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d'ailleurs n'a jamais statué par un arrêt sur la question; mais jamais cet ordre d'idées, au contraire, n'a été présenté à la Chambre des Pairs de la Restauration, qui s'est déclarée compétente en matière de complot sans aucune hésitation et par des raisons toutes différentes. La prétention est d'ailleurs doublement fausse, car il n'est point exact de dire que le Code pénal de 1810 confondait l'attentat et le complot. Sans doute, il les frappait des mêmes peines, mais, dans leurs éléments constitutifs, il les distinguait nettement, donnant dans l'article 88 la définition de l'attentat et dans l'article 89 celle du complot.

On a également soutenu que, dans l'histoire de nos Constitutions, celles-là seules déféraient les complots à la Haute-Cour qui la constituaient avec un personnel de hauts-jurés. Mais, sans aller plus loin, cela est démenti nettement par l'article 101 du sénatus-consulte du 28 floréal an XII, qui lui défère les « crimes, attentats et complots contre la sûreté intérieure ou extérieure de l'État », et pourtant alors la Haute-Cour impériale ne comprenait que de grands dignitaires, des Sénateurs, des Conseillers d'État et des Conseillers à la Cour de cassation. D'ailleurs, lorsqu'on écarte les subtilités bien naturelles à la défense en pareille matière, n'y a-t-il pas un argument de raison et de bon sens, qui emporte tout? Si la Constitution a cru nécessaire de créer un tribunal spécial, une Haute-Cour, pour juger les attentats proprement dits, n'a-t-elle pas dû vouloir, à plus forte raison, lui donner compétence pour connaître des complots? Les complots sont plus difficiles encore à instruire que les attentats révélés par un commencement d'exécution, et la répression en est plus malaisée à obtenir: les conspirateurs déçus ne sont pas encore des vaincus. La compétence de la Haute-Cour en matière de complots a été affirmée au surplus par un arrêt de la Haute-Cour de justice du 14 août 1889', et cette jurisprudence a été maintenue dans l'arrêt du 13 novembre 1899 2.

III.

La loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 (art. 12, § 5) contenait une promesse : « une loi déterminera le mode de procéder pour l'accusation, l'instruction et le jugement » devant la Haute

1 Sirey, 90. 2. 215.

2 Sirey, 1901. 2. 1, avec la note dont j'ai accompagné cet arrêt et où j'ai étudié la question dans ses détails.

Cour de justice ». Cette promesse a été tenue, mais tardivement et incomplètement. La loi du 10 avril 1889, votée en vue de poursuites pour attentats contre la sûreté de l'État, que l'on entrevoyait alors comme imminents, ne contient, 'en effet, comme l'indique exactement son titre, que les règles de procédure applicables à cette hypothèse'. Elle n'a point réglé les formes de la poursuite, de l'instruction et du jugement, lorsqu'il s'agit d'accusations intentées contre le Président de la République ou contre les ministres devant la Haute-Cour de justice. La commission du Sénat, chargée d'élaborer promptement la loi, a reculé devant les difficultés très grandes qui se présentent dans cette seconde série d'hypothèses. Le cas échéant, si cette mise en accusation était intentée, on aurait donc pour seuls guides les principes et les précédents3. Les précédents des Chambres des Pairs, sous la Restauration et sous le Gouvernement de Juillet, seraient ici d'un très grand poids, puisque c'est, au fond, le même système qui a été repris par nos lois constitutionnelles.

Sur la loi du 10 avril 1889, que je n'examine point dans ses détails, je présenterai seulement deux observations :

1o L'article 23 de cette loi a fait une très juste application des principes, en décidant: « Les dispositions pénales relatives au fait dont l'accusé sera reconnu coupable, combinées, s'il y a lieu, avec l'article 463 du Code pénal, seront appliquées, sans qu'il appartienne au Sénat d'y substituer de moindres peines. Ces dispositions seront rappelées textuellement dans l'arrêt ». Ici, en effet, comme il s'agit de citoyens ordinaires, et non plus de la responsabilité du Président de la République et des ministres, il paraît nécessaire d'appliquer la règle: Pas de peine sans loi. Mais cela ne fournit aucun argument contre l'opinion contraire que nous avons soutenue en ce qui concerne la mise en accusation des ministres '.

1 Loi sur la procédure à suivre devant le Sénat pour juger toute personne inculpée d'attentat contre la sûreté de l'État.

2 Rapport de M. Morellet au Sénat : « La première (procédure), celle qui est spéciale aux ministres et au Président de la République, se déroule successivement devant les deux Chambres... Elle soulève de délicats problèmes de droit public tenant tant à la qualité des accusés qu'à la situation de l'accusateur... Votre Commission a été vivement frappée de l'indépendance de ces deux procédures ».

3 Sur un point, ces difficultés avaient été signalées par la Commission qui, en 1879, proposait à la Chambre des députés la mise en accusation de deux ministères. Voyez le discours de M. Floquet à la Chambre des députés, séance du 13 mars 1879 (Journal officiel du 14, p. 2032 et suiv.).

♦ Cauchy, Les précédents de la Cour des Pairs, p. 635 et suiv. Ci-dessus, p. 761 et s.

Le Sénat a reconnu lui-même que les règles sont toutes différentes de part et d'autre.

2o Le Sénat, lorsqu'il siège comme Cour de justice, a toujours le droit de choisir et de désigner le lieu où il tiendra ses séances. C'est ce que porte en termes généraux la loi du 22 juillet 1879, art. 3; c'est ce que confirme la loi du 10 avril 1889, art. 1er : « Le décret qui constitue le Sénat en Cour de justice, par application de l'article 12, § 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, fixe le jour et le lieu de la première réunion. La Cour a toujours le droit de désigner un autre lieu pour la tenue de ses séan

ces >.

La Haute-Cour de justice s'est réunie deux fois en application de la loi du 10 avril 1889. La première fois, en cette même année 1889, pour juger le général Boulanger et ses complices; la seconde fois, dix ans plus tard, pour juger les auteurs d'un nouveau complot contre la sûreté de l'État, le 18 septembre 1899. Dans ce dernier procès, qui a été fort chargé d'incidents divers, la HauteCour a eu à rendre un grand nombre d'arrêts sur sa compétence, sa procédure, sa composition, qui constituent autant de précédents importants en cette matière'. Depuis lors, le 24 juin 1901, elle s'est réunie de nouveau pour juger définitivement l'un des accusés, qu'elle avait précédemment condamné par contumace, et qui s'était représenté. Dans cette dernière affaire, par arrêt du 24 juin 1901, elle a décidé qu'elle avait pu se réunir de plein droit pour procéder à ces débats contradictoires, sur la simple convocation de son président, sans qu'il fût besoin d'un décret du Président de la République la convoquant à nouveau. Cela est conforme à l'ancienne jurisprudence de la Cour des Pairs; et cela cadre parfaitement avec le principe que la Haute-Cour est une juridiction permanente en droit. C'est ainsi, en effet, que les choses se passent en Cour d'assises, l'arrêt de renvoi subsistant avec la procédure antérieure. Par ce même arrêt, la Haute-Cour a décidé que, pour ce jugement définitif, sa composition devait être exactement la même que lors de la première instance terminée par la condamnation par contumace et même que, pour déterminer la composition de la Cour, on devait considérer que c'était la même affaire, la même session qui se poursuivait. Il s'ensuit que tous les sénateurs qui n'avaient pu prendre part au premier jugement, par exemple,

1 Voyez ces arrêts, avec les notes dont je les ai accompagnés et qui sont le complément naturel de la présente exposition, dans le Recueil de Sirey, 1900. 2. 289. 1901. 2. 1. - 1901. 2. 57. — 1901. 2. 209.

2 Sirey, 1902. 2. 257, et la note que j'ai rédigée sur cet arrêt.

parce qu'ils n'avaient pas répondu à un appel', n'ont pas siégé en 1901. Il en résulte encore que ceux à l'égard de qui existait une cause d'exclusion survenue postérieurement à l'arrêt par contumace, n'ont pas siégé non plus. Ainsi tous les sénateurs élus ou réélus depuis le décret du 4 septembre 1899, qui avait d'abord convoqué la Haute-Cour, ont été exclus 2. Cela nous paraît contraire aux principes. En Cour d'assises, il en est autrement. Le condamné par contumace qui purge sa contumace comparaît bien de nouveau devant la Cour d'assises devant laquelle il avait été renvoyé et qui a prononcé la condamnation désormais caduque; mais la Cour est composée, ou peut être composée, de magistrats autres que ceux qui siégeaient la première fois; et cette fois, le jury intervient, alors que la première condamnation avait été rendue sans son intervention. En droit, si la procédure d'instruction est maintenue (y compris l'arrêt de renvoi), la procédure devant la juridiction de jugement est anéantie et disparaît; pour cette phase, c'est une nouvelle procédure qui commence; c'est, relativement à la juridiction de jugement, un nouveau procès. Les mêmes principes devraient s'appliquer devant la Haute-Cour de justice.

1 Loi du 10 avril 1889, art. 16.

Loi du 10 avril 1889, art. 2.

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CHAPITRE VII

La révision de la Constitution.

Toute Constitution écrite et rigide, à moins d'être profondément illogique et souverainement imprudente, doit organiser la procédure par laquelle elle pourra être révisée et modifiée. Il faut, pour terminer ces études de droit constitutionnel, exposer celle qu'a établie la loi constitutionnelle du 25 février 1875 et qui a déjà fonctionné deux fois, aboutissant aux deux lois de révision du 21 juin 1879 et du 14 août 1884. J'exposerai successivement : 1° quel est ce système de révision; 2° quelle est la portée possible de la révision constitutionnelle ainsi organisée.

I.

Les Constitutions écrites et rigides d'Europe et d'Amérique ont organisé des systèmes de révision fort divers, dont un certain nombre nous sont déjà connus. Mais tous, par une nécessité logique, comprennent deux points distincts: 1° il faut déterminer quelle autorité sera compétente pour décider qu'il y a lieu de réviser la Constitution; 2° il faut déterminer par quelle autorité et comment sera opérée la révision ainsi déclarée nécessaire.

Sur le premier point, si l'on fait abstraction des Constitutions qui admettent en cette matière l'initiative populaire', il y a, on peut le dire, unanimité parmi les Constitutions modernes des pays libres. Toutes donnent au pouvoir législatif le droit et la mission de déclarer qu'il y a lieu de réviser la Constitution. Il fait cette déclaration, soit spontanément, soit sur la proposition du pouvoir exécutif, soit sur les pétitions des citoyens. Souvent des précautions spéciales sont prises pour que cette déclaration ne soit pas faite à la légère, mais sérieusement mûrie, répondant aux besoins vrais du pays.

Ci-dessus, p. 350 et s., 373 et s.

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