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tionnelle, le droit d'initiative étant pleinement reconnu par la Constitution aux deux Chambres, c'est-à-dire à leurs membres '. Mais ici le droit d'initiative n'est en aucune façon supprimé ; son exercice est seulement réglementé. Il devra simplement prendre la forme d'une proposition principale et ne pourra se glisser sous le couvert d'un amendement au budget.

Un incident d'ailleurs n'a pas tardé à montrer la fragilité de sembables règles, écrites seulement dans le règlement d'une Chambre3. Dans la séance du 4 mars 1902, M. André Berthelot voulut compléter son œuvre et proposa d'ajouter à l'article 51 bis du règlement le paragraphe suivant : « Aucune proposition tendant à une augmentation de dépenses ne peut être mise aux voix sans qu'une économie, de chiffre au moins égal, ait été simultanément proposée et préalablement adoptée par la Chambre ». Ce n'est pas tout; le même député proposait encore d'ajouter à l'art. 34 du règlement un paragraphe ainsi conçu : « Les motions et les projets de résolution sont soumis aux formalités prescrites par le règlement pour les propositions de loi ». Mais ces projets de résolution soulevèrent une opposition des plus vives; elle se manifesta principalement par une contre-proposition ainsi formulée : « Les résolutions adoptées par la Chambre des députés dans sa séance du 16 mars 1900 et concernant la procédure des amendements au budget, sont abrogées». La Chambre, il'est vrai, adopta une motion qui tendait à « passer à l'ordre du jour », c'est-à-dire à ajourner la suite de la discussion; et l'expiration de ses pouvoirs est arrivée avant que le débat fût repris.

Dans la législature suivante la question a encore été traitée : la Commission du règlement a même statué. Mais le 15 décembre 1906 une nouvelle proposition tendant à abroger l'artice 51 bis du règlement ayant été discutée et plusieurs orateurs ayant déclaré que la Chambre s'était amputée elle-même d'une de ses prérogatives essentielles, la proposition a été simplement renvoyée à la

1 M. Rouvier, séance du 16 mars 1900, Journal officiel du 17, p. 908: « Assurément, la Chambre peut déclarer qu'elle renonce à l'exercice d'un droit constitutionnel, mais à la condition qu'elle soit unanime. Vous ne pouvez pas par un acte de la majorité dépouiller un membre de la Chambre d'un droit qui est inscrit dans le statut fondamental de la République ».

2 M.Ribot (Chambre des députés, 16 mars 1900, Journal officiel du 17, p. 911) : « Ce que demande M. Berthelot est simplement ceci non pas qu'on enlève à un député une parcelle quelconque de son initiative, mais qu'au lieu de l'exercer sous la forme d'amendements, de ce déluge d'amendements qui pleut sur nous au cours de cette discussion interminable, il veuille bien donner à sa motion le caractère d'une proposition qui suivra la filière parlementaire habituelle ». 3 Ci-dessus, p. 918 et s.

↳ Journal officiel du 4 mars 1902, p. 1105 et suiv.

Commission en même temps qu'une autre qui demandait que le vote secret fût de droit pour toute augmentation de dépenses'.

§ 3.

LES DEUX CHAMBRES EXERÇANT LE CONTRÔLE
SUR LE GOUVERNEMENT.

Nous avons vu que l'un des traits distinctifs du gouvernement parlementaire est un contrôle constant exercé par le Parlement sur les ministres, agents directs du pouvoir exécutif. J'ai essayé de dégager les règles délicates suivant lesquelles ce contrôle peut être efficacement sanctionné par la responsabilité ministérielle mise en jeu. Mais il reste à étudier les moyens par lesquels il s'exerce, et qui sont au nombre de trois : les questions, les interpellations et les enquêtes parlementaires.

Ces moyens sont également à la disposition des deux Chambres; leur exercice appartient aussi bien au Sénat qu'à la Chambre des députés. Je me suis rangé cependant à l'opinion qui refuse au Sénat le droit d'imposer par ses votes la retraite d'un ministère". Mais les deux solutions ne sont point contradictoires. La première établit que la Chambre Haute (en dehors du droit qui lui est réservé d'autoriser la dissolution de la Chambre des députés) n'a pas d'action sur la responsabilité politique des ministres; la seconde détermine dans quelle mesure et comment le Sénat participe cependant au gouvernement parlementaire. Il est vrai que, en usant de ces moyens, le Sénat ne pourra pas leur donner une sanction politique immédiate et directe. Mais les constatations qu'il obtiendra de la sorte, les votes qu'il émettra, n'en auront pas moins l'autorité morale qui appartient aux résolutions prises par une grande assemblée et qui peut suffire à faire triompher la vérité devant l'opinion publique. La Constitution de 1791 donnait au Corps législatif le droit de demander aux ministres des renseignements et de leur poser des questions, et pourtant elle n'établissait pas vraiment la responsabilité politique des ministres. Lorsque, sous le Second Empire, le droit d'interpellation fut rendu au Corps lé

1 Deuxième séance du 15 décembre 1905, Journal officiel du 16, Débats parlementaires, Chambre, p. 8992.

2 Ci-dessus, p. 732 et suiv., 734 et suiv.

3 Ci-dessus, p. 738 et suiv.

Il ne faut pas oublier non plus que, d'après l'usage tout à fait conforme aux principes, un certain nombre de membres du Cabinet sont toujours pris dans le Sénat.

5 Ci-dessus, p. 748.

6 Ci-dessus, p. 410 et s.

gislatif et au Sénat par le décret du 19 janvier 1867, la discusssion ne pouvait se terminer que par l'ordre du jour pur et simple ou par un ordre du jour appelant l'attention du Gouvernement sur l'objet des interpellations (art. 4-6); et cependant cela fut considéré, à cette époque, comme la conquête pour les Chambres d'un droit très important. Enfin, le droit d'enquête parlementaire, qui traditionnellement est accordé aux deux Chambres, est un moyen de contrôle et d'investigation des plus utiles, même pour une assemblée qui ne pourrait par là renverser un ministère.

I.

Dans l'usage du Parlement français, la question n'est posée que si le ministre, préalableinent avisé, y consent et l'accepte. Ce n'est et ne peut être qu'un dialogue entre le questionneur et le ministre. La question ne peut pas par elle-même dégénérer en un débat. Seul, parmi les membres de l'Assemblée, le député ou le sénateur, qui l'a posée peut prendre la parole, et par deux fois. Aucun vote ne suit les explications fournies par le ministre'.

Tout autre est l'interpellation, qui, chez nous, constitue la principale procédure pour mettre en jeu la responsabilité politique*. C'est en réalité la demande faite par un ou plusieurs membres de l'Assemblée d'ouvrir un débat sur la politique générale du ministère ou sur tel acte d'un ministre déterminé. Il s'agit cette fois d'un débat général, auquel peuvent prendre part tous les membres. L'interpellation, une fois introduite, devient en quelque sorte impersonnelle, et les règlements des deux Chambres admettent que, si elle est abandonnée par son auteur, elle peut être reprise par un membre quelconque de l'Assemblée. Il est aussi reçu que, sur une simple question, la demande peut être produite de la transformer en interpellation; mais, s'il y a opposition, l'autorisation de l'Assemblée est nécessaire; et elle peut la refuser 3.

L'interpellation a une sanction; elle est close par un vote de l'Assemblée, par le vote d'un ordre du jour. Cette expression tra

1 Sur la réglementation des questions et des interpellations dans notre droit actuel, voyez Règlement de la Chambre des députés, ch. VI, art. 39 à 48; Règlement du Sénat, ch. XII, art. 80 à 85.

2 Ci-dessus, p. 553.

3 Chambre des députés, séance du 16 mars 1895 (Journal officiel du 17, Débats parlementaires, p. 969): - M. le Président : — « Je consulte la Chambre pour savoir si elle entend transformer la question en interpellation. La Chambre consultée décide que la question ne sera pas transformée en interpellation ».

ditionnelle vient de ce que la Chambre, considérant que le débat sur l'interpellation est terminé, déclare par un vote qu'elle passe à l'examen des autres objets qui sont portés à son ordre du jour. Cette déclaration est pure et simple ou précédée de considérants ; on dit, dans ce dernier cas, qu'il y a un ordre du jour motivé. Les ordres du jour motivés indiquent très clairement si le ministère ou tel ministre a ou n'a pas l'approbation et la confiance de l'Assemblée. L'ordre du jour pur et simple prend la même signification, suivant qu'il est ou non accepté par le Gouvernement.

Il résulte de cette procédure que, sauf le cas très rare où aucun ordre du jour n'est demandé ni voté, toute interpellation aboutit chez nous à un jugement rendu par l'une des Chambres sur un acte d'un ministre ou du ministère. Parfois cependant la sentence manque de clarté. Cela vient surtout de ce que, lorsqu'un ordre du jour motivé est proposé par certains membres et voté par la Chambre, d'autres membres proposent d'y joindre quelque addition, inspirée par une pensée toute différente. Pour éviter ce résultat, les auteurs d'ordres du jour motivés prennent une précaution qui, semble-t-il, tend à devenir usuelle : ils insèrent dans leur formule une clause par laquelle ils repoussent d'avance toute addition1.

La pratique des interpellations, à raison de son importance même, a dû être précisée par les règlements des deux Chambres. Voici ce qui est exigé de part et d'autre. La demande doit être formulée par écrit, énoncer sommairement l'objet de l'interpellation et être remise au Président. La Chambre, sans débat sur le fond, fixe la date de la discussion. Cette date peut être arbitrairement fixée, quand il s'agit d'une interpellation sur la politique étrangère; elle ne peut être renvoyée au delà d'un mois, quand l'interpellation porte sur la politique intérieure. On a voulu par là protéger le droit d'interpellation, au profit de la minorité de l'Assemblée, contre une sorte de confiscation indirecte de la part de la majorité. Mais lorsqu'il s'agit de la politique extérieure, l'intérêt qu'il peut y avoir pour le pays à ne pas laisser s'engager imprudemment et inopportunément un débat de cette nature passe avant toute autre considération. Les ordres du jour motivés, proposés comme solution de l'interpellation, doivent être rédigés par écrit et remis au Président qui en donne lecture.

Le droit d'interpellation a, dans nos usages, une très grande

1 Esmein, Notes de jurisprudence parlementaire : Les additions aur ordres du jour motivés, dans la Revue politique et parlementaire, 16 mars 1901, p. 502 et suiv.

importance. On le considère comme étant « d'essence parlementaire »'. On peut même dire que beaucoup le considèrent comme un droit individuel de chaque membre de l'Assemblée, puisque les règlements n'exigent pas plusieurs signatures pour l'introduction d'une demande d'interpellation. Mais il semble qu'il y ait là une exagération. Le droit de réclamer le comité secret n'est pas chez nous un droit individuel', il faut pour cela l'adhésion d'un certain nombre de membres pour l'exercice du droit si dangereux d'interpellation, une exigence semblable se concevrait parfaitement.

Le ministre que vise l'interpellation peut-il la décliner, refuser d'y répondre, comme il peut refuser de répondre à une simple question? Je le crois, et il y en a des exemples; pour reprendre la comparaison employée plus haut, celle d'une procédure judiciaire, alors le ministre fait défaut. Mais il paraît certain que l'auteur de l'interpellation pourrait proposer un projet de résolution blâmant le ministre de son refus, sur lequel l'Assemblée statuerait.

L'interpellation, ainsi entendue et précisée, est un produit du parlementarisme français. Les Anglais n'ont point distingué l'interpellation de la question, ou plutôt, kien que le terme d'interpellation soit usité chez eux, ils ne connaissent même à la Chambre des Communes que les questions au sens français du mot. Le règlement de la Chambre des Communes ne permet même pas d'établir un débat sur les déclarations fournies par un ministre interrogé, et l'on ne peut pas terminer l'incident par une motion. La Chambre anglaise ne manifeste donc pas son manque de confiance dans le Cabinet par un ordre du jour terminant une interpellation. En général, c'est en adoptant ou en repoussant les mesures importantes proposées par le Cabinet qu'elle statue à son

4 M. Goblet à la Chambre des députés, séance du 1er mai 1894 (Journal officiel du 2, Débats parlementaires, p. 680).

2 Ci-dessus, p. 856.

› Dans la séance de la Chambre des députés du 1er juillet 1895, une demande d'interpellation fut produite, et voici comment y répondit le président du Conseil (Journal officiel du 2, Débats parlementaires, p. 1929): « C'est une interpellation qui vise une question de politique étrangère. Je fais remarquer, en outre, que, même au point de vue constitutionnel, il ne semble pas que j'aie le droit d'accepter une pareille interpellation, puisqu'il s'agit de savoir si le Gouvernement est autorisé à faire un traité. Nous n'avons pas à rendre compte par avance des intentions du Gouvernement: je prie donc la Chambre de ne pas fixer de date pour la discussion de cette interpellation ». Et l'affaire en resta là. ♦ Todd, Parliamentary government, t. II, ch. IV, no 2, lettre e; mais le terme ne figure pas dans la Parliamentary practice de Sir Erskine May. Courtney, op. cit., p. 173 et suiv.

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Leonard

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