambres ne tombent pas d'accord, sur leur ajournement, le Président peut les ajourner au terme qu'il trouvera bon de fixer.

[blocks in formation]

dans le projet de 1873' que dans celui présenté par M. de Broglie le 15 mai 18742. Ces deux projets s'accordaient également à exiger pour l'exercice de ce droit l'assentiment de la Chambre Haute (Sénat ou Grand Conseil). D'ailleurs, nous le trouvons aussi inscrit et étudié dans ce livre, où se reflètent par avance les principaux traits de la Constitution de 1875, la France nouvelle de Prévost-Paradol. Il indique le droit de dissolution de la Chambre des députés comme le contrepoids nécessaire du gouvernement parlementaire, comme le seul remède à quelques-uns des maux qu'il peut engendrer3. Il veut également qu'il ne s'exerce qu'avec l'autorisation du Sénat. Il se demandait seulement s'il pourrait être exercé utilement dans une république parlementaire.

Malgré cela le droit de dissolution n'a pas pénétré sans difficulté dans la Constitution de 1875. C'est une des institutions qui ont rencontré la plus vive résistance. Il a été combattu non seulement par la portion la plus avancée du parti républicain, mais aussi par des esprits fort modérés, par de purs jurisconsultes, comme M. Bertauld, l'éminent professeur de la Faculté de Caen, par des membres du centre droit, comme le vicomte de Meaux, la Commission des Trente elle-même parlant par l'organe de

par

↑ Art. 15: « Lorsque le Président de la République estimera que l'intérêt du pays exige le renouvellement de la Chambre des représentants avant l'expiration normale de ses pouvoirs, il demandera au Sénat l'autorisation de la dissoudre. Cette autorisation ne pourra être donnée qu'en comité secret et à la majorité des voix. Elle devra être donnée dans un délai de huit jours ».

2 Art. 21: « Dans le cas où le Président de la République jugerait qu'il y a lieu de dissoudre la Chambre des représentants avant l'expiration légale de son mandat, cette dissolution pourra être prononcée par un décret rendu sur l'avis du Grand Conseil délibérant en séance secrète ».

3 La France nouvelle, liv. II, ch. vi, p. 143 et 147.

Ibidem, liv. II, ch. v, p. 106: « Cette Chambre Haute peut offrir un point d'appui solide à l'opinion et au Gouvernement dans le cas où l'autre Chambre abuserait inconsidérément de son pouvoir, et le droit de dissolution paraîtrait moins témérairement exercé lorsque le Gouvernement serait implicitement encouragé, par l'assentiment et le concours de cette haute assemblée, à renvoyer l'autre Chambre devant les électeurs auxquels appartient le dernier mot ».

• Ibidem, liv. II, ch. vi, p. 144 : « Ce Président voudra-t-il et pourra-t-il faire un usage opportun de ce grand pouvoir? Renverra-t-il malgré eux ses amis et ses partisans devant les électeurs, au risque de briser de sa propre main sa majorité et son parti? C'est trop compter sur l'idée de devoir; c'est trop demander au pur amour du bien public, et, quand les institutions pèchent par ce noble excès d'exigence, la faiblesse humaine s'en venge en les laissant inertes ou en les détruisant ». Cf. p. 147, 148: « Le droit de dissolution serait ici d'un secours insuffisant entre les mains d'uu président de la République (en cas d'existence d'un ministère et d'une assemblée qui conserveraient légalement le pouvoir après avoir perdu la confiance ou l'approbation générale), puisque le Président appartient nécessairement à un parti, tout comme s'il était un premier ministre ».

son rapporteur M. de Ventavon'. Les objections soulevées étaient fort sérieuses. Elles se présentèrent avec la plus grande force dans le discours de M. Bertauld, qui appartenait nettement au parti républicain. On soutenait que le droit de dissolution était contraire au principe de la souveraineté nationale, puisqu'il permettait d'atteindre dans leurs pouvoirs légaux ceux qui sont les représentants par excellence de cette souveraineté, et au principe de la séparation des pouvoirs, puisque le pouvoir exécutif pouvait par ce moyen révoquer la branche essentielle du pouvoir législatif. On ajoutait qu'il était particulièrement inadmissible dans la nouvelle Constitution, parce qu'elle faisait élire par les Chambres le Président de la République : délégué des Chambres, s'il pouvait dissoudre l'une d'elles, il donnerait le spectacle inouï d'un mandataire révoquant l'un de ses mandants'. Enfin on relevait ce fait très frappant, que le droit de dissolution n'avait jamais été introduit dans les Constitutions républicaines.

Mais la raison très forte, décisive, de l'admettre, c'est qu'il forme un des rouages naturels, presque indispensables du gouvernement parlementaire : l'adoption, du régime parlementaire dans la nouvelle République avait presque tranché la question. De plus, bien qu'il contienne une exception apparente au principe de la séparation des pouvoirs, le droit de dissolution est plutôt en réalité une sanction de ce principe, en ce qu'il a d'essentiel, puisque, comme nous l'avons vu, sous cette forme de gouvernement, c'est le dernier moyen et le plus efficace pour garantir l'irrévocabilité et l'indépendance du pouvoir exécutif. D'autre part, on ne saurait soutenir sérieusement qu'il y a là un échec à la souveraineté nationale, puisque l'exercice du droit de dissolution a justement pour

1 Voyez la discussion à la seconde lecture du projet de loi, dans la séance du 2 février 1875 (Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXVI, p. 394 et suiv.). La plupart de ces opposants s'accordaient d'ailleurs avec la Commission pour conférer le droit de dissolution au maréchal de Mac-Mahon pendant sa présidence, tout en le refusant à ses successeurs.

2 C'est en particulier un des arguments qu'on présentait pour faire une différence entre le maréchal de Mac-Mahon et ses successeurs : « Si vous l'investissez du droit de dissolution, disait le vicomte de Meaux (loc. cit., p. 400), dans tous les cas, il ne l'aura pas vis-à-vis de la Chambre qui l'aura élu. Qu'est-ce donc que vous proposez comme doctrine, comme théorie républicaine ?... C'est un président élu et rééligible ayant le droit de dissoudre le corps qui l'a élu, le corps qui est appelé à le réélire ou à l'écarter du pouvoir ».

3 Rapport de M. Laboulaye, loc. cit., p. 220: « La conséquence de ce régime, qui nous est familier, a été de reconnaître au Président le droit de dissolution. C'est le moyen employé dans les monarchies constitutionnelles, quand le chef de l'État croit que les ministres ont raison contre la Chambre et en appelle sur ce point à la décision du pays ».

Ci-dessus, p. 138, 424 et suiv.

but et pour effet de remettre à la nation elle-même, au corps électoral, la solution du conflit et la décision suprême. Mais cela suppose que cette consultation sera décisive et qu'une dissolution opérée ne pourrait pas être suivie d'une seconde, comme on l'a parfois prétendu, si la première n'avait pas produit le résultat désiré par le pouvoir exécutif. Il n'est pas plus exact de dire que la dissolution donne, sous notre Constitution, le spectacle du mandataire révoquant le mandant; car le Président de la République, bien qu'il soit élu par les deux Chambres, ou, pour parler plus exactement, par l'Assemblée Nationale, n'est point leur mandataire ni leur délégué : il est le titulaire d'un pouvoir indépendant, désormais irrévocable jusqu'à l'expiration de ses pouvoirs.

Il est vrai que le droit de dissolution était jusque-là inconnu dans les Constitutions républicaines'; mais c'était la première fois aussi que l'on associait la République et le gouvernement parlementaire, jusque-là pratiqué seulement dans les monarchies constitutionnelles. Cependant on peut ajouter que son absence avait été regrettée dans quelques-unes des Constitutions républicaines antérieures3. En effet, du moment que la Constitution admet un pouvoir exécutif plus ou moins séparé du pouvoir législatif et dont le titulaire ne peut pas être révoqué par ce dernier, il est toujours possible que des conflits se produisent entre les deux pouvoirs le droit de dissolution est le seul moyen de leur donner une solution pacifique et définitive.

:

Notre loi constitutionnelle ne donne pas cependant au Président de la République le droit, sous la seule garantie de la responsabilité ministérielle, de dissoudre librement la Chambre des députés, ce qui est le droit du monarque dans les monarchies constitutionnelles. Il doit obtenir l'avis conforme du Sénat. Cette

1 Rapport de M. Laboulaye (Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXVIII, Projets de loi, etc., p. 220: « Ce sont les usages de la monarchie constitutionnelle; on ne peut se dissimuler que c'est un droit nouveau dans une Républi

que ».

2 M. Dufaure à l'Assemblée Nationale, séance du 2 février 1875 (Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXVI, p. 403): « Je conviens que, si on cherche dans l'histoire des Républiques qui ont vécu jusqu'à ce jour, on ne pourra pas y voir inscrit le droit de dissoudre l'une des Chambres. Mais je n'admets pas que la République doive être nécessairement formée suivant un type déjà convenu, limité, exclusif, et qu'on ne puisse pas, même quand on l'admet comme loi fondamentale du pays, trouver quelque institution particulière, dût-elle être empruntée à la monarchie, qui puisse venir fortifier la République et lui donner des garanties d'ordre ».

3 Mémoires de Barras, éd. Duruy, t. II, p. 23 : « Ce n'est pas ici le lieu de parler des lacunes que la Constitution de l'an III avait laissées dans la partie de son pouvoir exécutif, telles que l'impuissance de dissoudre les Chambres, de faire obéir la Trésorerie ».

condition ne fut pas admis e sans difficulté. La Commission des Trente et un certain nombre d'orateurs la repoussaient comme dangereuse, comme contraire aux traditions du gouvernement parlementaire'. Maisjile maréchal de Mac-Mahon la signala, au contraire, comme essentielle, dans un message adressé à l'Assemblée « L'usage de ce droit extrême serait périlleux, disait-il, et j'hésiterais moi-même à (l'exercer si, dans une circonstance critique, le pouvoir ne se sentait appuyé par le concours d'une assemblée modératrice ». C'est dans ces conditions que le texte fut adopté2.

C'est une des dispositions qui montrent le plus nettement l'action modératrice que la Constitution a voulu donner au Sénat. Elle en a fait ainsi comme l'arbitre en premier ressort du grave conflit qui a pu éclater entre le Président de la République et la Chambre des députés. Les auteurs de la Constitution ont aussi voulu de la sorte donner au Président la force de résistance nécessaire pour qu'il pût engager cette grave partie; ils ont voulu rendre plus effective cette prérogative. En réalité, ils ont rendu plus difficile, plus improbable, l'exercice de ce droit. Si le Sénat, dans sa composition première, a pu aisément autoriser la dissolution de 1877, le Sénat, devenu totalement électif et vraiment républicain, n'autoriserait une dissolution de la Chambre des députés que si l'opinion publique l'imposait véritablement; mais alors par là même la dissolution prononcée ne pourrait être qu'une mesure bienfaisante!

Le Sénat devient aussi, dans cette crise, le pivot sur lequel tout repose, et lui-même ne saurait en aucun cas être dissous. Une proposition fut pourtant présentée à l'Assemblée Nationale, pour égaliser à ce point de vue sa condition à celle de la Chambre des. députés. M. Raudot, un esprit original, aujourd'hui un peu oublié, produisit un amendement ainsi conçu : « Le Président de la République peut, sur l'avis conforme de la Chambre des députés, dissoudre le Sénat. Dans ce cas, les sénateurs nouveaux seront élus

1 Annales de l'Assemblée Nationale, t. XXXVI, p. 304 : « La Commission n'admet pas l'intervention du Sénat, dans l'exercice du droit de dissolution. Elle a pensé que cette intervention était pleine de périls et qu'elle atténuerait la responsabilité ministérielle ».

2 M. Dufaure, séance du 2 février 1875, loc. cit., p. 401: « Nous voulons le lui accorder à la condition que lui-même a indiquée; nous voulons lui donner un droit effectif et non pas un droit apparent... Nous vous demandons de décider que, conformément à son opinion, le droit de dissolution ne doit lui être accordé à lui comme aux présidents de la République qu'avec le concours du Sénat ».

« PreviousContinue »